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Libération
TRIBUNE

En cédant à l’autocratie, la Hongrie empoisonne les idéaux européens

Depuis le 30 mars, le Parlement hongrois a autorisé le Premier ministre Viktor Orban à gouverner par décret pour une durée pratiquement illimitée. Plusieurs personnalités européennes s’alarment de cette grave violation des traités de l’Union européenne, de la Charte des droits fondamentaux et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Des officiers de police militaire patrouillent à Budapest, en Hongrie, le 6 avril. (Photo Bernadett Szabo. Reuters)
par Le mouvement Civico Europa
publié le 19 avril 2020 à 18h51

Nous, Européens, devons combattre deux virus simultanément et avec la même détermination : le Covid-19, qui s’attaque à nos corps, mais aussi une autre infection grave qui affecte nos idéaux et nos démocraties.

Le 30 mars 2020, le Parlement hongrois a adopté une loi qui permet au gouvernement de suspendre l’application de certaines lois, de s’écarter de certaines dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et de prendre des mesures extraordinaires par décret pour une durée pratiquement illimitée. Avec de nouvelles restrictions s’appliquant à l’information et aux médias. Une telle concentration de pouvoir est sans précédent dans l’Union européenne. Elle ne sert pas la lutte contre le Covid-19 ou contre ses conséquences économiques. Elle ouvre plutôt la porte à tous les types d’abus, avec des biens publics et privés qui sont désormais à la merci d’un exécutif qui n’a plus de comptes à rendre. C’est l’aboutissement de dix années de dérive autoritaire de la Hongrie, et c’est dangereux. C’est en effet avec une grande inquiétude que nous avons observé le Premier ministre hongrois embarquer son pays sur une voie qui s’est progressivement écartée des normes et valeurs européennes au cours de la dernière décennie. Cette prise de pouvoir en réponse à l’épidémie de Covid-19 n’est qu’un nouveau chapitre alarmant d’un long processus de régression démocratique. L’opposition politique, le dialogue social et la liberté d’expression ont été de plus en plus muselés, avec pour conséquence des universités, des centres culturels, des groupes d’entreprises et des organisations de la société civile souffrant du poids de l’autoritarisme de Viktor Orbàn.

Le Parlement européen a analysé et condamné à deux reprises cette dérive antidémocratique avec les rapports Tavares et Sargentini de 2013 et 2018. Pour tous ceux qui croient aux valeurs de l’État de droit et de la démocratie, l’inaction n’est pas de mise. L’Union risque de discréditer tous ses efforts en faveur des processus démocratiques, de l’Etat de droit, de la transparence, de la solidarité et du dialogue social, non seulement auprès des Etats-membres mais également auprès des pays candidats. Pour faire face à cette pandémie qui touche une génération entière, tous les pays de l’Union européenne sont amenés à adopter des mesures difficiles qui, jusqu’à un certain degré, limitent les droits de leurs citoyens. Toutefois, ces mesures doivent rester proportionnées, justifiées, et de nature temporaire. Gouverner par décret pour une durée pratiquement illimitée constitue une violation grave des traités de l’Union européenne, de la Charte des droits fondamentaux et de la Convention européenne des droits de l’homme.

Voilà pourquoi, dénoncer et sanctionner l’attaque de Viktor Orbán contre la démocratie est aujourd’hui plus crucial que jamais.

En conséquence, nous appelons toutes les parties prenantes - institutions européennes, autorités nationales, citoyens, société civile et médias - à être aussi vigilants que possible. Il est temps de se mobiliser et d’agir collectivement à grande échelle. Nous appelons les médias nationaux à couvrir la situation en Hongrie, au besoin quotidiennement. Nous leur demandons également d’accorder aux citoyens hongrois, comme aux citoyens européens, le libre accès à leur contenu qui est la garantie d’une information pluraliste et indépendante. Nous demandons à la Commission européenne, en tant que gardienne des traités, de réagir d’urgence et de proposer des sanctions proportionnelles à la gravité d’une telle violation inacceptable des règles et des valeurs européennes. Le Parlement européen et le Conseil devraient adopter ces sanctions au plus vite.

