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Blog «Africa4»

Le coronavirus depuis la terre d’Ebola : leçons apprises, réflexivité et population en Guinée

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Questions à... Frédéric Le Marcis, anthropologue à l'Ecole normale supérieure (ENS-LSH), membre de l'UMR Triangle et de l'UMR TranVIHMI, actuellement en délégation IRD au Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG).
Organisation d'un tournoi de foot à Guéckédou en novembre 2014 par un staff (les staffs sont des groupes qui rassemblent des jeunes d'un quartier ou d'une école) ©Frédéric Le Marcis d'une école)
publié le 19 mars 2020 à 7h38
(mis à jour le 20 mars 2020 à 16h20)

Le 9 janvier 2020, la république populaire de Chine annonçait que la ville de Wuhan – capitale de la province du Hubei, faisait face à une épidémie liée à l’irruption d’un nouveau type de coronavirus, dénommé 2019-nCov.

Depuis lors l’épidémie s’est répandue suivant, comme cela est connu depuis les premières épidémies mondiales de peste au Moyen-âge ou de grippe espagnole, les réseaux de circulations commerciales à l’échelle mondiale, avec une vitesse inédite et un impact certain sur l’activité économique. Le jeudi 30 janvier 2020, l’OMS déclarait l’épidémie de Wuhan une Urgence de Santé Publique de Portée Internationale (USPPI). L’épidémie de maladie à 2019-nCov témoigne ainsi qu’une épidémie est toujours le le résultat de l’articulation – on pourrait dire le produit d’une collaboration – entre la nature du virus (ici sa capacité à se transmettre facilement) et les hommes (la nature des liens sociaux qu’ils développent, les flux économiques qu’ils développent et les imaginaires qu’ils produisent pour faire sens de l’irruption épidémique). L’épidémie de Covid-19 se distingue donc moins par les logiques qui la sous-tendent que par la rapidité de son extension.

Ainsi, le continent africain moins bien connecté à l’économie monde que les pays du Nord est pour l’heure relativement épargné par l’épidémie. On observe pour l’heure principalement des cas d’importation qui semblent maîtrisés mais on ne sait pas combien de cas échappent à l’identification et la capacité des systèmes de santé à prendre en charge un nombre important de patients en soins intensifs est une incertitude majeure.

D'aucuns s'empressent cependant de ressortir des arguments éculés et fleurant bon le racisme scientifique du XIXe siècle pour justifier cette situation épidémiologique singulière : « l'Africain résiste mieux au covid-19 » dit-on comme l'on disait à l'époque coloniale qu'il résistait mieux au paludisme pour justifier des mesures préventives exclusives pour les Blancs. « La chaleur du climat africain empêche la survie du virus » : ici le climat qui fut le tombeau de l'homme blanc devient planche de salut de l'homme noir sans égard ne serait-ce pour la multiplicité des climats du continent ou plus simplement pour le fait que la chaleur à laquelle le virus ne résiste pas se situe autour de 56 degrés…

On voudrait ici souligner, à partir de l’observation de la préparation à l’épidémie de covid-19 en République de Guinée, la façon dont l’expérience de l’épidémie de Fièvre à Virus Ebola (2014-2016) parmi les acteurs institutionnels de santé publique et le développement de capacités de laboratoire structurent profondément les modalités de réponse au risque épidémique mais aussi les impensés de ces modalités. Traumatisme et opportunisme sous-tendent la rationalité des acteurs, manque de réflexivité et reconduction d’un rapport savant-ignorant la qualifient.

Une réponse coordonnée et rapide qui témoigne du spectre de l’épidémie d’Ebola

Dès l'annonce de l'épidémie de covid-19, les acteurs institutionnels guinéens, et internationaux présents sur son sol, se sont mobilisés. Très vite un réseau d'échange utilisant la plateforme Whatsapp a été mis en place afin de partager en temps réel des informations. Un dispositif de screening a été organisé à l'aéroport de Conakry, dans les principaux ports (dont Boké et Boffa) et des réunions de crise se sont tenues. Les acteurs nationaux impliqués dans ces activités (Institut National de Santé Publique, Agence National de Sécurité Sanitaire) comme les acteurs internationaux comme l'Institut Pasteur de Guinée (IPEG, France) ou le Centre de recherche en épidémiologie-microbiologie et des soins médicaux (CREMS, Russie) sont apparus comme des acteurs majeurs de ces discussions. Le spectre d'Ebola est prégnant dans ces échanges sous la forme d'une référence directe (c'est-à-dire : nous ne souhaitons pas revivre un tel traumatisme) ou sous la forme d'automatisme et de l'usage de notions issues de la riposte et des dispositifs mis en place à sa suite et relevant du paradigme de la préparation aux épidémies – paradigme connu dans le registre de la santé globale sous le terme de Preparadness : préparation, vigilance, capacité diagnostique.

