Chaque mandat présidentiel traverse une épreuve majeure : l’Algérie et Mai 68 pour le général de Gaulle, la maladie pour Georges Pompidou, les deux crises pétrolières pour Valéry Giscard d’Estaing, la guerre avec l’Irak pour François Mitterrand, la deuxième guerre d’Irak pour Jacques Chirac, la violente crise financière de 2008 pour Nicolas Sarkozy, les attentats de 2015 pour François Hollande. Emmanuel Macron, lui, doit affronter l’épidémie, peut-être demain la pandémie du coronavirus. Les effets de l’épidémie sont naturellement avant tout humains, puisqu’il s’agit de la santé de toute la population, du traitement de la maladie mais aussi des conséquences enchaînées qu’elle entraîne pour le mode de vie. Ses effets sont aussi économiques et sociaux, comme on le constate déjà. Affolement de la Bourse, pans entiers de l’économie sinistrés, chômage partiel, désorganisation des échanges internationaux, services publics fragilisés, croissances et emplois remis en cause, c’est tout le système qui vacille. Le coronavirus a enfin un impact politique fort.
On peut déjà le constater à propos des élections municipales. La campagne est à demi-paralysée. La plupart des réunions publiques sont annulées et surtout, cela se comprend, les Français ont l’esprit ailleurs. Dans les conversations, le coronavirus et ses conséquences ont complètement éclipsé, presque effacé, les enjeux électoraux. Dimanche prochain, on s’attend à un taux d’abstention record. En 2014, il était déjà plus élevé que d’habitude. Cette fois-ci, il est très probable qu’il dépassera la barre des 40 %, il n’est même pas exclu qu’il atteigne celle des 50 %. Les enjeux sont pourtant significatifs et le rapport des forces national en sortira transformé. Mais les Français, c’est humain, pensent plus au risque de confinement qu’à l’isoloir des bureaux de vote. A priori, cela devrait plutôt conforter les maires sortants (une campagne atrophiée handicape les nouveaux venus) et desservir la droite et LREM, les personnes âgées, si nombreuses dans leurs électorats, risquant d’être moins civiques que d’habitude.
Autre effet vraisemblable, la gestion de la crise et le développement de la maladie ne sont pas propices aux conflits sociaux et aux manifestations. Certes, la question du droit de retrait se posera de plus en plus, notamment dans les services publics, mais le débat à propos de l’usage du 49.3 va s’assoupir et la bataille des retraites se jouera essentiellement au Sénat et à la conférence de financement. Les défilés déclarés ne sont pas interdits pour l’instant mais s’ils se produisent, ils seront clairsemés. Dans les circonstances actuelles, l’heure est bien davantage à la solidarité et à l’union qu’à la confrontation et a fortiori à la violence. En revanche, l’exceptionnelle mobilisation de l’ensemble du système de santé devrait faire avancer les dossiers des réformes si urgentes dans ce secteur.
Reste enfin, même si cela demeure implicite, le quitte ou double que l'épreuve du coronavirus représente pour Emmanuel Macron. En ce qui le concerne, il y aura un avant et un après l'épidémie. Dans tous les pays, le virus place le chef de l'exécutif en première ligne, que les régimes soient présidentiels, parlementaires et même autocratiques. En France, c'est le chef de l'Etat qui porte la responsabilité politique de faire face à l'épreuve. Certes, le Premier ministre, les membres du gouvernement, l'administration, les services publics sont tous mobilisés mais le Président est non seulement le symbole mais le détenteur du pouvoir. La charge de la crise lui incombe. A cette occasion, plus visible et exposé que jamais, il sera jaugé à son autorité (dans les crises, le général de Gaulle était incomparable), à son sang-froid (grande spécialité de François Mitterrand), à son humanité (la caractéristique de François Hollande), à son énergie (la meilleure carte de Nicolas Sarkozy), à sa capacité de rassemblement (Chirac était orfèvre). S'il maîtrise bien la situation, s'il décide, incarne et informe avec efficacité, alors même que chaque jour peut produire un nouveau piège, rien ne prouve que les Français lui seront durablement reconnaissants. Si par malheur, ses initiatives s'avèrent inadaptées, si les informations qu'il donne apparaissaient mensongères, s'il ne trouvait pas les choix, les actes et les mots nécessaires, la sanction serait sans appel. L'épreuve majeure du quinquennat constitue une sorte de scanner global du président de la République, quel qu'il soit. Il peut y sauver ou y perdre son mandat. Devant l'épreuve, il ne faut pas croire à l'indulgence d'un peuple blessé, ni au traitement identique pour tout détenteur du pouvoir. En 1917, au pire de la guerre de 1914-1918, alors que la France était sur le point de perdre la partie, quatre présidents du Conseil se sont succédé en un an : Briand pour encore trois mois, Ribot pour six mois, Painlevé pour deux mois et enfin Georges Clemenceau, parvenant aux commandes le 16 novembre. Les trois premiers ministères n'ont laissé aucune trace mais «le Tigre» a conduit le gouvernement le plus célèbre et le plus admiré de toute la IIIe République. Les circonstances actuelles sont, certes, moins héroïques et moins tragiques mais on peut en sortir en Ribot ou en Clemenceau, ce qui n'est pas du tout la même chose. Le coronavirus sera le marqueur indélébile de la fin du mandat de Macron. Peut-être positif, peut-être négatif, mais certainement décisif.