Le Covid-19 doit être et sera vaincu grâce à des processus démocratiques, une action transparente, et une information pluraliste. C’est en défendant ces valeurs que nous pourrons mobiliser la population européenne et obtenir son soutien pour qu’ensemble nous puissions sortir de cette crise. Nous appelons enfin tous les citoyens européens à considérer que ce qui se passe en Hongrie n’est pas éloigné d’eux, mais qu’il s’agit d’une menace fondamentale pour notre avenir commun. Il est temps pour nous tous de faire preuve d’unité dans ce combat. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement notre santé, mais nos idéaux communs, et la survie de notre Union et de nos démocraties.

Sur l’initiative des fondateurs du mouvement Civico Europa :

László Andor (Hongrie), économiste, ancien commissaire européen, Guillaume Klossa (France), coprésident de Civico Europa, directeur de l’Union européenne de Radiotélévision (2013-2018) et ancien sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe, Francesca Ratti (Italie), coprésidente de Civico Europa, ancienne secrétaire générale adjointe du Parlement européen, Guy Verhofstadt (Belgique), ancien Premier ministre, député européen.

Avec les contributeurs de Civico Europa :

Gian-Paolo Accardo (Italie), rédacteur en chef de VoxEuropa, Brando Benefei (Italie), député européen, András Bozóki (Hongrie), professeur, ancien ministre de la Culture, Jean-Pierre Bourguignon (France), mathématicien, ancien président du Conseil européen de la recherche, Franziska Brantner (Allemagne), députée, porte-parole des Verts, ancienne députée européenne, Uffe Ellemann-Jensen, (Danemark), ancien ministre des Affaires étrangères, Cynthia Fleury (France), philosophe, psychanalyste, Markus Gabriel (Allemagne), philosophe, Ulrike Guérot (Allemagne), politiste, Srećko Horvat Croatie), philosophe, Danuta Hübner (Pologne), députée, ancienne membre de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker (Luxembourg), ancien président de la Commission européenne, ancien Premier ministre, Aleksander Kwaśniewski (Pologne), ancien président de la République, Bernard-Henri Lévy (France), philosophe, Cecilia Malmström (Suède), ancienne ministre, ancienne commissaire européenne, Alexandra Mitsotaki, présidente du World Human Forum, Carlos Moedas (Portugal), ancien membre de la Commission européenne, Jonathan Moskovic (Belgique), consultant en innovation démocratique, Stojan Pelko (Slovénie) ancien ministre de la Culture, Rossen Plevneliev (Bulgarie), ancien président de la République, Magali Plovie (Belgique), présidente du Parlement francophone bruxellois, Miguel Poiares Maduro (Portugal), ancien ministre du Développement régional, Vesna Pusić (Croatie), sociologue, députée, ancienne vice-Première ministre, ancienne ministre des Affaires européennes, Nina Rawal (Suède), entrepreneure, Michel Reimon (Autriche), ancien député européen, Maria João Rodrigues (Portugal), ancienne ministre du Travail, ancienne députée européenne, présidente de la Foundation for European Progressive Studies, Petre Roman (Roumanie), ancienPremier ministre, Taavi Rõivas (Estonie), ancien Premier ministre, Fernand Savater (Espagne), philosophe, Roberto Saviano (Italie), écrivain et journaliste, Gesine Schwan (Allemagne), ancienne présidente de l'université européenne Viadrina, ancienne candidateaux élections fédérales, Majda Širca (Slovénie) ancienne ministre de la Culture, Claus Sørensen (Danemark) ancien directeur général de la Commission européenne, Denis Simonneau (France) Président de Europa Nova, Vladimír Špidla (République tchèque), ancien Premier ministre, ancien membre de la Commission européenne, Cédric Villani (France), mathématicien lauréat de la médaille Fields, député français, Sasha Waltz (Allemagne), chorégraphe et directricede la  Sasha Waltz compagnie, Slavoj Žižek (Slovénie), philosophe.

Ce texte est publié simultanément dans plusieurs journaux européens parmi lesquels : Publico, Die Welt, La Stampa, Delo, Die Press, Nepszava, Vox Europa, Gazeta, Le Soir, Aftonbladet, Politiken, De Morgen, Postimees, Ekatherimi, Nepszava, Denik Referendum, Tageblatt, Capital, Jurarnji.hr…