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« Nous, les indigènes de Lomé » : les premières pétitions anticoloniales au Togo (1909-années 1930)

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C’est en 1909 que l’on trouve la trace de la première pétition togolaise. Elle est présentée par Octaviano Olympio (1859-1940) et Andreas Aku (1863-1931). Octaviano Olympio est l’un des fondateurs de la ville de Lomé. Il appartient à une grande famille d’origine afro-brésilienne, investie dans le commerce Atlantique au XIXe siècle ; lui-même est planteur, entrepreneur et commerçant : c’est une figure de l’opposition à la colonisation allemande connu pour son anglophilie liée à ses affaires. Andr
Portrait d'Octaviano Olympio, non daté (Cahiers d'études africaines)
publié le 23 mars 2020 à 11h48

C’est en 1909 que l’on trouve la trace de la première pétition togolaise. Elle est présentée par Octaviano Olympio (1859-1940) et Andreas Aku (1863-1931). Octaviano Olympio est l’un des fondateurs de la ville de Lomé. Il appartient à une grande famille d’origine afro-brésilienne, investie dans le commerce Atlantique au XIXe siècle ; lui-même est planteur, entrepreneur et commerçant : c’est une figure de l’opposition à la colonisation allemande connu pour son anglophilie liée à ses affaires. Andreas Aku est à cette date catéchiste et instituteur qui devient par la suite pasteur. La pétition est adressée au gouverneur allemand du Togo, le comte Julius Von Zech. Le texte dénonce l’inégalité de traitement judiciaire entre les Noirs et les Blancs. Ils essuient un échec, mais ouvrent une brèche en créant la première contestation formelle, politique, juridique, écrite et motivée contre l’ordre colonial racialisé allemand.

En 1913, les notables de la ville de Lomé – Octaviano Olympio en tête – repartent de cette critique de la justice coloniale à deux vitesses pour en élargir le champ. Pour la première fois est utilisée la revendication : « Nous, Indigènes de Lomé » qui interpelle le Dr Solf, ministre allemande des colonies en visite au Togo. La pétition soulève sept points de contestation :

1. Meilleure organisation de la Justice

2. Suppression de la détention avec chaînes et des châtiments corporels

3. Amélioration de l’état des prisons

4. Admission de représentants aux assises du Conseil de gouvernement

5. Introduction d’un code général pour le pays

6. Diminution des impôts

7. Libre commerce pour les indigènes

Les signataires sont en réalité des élites économiques, sorte de classe compradore du commerce dans le golfe de Guinée de la fin du XIXesiècle : ces grands commerçants défendent autant leurs intérêts personnels que des principes anticoloniaux, sur fond de libéralisme. Mais c'est la preuve qu'il existe une élite économique connectée capable de combattre la puissance coloniale sur ce qu'elle croyait être son monopole : la politique, le droit et l'économie.

Si le destin militaire du Togoland allemand est scellé dès le mois d'août 1914, son destin diplomatique reste en suspens entre la France et l'Angleterre jusqu'à la fin du conflit et aux traités de paix (1918-1920). Entre 1914 et 1920, les administrations coloniales française et britannique occupent et co-gèrent de factole Togo. Dans leur course au Togo, les Britanniques décident de « donner la parole » aux élites économiques de Lomé en février-mars 1918. Il ne s'agit pas d'une quelconque velléité libérale mais plutôt d'une tentative de manipulation de la parole de grands commerçants anglophiles… au premier rang desquels se trouvent Octaviano Olympio et Augustino de Souza. L'idée est simple : susciter des « déclarations spontanées » dans lesquelles ils affichent leur préférence pour un rattachement à la colonie du Gold Coast britannique. Octaviano Olympio va jusqu'à créer un « Comité représentatif des Togolais » pour faire lobby auprès de la SDN. Las, la manipulation britannique du mouvement pétitionnaire échoue. Il convient de préciser que ces élites politico-économiques, Octaviano Olympio en tête qui a été décoré de la légion d'honneur et du mérite agricole, ont su parfaitement trouver leur place avec l'administration française via notamment le Conseil des notables créé par le gouverneur Bonnecarrère qui les y fait siéger.

A partir des années 1930 – c'est-à-dire concomitamment à l'installation de l'administration coloniale française – les pétitions constituent un moyen privilégié et fréquent pour que les Togolais expriment leurs opinions. Les pétitions se multiplient et se trivialisent. Elles ne sont plus uniquement impulsées par les grandes familles commerçantes connectées de Lomé. Sans prendre la tournure de cahiers de doléances, faute d'Etats généraux, elles décrivent la lutte contre l'asymétrie socio-économique coloniale. Les revendications juridiques (statut des « indigènes », liberté de circulation, etc.) et économiques (demandes de modifications de frontières douanières, questions fiscales, etc.) sont les principales affirmations d'une contestation moderne et formalisée de l'ordre colonial. Ce mouvement pétitionnaire contribue directement à la construction des consciences. Leurs revendications passent du « Nous, indigènes de Lomé » en 1913, sous la plume d'Octaviano Olympio, à « Nous, Togolais » dans la bouche de son neveu, Sylvanius Olympio, en 1945 au sortir de la Seconde guerre mondiale. L'anticolonialisme pétitionnaire a contribué à bâtir une revendication nationale par les élites politico-économiques du Togo, dans le premier XXe siècle.

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