Un positionnement des acteurs qui reflète la dimension d’opportunité de l’épidémie

A la lecture des échanges sur la plateforme, il apparaît qu’en plus de favoriser la diffusion d’informations fiables sur l’épidémie, elle donnait également l’occasion tant aux acteurs individuels (experts, consultants) s’étant fait un « nom » pendant l’épidémie Ebola de se rappeler au bon souvenir des acteurs politiques en mettant en avant leur expérience Ebola pour conseiller la riposte au coronavirus qu’aux représentants d’institutions soit de faire valoir aux yeux des autorités politiques leur préparation, soit d’occuper le terrain du diagnostic en faisant valoir ses capacités. L’obtention des premiers kits permettant la réalisation des diagnostics a ainsi fait l’objet d’une course à l’annonce entre l’IPEGUI et le CREMS, avant que l’INSP ne rappelle qu’en tant qu’institution souveraine en République de Guinée, c’est elle qui était chargée de coordonner les protocoles de diagnostic, avec le soutien des partenaires disponibles.

La dynamique de compétition entre labo, observée lors de l’épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola (compétition entre essais thérapeutique, essais vaccinaux), se rejoue ainsi dans la compétition autour de la capacité à identifier le virus. Dans ce jeu, les autorités nationales ne peuvent que rappeler leur légitime souveraineté en appelant à une collaboration franche et ouverte.

Une vigilance salutaire, qui appelle cependant à plus de réflexivité.

Les mécanismes décrits ici sont de bon augure. Ils témoignent de la capacité des acteurs à se saisir de leur expérience, à réinvestir dans le présent des savoirs et pratiques acquises par le passé, à développer des automatismes. Au fond, ils témoignent des traces laissées par l’épidémie sur les institutions et ses acteurs.

On doit cependant prendre garde aux automatismes non réflexifs. Chaque épidémie est différente car elle s’inscrit toujours dans des contextes politiques et économiques différents qui change les termes de la négociation virus – sociétés humaines. Les acteurs de la riposte contre l’épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola en République Démocratique du Congo en ont fait l’amère expérience tant mener des actions de santé public dans un espace aux légitimités politiques multiples et concurrentes s’est avéré complexe.

La reconduction d’un rapport savant-ignorant dans un contexte politique tendu

Il reste cependant un point aveugle dans l’appréciation en temps réel de cette « préparation » : la population. Alors que les institutions paraissent préparées et mobilisées, comme en témoigne l’identification récente d’un premier cas (une ressortissante belge de retour de congé) puis d’un second (une ressortissante guinéenne de retour d’Italie), reste à savoir comment la population générale fera sens de l’irruption d’une nouvelle épidémie (dont malheureusement on n’imagine pas qu’elle ne se déclare pas), dans un contexte politique tendu et d’absence de confiance entre la population et le pouvoir. Des législatives doivent se tenir le 22 mars (après de multiples reports) ainsi qu’un référendum qui permettrait au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat (impossible d’après la constitution actuelle). L’opposition est grande contre ce projet et des manifestations tenues depuis plusieurs mois ont déjà fait plus de 20 morts. Le gouvernement, eu égard au risque épidémique, a interdit les rassemblements de plus de 50 personnes, mais pour l’heure maintient la tenue du processus électorale à la date du 22 mars.

La simultanéité du risque épidémique et de la crise politique constitue un terreau spécifique pour une collaboration singulière entre l’homme et le virus. A cet assemblage spécifique il manque un catalyseur, un réactif pour filer la métaphore de laboratoire. Ce catalyseur c’est l’habitude prise par les élites nationales de ne pas s’adresser aux populations comme à une somme d’individus pensant et agissant et de limiter la communication sur l’épidémie à ceux en mesure de converser en français. La grande majorité des Guinéens locuteurs du malinké, soussou ou pulaar (pour ne citer que les langues nationales majoritaires) ne sont jamais les destinataires de messages de spécialistes en mesure, avec des mots simples, de rappeler ce qu’on sait, et ce qu’on ne sait pas sur le virus, et les meilleurs moyens de s’en protéger. Au-lieu de cela, la communication (aussi pertinente soit-elle sur le fond) se cantonne aux médias francophones, laissant la porte ouverte pour la majorité de la population à une interprétation nécessairement politique des modalités de lutte contre l’épidémie.

On retrouve ici les caractéristiques de la riposte contre l’épidémie de fièvre hémorragique à Virus Ebola, où la reconnaissance des affects de la population comme de ses capacités cognitives ont longtemps été ignorés. Prendre soin de sa population exige pourtant de la reconnaître.

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