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Blog «Géographies en mouvement»

Covid-19 : miracle au Viêtnam ?

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Pays limitrophe avec la Chine (1300 km de frontières), le Vietnam a passé la pandémie sans déplorer le moindre décès. Un bilan unique au monde, jugé crédible par l’université Johns-Hopkins. L’occasion de méditer sur ce qu’on appelle «pays riches» et «pays en développement» face à une pandémie mondiale… Sans nouveau cas depuis une semaine, Hanoi passe de situation «hautement risquée» à «risquée» et libère aujourd'hui la population du confinement.
Source :https://fr.vietnamplus.vn/
publié le 23 avril 2020 à 13h28
(mis à jour le 4 juin 2020 à 15h31)

Dans un pays de 93 millions d’habitants sur la moitié de la superficie de la France, le pays aura affiché seulement 268 cas de Covid19 et 202 guéris.On ne pourrait que chanter les louanges de l’Etat vietnamien dans sa gestion de la crise. Il faut y regarder de plus près pour comprendre pourquoi le virus d’origine chinoise n’a pas trouvé la moindre porte pour forcer la frontière avec la Chine.

Faute de moyens financiers importants, l’Etat ne s’est pas lancé dans les dépistages de masse mais a pu opter sur l’identification des personnes infectées. Il y en eut jusqu’à ce jour 75.000 mis à l’écart dans des camps militaires et des hôtels privés réquisitionnés, sans oublier quelques villages et quartiers coupés du monde pendant deux semaines. Toute personne contaminée ou ayant fréquenté un contaminé est mis en quarantaine, en devant faire la liste des lieux et personnes fréquentées pendant les deux semaines qui ont précédé. Gare aux touristes fuyards qui ont eu la police aux trousses.

La fameuse distanciation sociale (chez nous, le confinement) s’est négociée au quotidien avec les autorités locales chargées de les faire appliquer. Des règles ouvertement enfreintes (comme la pratique du sport dans les parcs) qui ont poussé à des dénonciations par la presse, engageant de nouveaux contrôles. La grande majorité des vendeuses ambulantes (migrantes rurales) ont cessé leurs activités et sont retournées dans leurs villages. Seules, certaines ont continué leur activité discrètement et n’ont, apparemment, pas été ennuyées. Une situation de survie pour des populations pauvres qui tentent de subsister en vendant quelques fruits. La vidéo d’une arrestation musclée d’une vendeuse ambulante à Ha Long a fait le buzz, les internautes exprimant leur compassion pour cette dame.

Pour le géographe Michaël Bruckert, «c'est une pratique flexible de l'autorité publique qui s'explique par une forme de délégation de responsabilités, dans laquelle le gouvernement central confie l'application des mesures aux autorités municipales qui délèguent à l'échelon des districts, des communes et finalement des chefs d'îlots, représentants locaux du Parti. »

Les informations sont transmises par haut-parleurs dès 6 heures du matin. Les gardiens d'immeuble contrôlent les sorties, baissent le rideau. Le confucianisme supposé de la société locale est plus loin de la réalité où, pour Benoit de Tréglodé (Institut de recherche stratégique) une «forte intrusion dans la sphère individuelle [avec l'application Ncovi] ne constitue pas un enjeu politique dans ce pays à régime autoritaire».

Comparé à l'amateurisme qui a prévalu au ministère de la santé en France, on applaudit le Vietnam qui a suspendu les liaisons aériennes avec la Chine et bouclé les frontières terrestres quelques jours après les premières alertes sanitaires du 16 janvier. Toutes mesures prises malgré les protestations de la Chine qui est le premier partenaire commercial et investisseur. La production des masques a été multipliée, les écoles fermées au retour des vacances du Têt. Certains villages ont été bouclés, des quartiers désinfectés, des hôpitaux et des hôtels fermés. Le souvenir du SRAS a simplifié l'acceptation des masques par la population le 1er avril dans tout espace public avec confinement obligatoire pour une quinzaine, puis récemment, relâchement progressif selon les régions.

La communication n'a rien à voir avec le cafouillage français et les vaticinations de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Les sorties d'hôpital sont mises en scène, les touristes témoignent du fait qu'ils ont été bien traités. Pour Michaël Bruckert, «le consentement de la population est méthodiquement construit, avec des accommodements à toutes les échelles». Les enquêtes épidémiologiques sont détaillées. Avec un système de soins peu développé à l'inverse de la Corée ou de Taïwan, l'arrivée massive de cas Covid créerait une crise grave : tout est donc anticipé. Cette prudence existe aussi dans d'autres pays en développement africains où l'épidémie d'Ebola a préparé les populations à se protéger elles-mêmes. Au Vietnam, le risque est perçu différemment de l'Europe : certes, l'inconnu ou le mal-connu est considéré en Asie comme risqué mais le familier ne peut l'être : avant la généralisation des mesures de distanciation sociale (entre le 1er et le 22 avril), on n'allait plus au restaurant, mais on continuait à se serrer entre collègues dans un petit bureau pour manger des plats communs, on évitait l'espace public mais on se retrouvait dans des grands rassemblements familiaux où l'on était convaincu que rien ne pouvait arriver.

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23 avril 2020 : Hanoï met fin à la distanciation sociale à partir de 0h00 , à l'exception des districts de Mê Linh et de Thuong Tin. Photo CNA/VN