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ECOPPAF : étude des prisons en Afrique

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Questions à Marie Morelle, maîtresse de conférence en géographie (Université Paris-Panthéon Sorbonne, et Frédéric Le Marcis, professeur d'anthropologue (ENS-Lyon). Ils ont coordonné le programme de recherche interdisciplinaire ECOPPAF : Economie de la peine et de la prison en Afrique.
Tract pour la "Journée Mandela" des droits des détenus, prison de Zinarié (Burkina Faso) ©Frédéric Le Marcis, 2016
publié le 21 mars 2020 à 12h13
(mis à jour le 21 mars 2020 à 17h37)

Qu’est-ce que le programme de recherche ECOPPAF ?

ECOPPAF est un réseau de chercheurs et un programme de recherche (financé par l'Agence Nationale de la Recherche de 2015 à 2019). Sa constitution a reposé sur un constat : lorsque l'on évoque les prisons en Afrique, l'image d'espaces surpeuplés et délabrés vient à l'esprit. Le débat public les concernant demeure timoré sur le continent africain, pour ne pas dire absent. Et jusqu'à récemment, il existait peu de travaux de recherche approfondis et singulièrement peu d'ethnographies. Les réalités carcérales africaines contemporaines restaient largement méconnues.

Fort de ce constat, le programme ECOPPAF s'est donné pour objectif pendant plusieurs années d'étudier les réalités carcérales sur le continent. Il a consisté en l'organisation d'enquêtes comparatives et pluridisciplinaires dans 9 pays (Sénégal, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Cameroun, Burundi, Ethiopie, Nigéria, Afrique du Sud et Ghana). Les chercheurs du réseau ont collecté des récits de celles et ceux qui sont détenus, de leurs proches, comme de celles et de ceux qui surveillent les premiers. Des observations ont été menées entre et hors les murs, des parcours de vie incluant des carrières carcérales ont été reconstituées. Quatre grandes questions ont été abordées collectivement et font l'objet de la parution du dernier numéro de la revue Politique Africaine (« L'Afrique Carcérale », n°155) : tout d'abord celle de l'histoire et de la dimension politique de l'incarcération. Quel que soit le temps ou l'espace, la prison est « chargée » politiquement : comme outil de régimes autoritaire ou comme lieu de leur contestation, comme espace de mobilisation sociale aussi. Parler de la prison, c'est réfléchir de façon plus large aux rapports de pouvoir qui structurent les sociétés étudiées : qui décide de punir telle ou telle infraction d'une peine de prison plutôt que d'une peine d'amende ? De quelle durée ? Sommes-nous égaux devant les tribunaux et pendant la détention ? Hommes et femmes, adultes et mineurs, puissants et populations précaires et racisées ?

Nous avons également voulu comprendre et analyser le fonctionnement interne de la prison, le rôle des détenus eux-mêmes dans le contrôle des espaces carcéraux et de manière générale les relations, les circulations et les pratiques en présence. En prison, soins, nourriture, pratique religieuse acquièrent des valeurs singulières. Par exemple, une visite à l'infirmerie va au-delà du soin qu'elle procure et est un moyen de sortir de cellule et de circuler dans la prison.

Nous avons aussi étudié le sens et la portée de la réforme carcérale et de la peine de prison. Nous avons insisté sur la tension entre la volonté d'un projet de réforme de l'individu par la prison et celle de faire de l'institution un outil historique de l'exploitation d'une force de travail. Nous avons cerné les différents acteurs impliqués dans la réforme carcérale, suivant quels modèles.

Le rôle de la prison met en tension appels au respect des droits de l’homme (en particulier dans des régimes autoritaires) et recherche de sécurité dans des contextes de lutte contre le terrorisme. Agences internationales, ONG, bailleurs demandent la réforme des institutions pénitentiaires pour plus de droits, mais celle-ci débouche souvent sur la construction de nouvelles prisons. On prétend alors enfermer mieux mais sans toujours réfléchir à ce que fait la prison aux détenus et à la société, à ce qu’elle répare ou non. Ce constat ne s’arrête pas aux frontières du continent : ce que vivent parfois les détenus dans des régimes qualifiés d’autoritaires n’a rien à envier à l’expérience carcérale d’États démocratiques en Afrique ou ailleurs. Il importe de donner une place aux prisons d’Afrique dans un débat forcément mondialisé sur les manières de punir et de pardonner. Finalement, ce qui sous-tend l’ensemble de ces analyses, c’est la volonté d’éviter clichés et raccourcis sur les prisons africaines.

