Au large de la façade occidentale de l’Afrique, l’histoire et la place géopolitique des îles africaines est trop souvent négligée. Elles sont pourtant les portes d’entrée maritime du continent africain. Preuve en sont les îles du Cap-Vert. Le combat (finalement perdu) du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) d’Amilcar Cabral était de réunir les îles et la Guinée-Bissau dans une indépendance unique. L’indépendance en 1975 a séparé les îles du continent en deux pays distincts : le Cap-Vert et la Guinée Bissau. Mais les îles du Cap-Vert sont presqu’aussitôt devenues un « duty free » géopolitique de la guerre froide : dans leur course africaine, Américains et Soviétiques ont utilisé Praia comme plaque tournante logistique de leurs trafics comme porte d’entrée continentale (notamment en direction de l’Angola).
Les îles au large des deux Guinées (Conakry et Bissau) illustrent à merveille l'histoire, la géopolitique et parfois l'imaginaire des trafics Atlantique depuis le XVIIe siècle.
Au large de la Guinée-Conakry se trouvent les îles de Loos, qui signifient originellement les îles des idoles. Les trois grandes îles (Kassa ou Sorro, Roume et Tamara) sont devenues des stations balnéaires au large de Conakry pour les citadins et les touristes. Possession portugaise aux XVIe-XVIIIe siècle, les îles de Loos ont été un des pivots de la traite esclavagiste Atlantique à l'époque moderne. Des comptoirs de plusieurs nationalités (portugais, britannique, américain et français) ont été installés pour la traite des esclaves. Au XIXe siècle, les îles deviennent britanniques. Avec l'interdiction britannique de la traite esclavagiste en 1807, l'usage des îles change. Sur l'île de Kassa, les fossiles archéologiques rappellent la nouvelle activité industrielle (bauxite et huile) que les Britanniques y avaient développé au XIXe siècle : « Factory Island ». Mais surtout, la Navy fait de l'île de Roume (alors baptisée « Crawford Island ») l'un de ses pivots stratégiques sur la façade Atlantique de l'Afrique pour faire la police maritime dans sa lutte contre les navires esclavagistes. Les vestiges d'un fortin rappelle ce dispositif militaire britannique.
Sur cette histoire, l'imagination s'est enfiévrée… au point d'attribuer à l'île de Roume d'avoir inspiré Robert-Louis Stevenson à la fin du XIXe siècle pour sa célèbre Île au Trésor. Une rumeur démentie par la recherche historique, et notamment par Djibril Tamsir Niane. Mais, comme un lointain écho Atlantique à Libertalia dans l'océan Indien, cette rumeur est devenue une anecdote qu'ont conservé les guides touristiques pour exciter un peu les touristes.
C'est aux premières années du XXIe siècle, un peu plus au Nord-Ouest dans l'archipel des Bijagos, que le véritable trafic de pirates contemporains s'est épanoui. Cet archipel appartient à la Guinée-Bissau et se situe sur « l'Highway 10 » (autoroute 10), ainsi nommée en référence au 10e parallèle. Il s'agit en réalité de l'axe de passage Atlantique du narcotrafic de cocaïne entre l'Amérique latine et l'Afrique de l'Ouest. Le scandale éclate dans les années 2010 ; la Guinée-Bissau y gagne le qualificatif de « narco-État ». Les cartels colombiens et latinos se sont constitués des « portes d'entrée » en Afrique de l'Ouest : ils se chargent de colporter leur drogue (par bateau rapide ou avion) jusqu'à une « porte » africaine ; de là, ils achètent la complicité d'autorités publiques pour pénétrer le continent. Parmi ces « portes d'entrée », l'archipel des Bijagos occupent la première place. Cette portion de territoire insulaire connecté au territoire continental de la Guinée-Bissau en fait une position stratégique pour les trafics Atlantique.
Le scandale a été mis publiquement au jour lorsque la DEA (le bureau anti-drogue américain) a procédé en 2013 à l’arrestation du contre-amiral José Américo Bubo Na Tchuto, dit « Bubo », dans les eaux territoriale du Cap-Vert et avec le concours de la police cap-verdienne. Bubo Na Tchuto est le chef d’état-major de la Marine bissau-guinéenne. Au terme d’une longue enquête, la DEA a organisé un piège en se faisant passer pour des narco-trafiquants colombiens et ont ainsi pu saisir celui qui assurait la liaison logistique entre les Bijagos et le continent : Bubo Na Tchuto. Il a été extradé aux États-Unis et inculpé de narco-trafic par le tribunal de New-York (certains de ses co-accusés ont même été inculpés de narco-terrorisme pour leurs liens avérés avec les FARC). « Bubo » a plaidé coupable dans son procès en 2014… et a finalement été libéré en 2016 après avoir été emprisonné aux États-Unis un peu plus de trois ans. Mais la cible finale à qui ils ont voulu tendre un piège similaire leur a échappé : le général Antonio Indjai, chef d’état-major des armées bissau-guinéennes.
Depuis l’assassinat du président Joao Bernardo Vieira en 2009 et depuis le coup d’État de 2012 en Guinée-Bissau, les rivalités politiques trouvent comme toile de fond politique et financière les trafics de drogue. Mais il reste très délicat de démêler l’écheveau de ces trafics d’influence qui trouvent leur source depuis les Bijagos.
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