Chercheuse en sociologie politique à l’université Paris-I, Vanessa Jérôme est spécialiste de l’engagement militant chez Europe Ecologie-les Verts (EE-LV). Bien que l’abstention et une probable annulation du second tour rendent difficile l’interprétation des résultats, elle estime que ce premier tour de scrutin confirme l’ancrage à gauche de l’écologie politique française.
Peut-on analyser ces résultats malgré l’abstention ?
Tout le monde parle de l’abstention liée au coronavirus, et il n’est pas question de la nier : l’absence des seniors est notable, et la droite en a sûrement pâti. Mais il y a aussi un abstentionnisme plus classique, qui signe le rejet du fonctionnement de notre démocratie. C’est une piste possible pour comprendre les faibles scores de La France insoumise (LFI), ou ceux du Rassemblement national (RN). Avec ces incertitudes sur les motifs de l’abstention, il nous manque une clé de lecture déterminante pour analyser ce scrutin.
Confirmez-vous l’idée d’une «vague verte» ?
Oui et non. Les écologistes ont obtenu de bons résultats là où ils étaient déjà forts, mais il n’est pas certain qu’ils aient partout conquis une nouvelle sorte d’électeurs. Leur électorat est urbain, diplômé, âgé de 30 ans à 50 ans, donc cela rend les bons scores lyonnais, bordelais et toulousains moins surprenants qu’on a pu le dire : ces villes sont du type de celles où l’on se plaint de la pollution, où l’on fait du vélo, où l’on mange bio, où les mobilisations et marches climat de ces dernières années ont fait leur effet. En Alsace, les succès réalisés à Strasbourg mais aussi à Schiltigheim où Danielle Dambach a remporté l’élection dès le premier tour, s’expliquent aussi par le fait que cette région est historiquement une terre écolo.
Et à Grenoble ?
Le maire écologiste sortant, Eric Piolle, est en tête au premier tour, porté par un bilan bon quoique un peu clivant. Mais dans la mesure où cette élection a souvent offert une «prime aux sortants», on peut considérer que son score (44,6 %) est décevant : si l’on pense vague verte, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit réélu dès le premier tour. Et pas comme à Loos-en-Gohelle, où le maire Jean-François Caron a été élu au premier tour pour un quatrième mandat dans ce fief écologiste, mais en liste unique et avec une abstention de 73 % !
L’ambition écologiste de chercher des alliances au centre ou à droite a-t-elle porté ses fruits ?
Ce premier tour a montré que l’électorat écolo est clairement à gauche. Et qu’il demande des stratégies claires. Les villes qui ont tenté l’ouverture vers le centre ou le centre droit ont essuyé un échec. On l’a vu à Paris avec David Belliard (11,6 %), même s’il est vrai qu’il se trouvait face à une Anne Hidalgo dont le bilan écolo est plutôt bon. L’association entre la gauche et l’écologie a globalement bien fonctionné, que la tête de liste soit ou non écolo. Et les alliances de second tour - s’il a lieu - iront sûrement dans ce sens. Comme à Nantes, où l’alliance de la maire sortante socialiste Johanna Rolland et de l’écologiste Julie Laernoes semble aller de soi.
Les écolos participent donc à un retour de la gauche.
Les scores en progression des écolos sont obtenus grâce à des voix venues de la gauche. Ils mordent sur l’électorat socialiste, sans avoir beaucoup de réserve de voix. Dès lors, avec qui s’allier quand il faut envisager un second tour et que l’on plafonne autour de 20 %-25 % ? Comment jouer un rôle d’arbitre de l’élection ? L’absence de second tour va priver les verts de l’information la plus importante pour eux : ils voulaient tester leur capacité à être pivot des recompositions partisanes, seul un second tour permettrait de voir si le pari est réussi.
Inversement, la droite marque-t-elle le pas ?
C'est surtout vrai pour La République en marche (LREM) qui a mal géré ces élections. Vanter l'amateurisme, la nouveauté, cela ne marche pas sur des élections locales où le terrain pèse pour beaucoup, où les électeurs ont les clés pour comparer les offres et avoir un avis très éclairé et très tranché sur le scrutin. Au passage, on peut signaler, au milieu du marasme LREM, l'élection au premier tour de Gérald Darmanin [accusé d'un viol en 2009, ndlr] à Tourcoing, qui montre qu'il n'y a pas eu d'effet #MeToo sur les élections.
Quid de Paris ?
L’affaire Griveaux n’a pas été déterminante pour LREM : le faible score d’Agnès Buzyn s’explique surtout par le maintien d’un clivage gauche-droite dans la capitale, et par la propension des électeurs parisiens à pratiquer, plus qu’ailleurs, un vote sanction contre le gouvernement.
Un mot du Rassemblement national : ses résultats vous semblent-ils conformes à ce qu’on pouvait attendre ?
En tout cas, si la tentative écologiste de s’ériger en rempart au parti d’extrême droite devait être démontrée à ces élections, cela n’est pas probant. A Hénin-Beaumont, par exemple, la liste citoyenne réunissant la gauche autour de l’écologiste Marine Tondelier n’a réuni que 18,22 % des voix, laissant la municipalité à Steeve Briois dès le premier tour.