En plus de produire de la littérature scientifique, nous avons eu le souci de rendre accessible nos résultats à un plus grand nombre, et particulièrement aux acteurs de la détention. C'est ce qui a motivé la réalisation du MOOC « Des prisons en Afrique ». D'abord diffusé en français, il est actuellement diffusé en version sous-titrée en anglais (les inscriptions sont encore ouvertes). Nous avons également transcrit ce MOOC en une version numérique (le BOOC des Prisons en Afrique), disponible gratuitement au téléchargement en français et en anglais.

Sources : ECOPPAF

Quelle place occupe la prison dans les systèmes pénaux et judiciaires africains au XXe et XXIe siècle ?

Quand on regarde les taux d’incarcération à l’échelle du continent africain, on peut être surpris par leur hétérogénéité. Il faut donc se garder de tenir un propos général sur l’ensemble des prisons africaines. Il est parfois nécessaire de distinguer le recours à la peine de prison d’une région à une autre, parfois au sein d’un même pays. On remarque aussi la faiblesse du recours à la prison dans certains États. Comment l’expliquer ? Par la défiance à l’égard des institutions publiques, le recours à la corruption et aux passe-droits, par l’absence de contrôle étatique dans des espaces en guerre… ? Les explications sont nombreuses. Elles nous invitent aussi à regarder dans les villages, dans les quartiers, les manières dont les populations mettent en place différents types de médiations, en appelant à différentes normes (morales, religieuses, issues de « la rue »….) et à différentes représentations de ce qui serait juste, ou non. Faut-il alors s’en inspirer pour garantir des formes de réparation alternatives à l’enfermement ? Il ne s’agit pas non plus de glorifier le recours à la justice coutumière qui le plus souvent se fait au profit des aînés et des hommes…

La prison demeure aussi un instrument politique au service du contrôle voire de l’anéantissement de toute forme d’opposition partisane. Elle n’est pas le seul espace où réduire au silence des militants, elle s’articule alors à tout un réseau de cachots, geôles, cellules de commissariats et de gendarmerie. N’oublions pas non plus les mutineries, trop souvent appréhendées comme émeutes au risque de dépolitiser la colère des détenus, le plus souvent les plus dominés des pays étudiés, les plus appauvris et les moins audibles.

Que représente l’enjeu de la santé en prison ?

La santé en prison sur le continent africain reste un parent pauvre du système carcéral. Les infirmeries des établissements pénitentiaires, quand elles existent, sont rarement intégrées dans les faits au système sanitaire (alors qu’elles y sont officiellement rattachées). Les administrations pourvoient peu aux besoins vitaux des détenus. Les carences alimentaires sont fréquentes, les maladies de peau récurrentes et les détenus dépendent le plus souvent des moyens financiers de leurs familles ou d’ONG lorsqu’il s’agit d’accéder aux soins, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de consulter à l’extérieur de la prison et de financer un déplacement à l’hôpital par exemple. L’illégitimité sociale de la population des détenus et la réticence des États à proposer aux condamnés ce qu’ils ne garantissent pas à la population générale sont deux arguments mis en avant pour justifier ce qui s’apparente à une forme d’abandon des détenus. Parallèlement, les acteurs internationaux intervenant en prison ciblent essentiellement les pathologies à potentiel épidémique, contraints par des sources de financement (UNAIDS, Fonds Mondial) soutenant des stratégies de santé qui visent à maîtriser le risque épidémique à l’échelle de la population plutôt qu’à répondre aux besoins de santé à l’échelle individuelle.

Cependant, au-delà de l’enjeu épidémiologique de la prise en charge des maladies à potentiel épidémique en détention, traiter globalement de la santé en prison (maladies de peau, malnutrition) participe du rétablissement de la dignité et des droits de ceux détenus par l’État, condition nécessaire à l’affirmation de la citoyenneté par-delà l’enfermement.

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Lien vers

- le site de l'ANR ECOPPAF

- l'article Afrique contemporaine «Pour une pensée pluridisciplinaire de la prison en Afrique» de Marie Morelle et Frédéric Le Marcis

- Le numéro de Politique africaine «L'Afrique carcérale»

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