Tribune. J'ai 35 ans, je suis en couple, j'ai un enfant, un métier valorisant sur le papier, des revenus confortables, une maison, deux voitures et vraisemblablement, vu de l'extérieur, tout pour être heureux. Je ne suis pas dans les populations à risque pour le Covid-19 et je n'ai pas de proches potentiellement concernés. Mais je suis moi-même malade. Je souffre d'une autre maladie, que beaucoup minimisent, voire ne considèrent même pas comme une vraie pathologie. Je traverse des épisodes dépressifs depuis l'adolescence et la situation actuelle me met en danger. Et, comme pour le Covid-19, il n'y a pas de remède miracle.
Etre dépressif, cela ne veut pas dire avoir le spleen ou ne pas avoir le moral. Etre dépressif, cela veut dire que vous souffrez psychiquement. La vie devient une contrainte. Tout est une contrainte. Se lever de son lit. Manger. Regarder la télé. Sortir représente un obstacle quasiment insurmontable. Et plus vous vous enfoncez, plus votre simple existence vous paraît être un fardeau. Vous commencez par perdre l'espoir. Puis, à mesure que vous voyez tout en noir, vous perdez ce petit élément si important qui nous maintient en vie : l'incertitude que tout ne va pas se dégrader. Vous voyez que votre état fait souffrir vos proches et ce n'est plus la vie, mais vous-même qui êtes un fardeau pour les autres. Vous commencez à penser que ces derniers seront mieux sans vous, qu'ils seront peut-être tristes dans le court terme, mais qu'à long terme, c'est mieux pour tout le monde. Et quand vous en venez à acquérir la certitude que rien ne peut s'améliorer, vous vous dites «à quoi bon continuer de lutter ?». C'est ainsi que comme le Covid-19, la dépression tue.
Je n’attends pas votre compassion
Mes propos sont indécents à l’heure où nous traversons une crise sanitaire inédite, pensez-vous ? Je me plains en regardant mon nombril plutôt que ce qui se passe dans les Ehpad ou les hôpitaux ? Vous vous méprenez. C’est parce que je vois le drame humain que je me sens mal. Sachez que je n’ai pas besoin de vous pour culpabiliser : je me sens ridicule d’être mal, quand tant de malades souffrent, quand leurs proches angoissent, quand les soignants se donnent corps et âmes. Et je ne me plains pas, je n’attends pas votre compassion : je ne fais que témoigner de ce que je traverse, probablement comme de nombreux autres Français.e.s. en proie à la dépression. C’est pour eux que j’écris. Mais j’y reviendrai dans quelques instants.
J’ai traversé des drames importants, de vrais traumatismes, dans ma vie, qui, avec de probables prédispositions génétiques, ont provoqué chez moi des troubles dépressifs. J’ai été arrêté pendant un an et demi. Et pendant cet arrêt de travail, j’ai tenté de me suicider.
En France, les médecins aiment traiter la dépression en prescrivant des antidépresseurs. J'en ai pris et ils m'ont anesthésié – profitez du confinement et lisez Sérotonine de Michel Houellebecq si vous voulez comprendre ce qu'on ressent… ou plutôt ce qu'on ne ressent plus sous antidépresseurs ; enfin évitez, ce n'est pas le moment de lire un roman dépressif. Je n'avais plus d'émotions ni positives ni négatives. La vie était une succession d'informations traitées sans affect. Moi, l'«intello», je sentais aussi que mon cerveau fonctionnait au ralenti et j'en souffrais intellectuellement sinon affectivement. Je n'étais plus moi-même. Je ne veux plus de ces traitements qui m'ôtaient mon humanité, à savoir mon intellect et mes émotions. Imaginez regarder son enfant sans rien ressentir et vous vous ferez une idée du vide que l'on ressent dans cette situation.
N'ayez pas honte, je culpabilisez pas
A présent, toutes les planètes se sont alignées pour me mettre en grande difficulté. Moi l’hypocondriaque, je suis en panique face au Covid-19, aussi bien pour moi que pour mes proches. Moi, d’un naturel extraverti, qui ai besoin de sortir, de voir du monde pour me sentir bien, suis à la maison. Et comme tous les Français.e.s, je ne sais pas combien de temps cela va durer, ce qui m’angoisse. «M’angoisser» n’est d’ailleurs pas le bon terme, car j’ai dépassé ce stade. J’ai commencé par être dans le déni, en me disant que nous allions collectivement réussir à contenir le Covid-19. Puis le voyant se rapprocher de jour en jour, toucher un nombre croissant de gens, tuer chaque jour davantage, là, j’ai commencé à angoisser. A présent, je commence à perdre espoir. Oui, l’humanité va survivre à cette crise, mais à quel prix ? Des centaines de milliers de morts ? Une économie ravagée ?
Vous voyez, chaque jour je m’enfonce un peu plus. J’ai encore la tête hors de l’eau. Je me raccroche à tout ce qui va dans ma vie, à mon conjoint, à mon enfant, au fait que je ne suis pas à risque de forme grave de Covid-19. Mais toutes ces informations en continu sur les malades, les morts, les hôpitaux saturés, les soignants à bout, les pouvoirs publics impuissants me pèsent et appuient sur mes épaules. Je bois la tasse parfois en me laissant aller au désespoir. Puis je me ressaisis. Puis reviennent toutes ces infos en continu. Et rebelote.
Je suis pessimiste, vous dites-vous ? Non, je suis à risque de dépression. Ou peut-être déjà en phase dépressive, sans vouloir l’admettre. Je suis malade. Je n’ai pas plus choisi cette maladie que ceux qui contractent le Covid-19.
Mais je veux finir ce texte par un message d’espoir. Si j’ai traversé des épisodes de profonde dépression, j’ai toujours réussi à me relever et à retrouver une vie normale. Et cela, je veux le dire à tous ceux qui me lisent et qui se reconnaissent en lisant ces lignes. Les temps sont particulièrement durs et c’est normal de mal vivre cette situation. Mais vous n’êtes pas seuls à souffrir et vous ne l’avez pas choisi : vous le subissez.
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut se relever. N’ayez pas honte, ne culpabilisez pas : faites-vous aider par vos proches, par des associations d’écoutes et si cela ne suffit pas, par un professionnel. C’est ce que je fais et cela m’aide à tenir. Soyons solidaires. Courage.
Plusieurs dispositifs d'écoute sont disponibles pendant le confinement :
SOS-Amitié. Par téléphone au 01 42 96 26 26 (24h/24, 7j/7) ou tchat en ligne (de 13 heures à 3 heures du lundi au dimanche).
Suicide écoute. 01 45 39 40 00 (24h/24, 7j/7).
Alcool Info Service. Par téléphone 0 980 980 930 (de 8 heures à 2 heures du matin, 7j/7) ou tchat en ligne (de 8 heures à minuit).
Drogues Info Service. Par téléphone 0 800 23 13 13 (de 8 heures à 2 heures du matin, 7j/7) ou tchat en ligne (de 8 heures à minuit).
Pour les femmes victimes de violences conjugales, le 39 19 (de 9 heures à 19 heures, du lundi au samedi) ou en ligne sur Arretonslesviolences.gouv.fr (24h/24, 7j/7). Ou le 114 par SMS.
Pour les enfants en danger, le 119 (24h/24, 7J/7).
La Croix Rouge. Par téléphone au 09 70 28 30 00, une ligne mise en place pour la période du confinement.