Tribune. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, l'a annoncé le 3 avril : les traditionnelles épreuves des examens de fin d'année, en particulier du baccalauréat, sont annulées et remplacées par le seul contrôle continu. La propagation du coronavirus a créé une situation inédite et nécessitait des mesures exceptionnelles. Existe-t-il cependant des précédents dans notre histoire récente ? Au cours du XXe siècle, l'éducation nationale a dû affronter plusieurs crises (militaires, politiques ou sociales) et s'était même préparée dès 2004 à un scénario très proche de celui que nous vivons actuellement.
Grande Guerre : examens maintenus et adaptés
Alors qu'une partie des établissements scolaires est fermée temporairement et de manière préventive au cours des deux conflits mondiaux, pour des raisons de sécurité liées à la proximité des combats, aux bombardements, le maintien de l'activité scolaire passe notamment par l'organisation des divers examens : le certificat d'études et les brevets dans l'enseignement primaire, le baccalauréat dans l'enseignement secondaire, et les diplômes universitaires, y compris les soutenances de thèse. Ils ne concernent alors qu'une faible minorité d'élèves et d'étudiants. Même dans les départements du nord de la France occupés par l'armée allemande entre 1914 et 1918, les examens sont maintenus et adaptés, avec l'espoir d'une validation par le ministère selon les critères habituels une fois le conflit achevé, d'après Jean-François Condette, auteur de la Guerre des cartables, 1914-1918. Elèves, étudiants et enseignants dans la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Calais. Ainsi, entre 1915 et 1918, à Lille, sont organisées dix sessions du baccalauréat, auxquelles s'ajoutent des sessions délocalisées pour faire face aux difficultés de déplacement.
Seconde Guerre mondiale : le bac a lieu malgré les combats
Entre 1940 et 1944, alors que l'exode du printemps 1940 a entraîné de fait des fermetures massives dans les départements de la France septentrionale, les épreuves du baccalauréat ont lieu. Celles de juin 1944 sont, en revanche, très perturbées. Les écrits, allégés des mathématiques et de l'histoire, se tiennent mais après le débarquement des troupes alliées en Normandie, les oraux ne peuvent se dérouler et une nouvelle session doit être organisée en octobre 1944. Dans l'académie de Caen, des copies ont même été perdues ou détruites dans les combats. La presse collaborationniste n'hésite pas à affirmer courant juillet que «les jurys ont été en général plus indulgents cette année». Ce mauvais procès du «bac au rabais» est aussi intenté aux bacheliers de 1968.
Avec Mai 68, on aménage
Après le mouvement social de mai 1968, une session aménagée et allégée du baccalauréat est organisée fin juin, avec uniquement des épreuves orales, les conseils de classe étant au préalable chargés de formuler une appréciation sur les aptitudes écrites des élèves à partir de leurs livrets scolaires. Des dispositions analogues sont prises pour le brevet d’études du premier cycle (BEPC), ancêtre du diplôme national du brevet (DNB), mais les épreuves écrites du brevet élémentaire comme du concours d’entrée à l’Ecole normale ont été maintenues (1). A cette époque, la question des épreuves de rattrapage du baccalauréat ne se pose guère puisque les épreuves avaient traditionnellement lieu en septembre. L’attribution des mentions est conservée. Des modalités propres sont arrêtées au niveau académique. A Amiens, les candidats sont interrogés sur les enseignements reçus avant le 30 avril. Cependant, il n’y avait, dans ces cas de crise, aucune dimension sanitaire de l’ampleur de la pandémie de Covid-19.
Crise sanitaire : le précédent 2004-2006
Alors que la propagation d'une grippe aviaire de type H5N1, en 2004, fait craindre une possible transmission à l'homme, le ministre de l'Education nationale, comme ses autres collègues du gouvernement, doit élaborer un plan d'anticipation et d'organisation de ses services en cas de crise. Gilles de Robien détaille ces mesures lors de son audition par une commission parlementaire d'évaluation, le 29 mars 2006 : délivrer le brevet des collèges uniquement à partir du livret scolaire ; le baccalauréat, selon le moment de la déclaration de la pandémie, à la suite d'une seule session en septembre, ou une session allégée en juin avec rattrapage en septembre, voire à partir des seules épreuves écrites ou des seules épreuves orales ; enfin, retarder le calendrier des concours de recrutement des professeurs, dont les oraux nécessitent des mobilités importantes, avec des admissions qui pourraient être prononcées à l'automne, et un aménagement de la formation initiale. Des fermetures d'établissements sont également envisagées, ainsi que des mesures de «maintien de la continuité pédagogique» à distance. Elles sont reprises en 2009 dans le plan grippe A (H1N1) de Luc Chatel, ministre de l'Education nationale jusqu'en 2012, dont le directeur général de la DGESCO (Direction générale de l'enseignement scolaire) est un certain Jean-Michel Blanquer.
Si la création des épreuves communes de contrôle continu (E3C) avait fait polémique, le passage au contrôle continu complet pour délivrer le fameux diplôme cette année est largement accepté - il était même attendu - par les syndicats enseignants. C'est «la moins mauvaise solution», selon le Snes. Qu'en sera-t-il ensuite ? Ce vieux débat n'est probablement pas clos : dans la longue histoire du bac, des médecins souhaitent, dès les années 1880, son remplacement pur et simple par le contrôle continu afin de lutter contre le surmenage intellectuel des lycéens !
(1) De 1981 à 1986, le brevet des collèges prenait en compte toutes les disciplines à parité sur la base du contrôle continu. C'est Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Education nationale entre 1984 et 1986, qui est à l'origine du rétablissement d'un examen terminal.