Tribune par Benjamine Weill *
Dans les oubliés du confinement, les travailleurs sociaux tiennent bonne place alors qu’ils assurent une mission essentielle : accueillir et protéger en toutes circonstances notamment en maison d’enfants à caractère social (MECS). Face aux symptômes de la société auxquels ils font face quotidiennement, comment font ils en cette période ? Sont ils aidés ? Soutenus ? Applaudis ?
Il était une fois en MECS…
<strong>«Des travailleurs invisibilisés »</strong><span></span>
Il était une fois une France confinée. Sa devise bien entachée ne devait cependant pas le rester. L’égalité de mise : tous confinés ! n’était finalement pas toujours respectée par les plus aisés, ravis de pouvoir profiter de leur campagne avant l’été comme si de rien n’était. En revanche, les plus invisibilisés ont continué de travailler, pour livrer, aider, assurer le nettoyage ménager… Bref, la France était confinée, mais pas tous les français… Egalité ratée.
Liberté s’il en était de pouvoir venir et aller, désormais retirée. Beaucoup n’ont pas respecté histoire de se sentir au-dessus de la mêlée, sans comprendre que liberté ne vaut que si elle est partagée. Bref, en étant tous confinés, chacun renonce également à sa liberté au prix de la vie en collectivité momentanément mise de côté.
C’est cette collectivité qui fonde la notion de fraternité et suppose donc à la fois solidarité, conscience de l’altérité et prise en compte de la vulnérabilité. Cette fraternité a été annoncée dès le 16 mars comme une priorité. Une priorité de penser et d’aider ceux qui sont mobilisés, les hospitaliers, mais aussi tous ceux qui continuent de récupérer les impensés de la société.
Alors que chacun est confiné, désolé et désœuvré, seul ou entouré, quid de ceux qui sont toujours oubliés ?
<strong><em>«Une fraternité qui s'arrête aux portes des crises sanitaires» </em></strong>
Jusqu’ici tout allait bien dans les MECS, les enfants vaquaient à leurs occupations, riaient, jouaient, se disputaient, bref, une journée comme les autres.
Bien sûr, il n’y avait plus d’école depuis 8 jours déjà, une sorte de parenthèse, pas très enchantée, mais qui permettait néanmoins de découvrir combien les éducateurs, enfin ceux qui restent après les droits de retrait, les alertes et les arrêts-maladies posés, déduis, savaient déployer des compétences nouvelles. L’un s’improvise prof de français/maths pour une classe de 8 enfants, l’autre organise une chasse au trésor au sein de l’établissement pour respecter le confinement, quand le dernier réfléchit à une veillée adaptée aux enfants qui évite les cauchemars face à la morbidité ambiante qui réveille chez certains des angoisses archaïques.
Tout allait bien à la MECS car vraiment, ils avaient de la chance, comparé aux autres structures. Seulement 19 enfants, deux unités maintenues, une équipe encore à peu près au complet une fois les femmes enceintes mises à l’abri.
Tout allait bien à la MECS car l’équipe était confiante quant aux déclarations du gouvernement qui disait qu’il mettrait en œuvre l’égalité, la liberté et la fraternité en étant prêt à « mobiliser des agents » d’après ses émanations que sont le conseil départemental et la protection judiciaire de la jeunesse.
Dessin de travailleur social lors d’une formation © Benjamine WEILL
<em><strong>«Les enfants vivent en collectivité sans infirmière sur place ou mesure de santé»</strong><span></span> </em><strong></strong><i></i><u></u><sub></sub><sup></sup><del></del>
Tout allait bien à la MECS jusqu’à ce qu’un membre de l’équipe ait dû être remplacé. La Directrice, ne se fiant qu’aux déclarations émises et transmises par les autorités, sollicite donc le CD et la PJJ pour ce remplacement en urgence. Quelle ne fût pas sa surprise quand elle obtint la réponse de ceux sensés faire advenir liberté, égalité et fraternité !
La fraternité apparemment s’arrête aux portes des crises sanitaires… Eh oui, les agents, fonctionnaires d’état ou territoriaux, ne peuvent être « détachés », « mis à disposition » des associations assurant une mission régalienne par délégation de l’Etat et grâce aux fonds et dotations publiques….
Tout allait toujours bien à la MECS car le conseil départemental avait annoncé qu’il mettrait à disposition des établissements publics vides (type les écoles non utilisées actuellement) pour pouvoir accueillir les enfants s’ils étaient dépistés comme malade. En effet, s’il fallait le rappeler, les enfants confiés sur décision judiciaire ou administrative ne peuvent pas être remis à leur parents, la MECS constitue leur lieu de vie principal et ils y vivent en collectivité sans infirmière sur place ou mesure de santé. De ce fait un seul enfant malade peut contaminer tous les autres ainsi que l’équipe.
Tout allait donc bien à la MECS même si les premiers cas commençaient à se déclarer. Finalement, il s’est avéré que rien n’était organisé et que les équipes n’étant pas fonctionnaires n’étaient pas prioritaires. Chacun s’est donc organisé avec les moyens à bord de sa caravelle.
<strong>«Le risque de contamination des enfants protégés et des professionnels protecteurs»</strong>
Tout allait bien à la MECS, organisée aujourd’hui et prête pour affronter le plus dur demain. Comment imaginer que des demandes d’accueil en urgence, d’enfants susceptibles d’être touchés par le Covid 19, émaneraient de ces collectivités territoriales ? Non cela ne pouvait pas être possible.
Avait-elle conscience du risque de contamination massif (enfants protégés et professionnels protecteurs) avec de telles demandes sans aide médicale, sans protocole de soin, sans contribution à l’organisation, sans mobilisation ni financière ni humaine de leur part ? Non, tout irait bien à la MECS.
Que faire du trauma pour ces enfants, en rupture d’une heure à l’autre, de leur environnement familier ? Sans doute que non, enfin peut être que non. Le mieux en ces temps difficiles est sans doute de ne pas se poser la question : tout ira bien à la MECS.
En somme, tout allait bien à la MECS jusqu’à ce que chacun comprenne que la solidarité n’est pas une réalité, que les discours et propositions annoncées ne sont que des écrans de fumée et que la réalité de la fraternité est plus que diminuée.
Et pourtant, tout irait bien à la MECS si les enfants accueillis étaient reconnus comme des enfants à part entière, que le métier d’éducateur était plus valorisé et que l’accueil en protection de l’enfance était une réelle priorité.
* Benjamine Weill est philosophe et essayiste. Elle est également consultante, formatrice, accompagnatrice d’équipe dans le secteur social et médico-social. Son ouvrage « Chef de service dans le secteur social et médico-social : Enjeux, rôles et stratégies d’encadrement » est paru en 2013 aux éditions Dunod.