Tribune. Dans un décret du 28 mars, le gouvernement autorise les pharmacies de ville à délivrer temporairement du Rivotril. Il pourra être utilisé sous certaines conditions pour les patients qui souffriraient de l'angoisse panique de l'étouffement dans le cadre d'infections à coronavirus. Dans des Ehpad actuellement très touchés par la pandémie, nombre de patients âgés, fragiles et parfois en fin de vie souffrent de ce symptôme qui oblige les soignants à recourir à ce produit ou à d'autres de la même classe.
Soulagement des symptômes
Ce décret a entraîné des réactions contrastées voire extrêmes. Les médecins se sont vus accusés d'«achever» les patients, dans le simple but de palier à la masse de travail engendrée par la pandémie. Nous affirmons qu’il n’est pas fondé d’assimiler l’usage de cette molécule à de l’euthanasie. Le clonazépam (à la base du Rivotril) est l’une des molécules utilisées pour soulager l’anxiété chez les patients en fin de vie. Dans le cadre de cette épidémie, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a élaboré des protocoles. Ils préconisent l’emploi du Rivotril à des doses adaptées à l’âge, au poids et aux maladies chroniques dont les malades seraient atteints. Son utilité pour traiter l’anxiété est largement démontrée ainsi que son association à la morphine, dont l’action est reconnue dans le soulagement des troubles respiratoires. Dès lors, nous n’hésitons pas à l’utiliser dans les cas de détresse respiratoire lorsque l’usage de médicaments aux propriétés anxiolytiques s’impose pour en réduire la perception pénible. Le Rivotril, l’Hypnovel, le Valium ou le Tranxène, et d’autres de la même classe, utilisés aux doses thérapeutiques, n’ont jamais été les médicaments de l’euthanasie. Les drogues utilisées dans les pays où elle a été rendue possible sont connues et bien différentes.
Plus graves nous semblent être les propos des médecins de l'association Choix, citoyens pour une mort choisie publiés sur le site de Libération qui affirment que l'assouplissement de la délivrance du Rivotril est «une reconnaissance officielle de l'aide médicale à mourir». Ces propos créent un amalgame entre la question de la gestion économique de la santé et la question, elle, philosophique, du concept d'utilité appliqué à la fin de l'existence. Nous pensons que l'urgence est d'abord à la solidarité avec les personnes âgées isolées et les familles ne pouvant pas accompagner leur proche malade. La priorité doit aller au soulagement des symptômes des mourants, sans arrière-pensée délétère et au soutien des soignants qui font face à ces situations difficiles. Enfin, il nous semble indispensable de mettre à disposition des Ehpad les conditions matérielles (dont médicamenteuses) et humaines pour un accompagnement palliatif le meilleur possible. Nous posons cette question : le souhait des familles de personnes âgées confinées est-il de les voir euthanasiées ou plutôt de les savoir accompagnées et soulagées des symptômes pénibles provoqués par l'insuffisance respiratoire ?
Confiance réciproque
Pour nous, médecins en soins palliatifs, laisser un patient mourir dans la souffrance est impensable. De même, il nous est interdit de provoquer sa mort. La frontière entre soulager un symptôme et provoquer délibérément la mort peut sembler ténue. Elle ne l’est pourtant pas, tant les intentions et les drogues qui servent l’un et l’autre acte sont éloignées. Diminuer la perception d’une gêne insupportable au moyen de molécules qui entraînent une perte de vigilance du patient n’est pas un acte anodin. Toujours précédé d’une procédure collégiale, il n’est utilisé qu’en ultime recours. Cet acte requiert une confiance réciproque entre le patient, le médecin et les autres soignants. Les polémiques déclenchées au sujet du Rivotril sont de ce point de vue déplorables mais n’entament pas notre obligation de soin et notre devoir de solidarité. Profiter de cette terrible épidémie et des souffrances qui en découlent pour faire avancer un agenda vers l’autorisation de l’euthanasie ou du suicide assisté est inapproprié.
La Mort d'Ivan Ilitch contée par Léon Tolstoï nous enseigne à quel point l'approche inéluctable de la mort provoque une irrépressible et insaisissable angoisse. Par la voix de son jeune maître d'hôtel, Gerasim, il nous rappelle que la confiance entre le mourant et le bien portant ne peut s'établir que dans un rapport authentique et sincère. La relation entre le public et la médecine, tout comme la relation entre le patient et ses soignants, ne peuvent se passer de confiance. L'incertitude est source de défiance et, lorsqu'il s'agit de vie et de mort, la transparence est essentielle. En ces temps troubles et pétris d'incertitude, nous, soignants, devons garantir en toute transparence les principes éthiques qui guident nos décisions. Loin d'être adaptés à toutes les situations singulières, ces principes doivent cependant permettre au pacte de confiance de se maintenir malgré la tempête.
Cette tribune est proposée par le groupe «Grain de sel» du collège des médecins de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Les signataires sont tous médecins :
Catherine d'Aranda, Benjamin Autric, Marie Bacquelin, Alix de Bonnières, Jean-Jacques Chever, Malika Daoud, Esther Decazes, Elisabeth Dell'Accio, Etienne Jarrossay, Clémence Joly, Christine Lévêque, Elisabeth Quignard, Alexis Petit, Colette Peyrard, Julie Pouget, Bruno Rochas, Michel Sans-Jofre, Sylvie Schoonberg.