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Blog «Géographies en mouvement»

Bientôt le sportbashing?

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Le printemps s’installe, les montagnes voient fondre leur peu de neige. Dans la torpeur du confinement, on se met à calculer la facture environnementale des sports d’hiver, des futurs Jeux olympiques ou des Coupes du monde de football.
1h20 de vol entre Lyon et Castellon (Espagne), 21 février 2018
publié le 21 mars 2020 à 22h01
(mis à jour le 18 mai 2020 à 8h14)

L’UEFA a reporté à une date ultérieure le match retour des huitièmes de finale de la Ligue des Champions OL-Turin qui devait avoir lieu la semaine dernière. Lyon-Turin : pas plus de trois cent kilomètres que les joueurs et leurs staffs auraient effectué en avion. Déjà en février, l’OL s’était fait remonter les bretelles pour avoir utilisé un jet privé plutôt que de prendre le train. Une même claque aurait pu être donnée au PSG qui a affrété un Boeing 737 (rien que ça) pour jouer à Dijon à une heure trente de train de la capitale, le bus du club faisant l’aller-retour à vide juste pour emmener l’équipe de l’aéroport au stade, soit dix kilomètres en seize minutes.

Comment sont gérés les clubs ? Comment sont programmés les matches ? Pourquoi l'Ajax d'Amsterdam vient à Lille en train et pourquoi les clubs italiens prennent le TGV local alors qu'en France, on a des pratiques dignes d'Etats pétroliers ? Ou des pratiques en cours aux Etats-Unis dont l'échelle territoriale a créé un usage évident pour tous de l'avion. Pierre Demoux (1) cite les basketteurs de NBA ou les joueurs de tennis qui sautent d'un avion à l'autre comme les balles sur le terrain. « L'usage de l'avion illustre le conflit entre le sport professionnel, avec ses impératifs de haute performance et ses spectacles commercialisés, et les enjeux écologiques et sociaux », estime Mathieu Djaballah, spécialisé dans la RSE des organisations sportives à l'université Paris-Saclay (1).

Comment en est-on arrivé là ? Comment n’a-t-on pas vu que les sports « verts » (VTT, surf, trail, marathons…) fabriquent des compétitions qui attirent des milliers de visiteurs là où il faudrait justement protéger les sites ? L’Ultra-Trail du Mont-Blanc est épinglé pour accueillir cinquante mille visiteurs venus encourager les dix-mille coureurs, tout cela sur un week-end… A l’heure où les compétitions sont retransmises en direct, ne peut-il pas réfléchir à toutes ces heures perdues et ce gâchis environnemental ?

Pour avoir une image verte, l’EcoTrail de Paris se targue d’offrir à manger des produits sains et de ramasser les déchets (le plogging) pendant la course. Et on utiliserait toutes les astuces pour des produits de transport et d’emballages recyclables et biodégradables.

Maintenant, si le greenwashing est condamnable, comment éviter le sportbashing et ses dégâts collatéraux, tout en poussant les professionnels du sport à évoluer ? Tout en revoyant les produits utilisés par les athlètes drogués aux records ? Tout en remplaçant pour les matériels les fibres de carbone par des matériaux biosourcés ? Tout en se demandant si le but du sport est de faire tomber des records ou de faire du bien aux corps?

Les Japonais en charge des JO de cet été se sont posés la question de régler le confort des compétiteurs car le pire moment pour faire du sport au Japon est bien l’été très chaud et très humide. D’où certaines délocalisations dans l’île du nord du pays, Hokkaïdo.

Le grand sujet est aujourd'hui la montagne privée de neige. Quand on sait que la moitié des stations de sport d'hiver pourraient avoir disparu dans une génération… En mars 2020,le géographe grenoblois Pierre-Alexandre Métral (2) a recensé cent soixante-dix domaines skiables (sur cinq cent quatre-vingts quatre construits depuis les années 1930) qui ont déjà arrêté leurs remontées mécaniques et quatre-vingts autres l'envisagent (3). Canons à neige, hélicos ou camions apportant de la neige, tout cela doit être revu. Mais comment ? Comment ne pas douter de la sincérité du Comité international olympique (CIO) qui a octroyé à Pékin les Jeux d'hiver de 2022 alors que la Russie avait dû dépenser des milliards de roubles pour les précédents JO à Sotchi ? Ne serait-il pas courageux de supprimer tout simplement ces compétitions d'hiver, s'il n'y a plus d'hiver ? Comme il serait interdit de jouer des matches de foot dans des stades climatisés.

Mondiaux d’athlétisme (fin septembre 2019) à Doha. Le stade est pourtant climatisé mais les sportifs abandonnent sous l’effet de la chaleur.

Les opinions publiques sont plus sages que les organisateurs de compétitions qui n'ont qu'un intérêt mercantile à faire fructifier leurs affaires. Pour les JO de Paris, les oppositions n'ont pas été assez fortes, mais organiser les JO une prochaine fois en France sera encore plus compliqué. Quand bien même proposerait-on d'utiliser d'anciens sites. Albertville à nouveau ? Avec quelle neige ? La délocalisation d'une partie des 150 00 emplois liés aux sports d'hiver en France est-elle possible ? Pierre Demoux en remet une couche : «Une logique poussée à son paroxysme pour l'Euro de foot, qui se tiendra cet été dans douze pays et vingt villes. Revers de la médaille : de Bakou à Dublin et de Bilbao à Saint-Pétersbourg, les équipes et les spectateurs vont battre des records de kilomètres parcourus. Or, la première source d'émissions carbone de ces rendez-vous du sport provient justement des déplacements des masses de fans.»

Le confinement actuel va pousser à revoir certains modèles et certaines priorités. Faudrait-il retransmettre plus souvent des compétitions avec des publics restreints comme le sont les débats politiques à la télévision, ou les émissions de variétés. Ou reviendra-t-on à des compétitions de masse qui risqueront de s’arrêter du jour au lendemain, ruinant leur modèle économique comme elles auront dégradé l’environnement ? La question ne va plus se poser longtemps pour les sports d’hiver : le climat est en train de gagner la partie.

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(1) « Carton vert pour le sport », Pierre Demoux, Les Echos, 11 mars 2020.

(2) La neige rare et incertaine est à l’origine de 45 % des fermetures de stations. Si près des deux-tiers d’entre elles sont situées dans le Massif central, tous les massifs souffrent : les Pyrénées avec Mourtis (Haute-Garonne), le Jura avec Menthières (Ain), les Alpes avec Turini-Camp d’argent, (Alpes-Maritimes), Orange-Montisel (Haute-Savoie) ou Aiguilles (Hautes-Alpes), dans le massif du Queyras. (Recensement de Vincent Simon sur son site stationsfantomes).

(3) En tenant compte des trois milles installations à l’abandon, le tableau est affligeant : les stations fermées laissent chacune des milliers de tonnes de ferraille et de béton qui défigurent les paysages. Grâce à l’ONG Mountain Wilderness créée en Italie en 1987, cinq cents tonnes de ferrailles et de déchets de toutes sortes sur près de cinquante chantiers ont pu être débarrassées en vingt ans. Le chantier est immense car, avant la loi de 2016, aucune obligation n’existe pour la remise en état des sites anciens. Et l’on compte en 2020 plus de 3000 aménagements abandonnés dans les montagnes françaises. L’ONG dispose d’un millier de bénévoles qui oeuvrent sur des sites Natura 2000 ou non.

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Pour aller plus loin : Du blanc au vert : la difficile reconversion des stations de ski, de Margaux Lacroux

Un article sur le Tour de France, pollueur