Tu es celui qui ne reste jamais. Tu appelles, tu veux savoir comment va ce corps que tu laisses brûlant, essoufflé, frissonnant quand tu pars. Je décroche. Oui, je respire. Et là, c’est toi que j’entends respirer dans le combiné. Tu dois être dans le garage, pour ranger enfin les outils, ou à la cave, à trier tes bouteilles et tes affaires. Je songeais qu’un jour, il n’y aura plus rien à ranger dans les coins.
Ce matin-là, je te dis que j’ai pris une grande décision en ouvrant les volets. Je devais me rendre à l’évidence, je n’arriverai jamais à faire pousser de l’herbe sur la bande de terre qui sépare mon appartement de la rue. La nature a peut-être repris ses droits mais ce sont toujours les oiseaux qui gagnent sur les graines de gazon. Alors je te le dis, je renonce. Je vais mettre du gravier, après. Quand la vie pourra s’écouler à nouveau dehors, quand sera à nouveau autorisé de sortir pour le superflu, le non-essentiel, le non-impérieux, le non-indispensable. Pour le gravier comme pour l’amour. Il me faut peut-être mettre des bordures autour des fleurs. Toi, tu as justement des galets dans ton jardin, depuis le temps que tu veux t’en débarrasser. Alors tu as pris ta pelle, tu les as déterrés un à un, tu as chargé des seaux, chargé ton coffre de bagnole. Tu t’es enfin occupé des galets.
J’ai reconnu le bruit de ton pas dans la cour arrière. Bientôt tu jettes un œil. Toi, plein cadre, au centre du monde. Ma fenêtre. Vision irréelle. Et me voilà côté jardin, en esc