Texte d'Adama Aly PAM, docteur en histoire et chef archiviste de l'UNESCO.
Le
21 juin 1900, un cas caractérisé de fièvre jaune, suivi de décès fut signalé à
Rufisque. Un arrêté mettant la ville en quarantaine instaurant un cordon
sanitaire à un kilomètre autour de la ville de façon à l’isoler du reste de la colonie,
fut immédiatement pris. Le service du chemin de fer fut suspendu entre Rufisque
et Thiès. Des dispositions prises pour assurer l’évacuation immédiate de la
population européenne vers la métropole.
A Gorée, l’évacuation de la garnison sur un point de la côte aux
environs de Yoff fut également décidée. Pendant que les populations quittent la
colonie, les villes s’organisent et se protègent contre les risques
d’introduction de la maladie. La surveillance se fit beaucoup plus rigide au
mois d’août. Désormais, les maisons dans lesquelles se manifestent des cas de
fièvre jaune furent mises sous surveillance policière, les cimetières
surveillés et les conditions d’inhumation des personnes décédées de la maladie
réglementées. A Saint-Louis, l’arrêté du maire de la ville précise que toute
personne décédée de la fièvre jaune, à quelque religion qu’elle appartienne,
sera mise en bière. Dans le cas de décès de musulman, la police sera chargée de
veiller à ce que cette prescription soit observée. De la chaux vive sera mise
dans le cercueil et, plus tard au moment de l’enterrement il en sera encore
répandu dans la fosse. Un agent de police veillera à ce que, s’il s’agit d’un
musulman le corps ne soit pas retiré de la bière au dernier moment.
De la même manière que les aéroports du monde
entier ont été pris d’assaut par des foules fuyant l’épidémie du COVID19 en
cours ou annoncée, les populations apeurées par l’épidémie de fièvre jaune de
1900 se bousculaient autour des paquebots en partance de Bordeaux et de
Marseille. Pour faire face aux fléaux récurrents, l’administration coloniale a
mis en place un dispositif administratif et technique de veille sanitaire dont
les mécanismes opératoires demeurent d’actualité.
I - Le cadre administratif de la défense sanitaire de la colonie
Le décret du
31 mars 1897, institue l’obligation de la vérification de l’état de santé à
l’embarquement et au débarquement des personnes et de prendre des mesures en
cas d’épidémies. Les navires trafiquants étaient mis en quarantaine pour 3 ou 9
jours sous le régime de suspect et devaient subir la visite médicale des
passagers et équipage, la désinfection des vêtements et objet de literies. Ce texte
institue en même temps le régime du passeport sanitaire. Par ailleurs, dès
qu’une région est déclarée infestée, toutes les autres sont interdites de
communication avec elle y compris les territoires étrangers. Pour rendre ces
mesures efficaces, il avait été créé des représentations sanitaires
diplomatiques qui avaient pour mission de suivre la situation sanitaire de la
colonie concernée. Il est prévu, selon la gravité de la situation, trois
régimes : le régime de danger imminent pour la santé publique, celui de la
surveillance sanitaire.
-
Le régime de danger imminent qui est appliqué dans les régions où
certains indices et certaines conditions spéciales font redouter un réveil amaril.
Il comporte d’abord pour tous les habitants sans distinction l’intensification
de toutes les mesures relatives à la destruction des moustiques ; ensuite
l’obligation d’une chambre grillagée par appartement, l’isolement immédiat sur
place sous grillage ou moustiquaire de tout fébricitant suspect ; l’obligation
pour tous les voyageurs en zone de danger imminent d’être munis d’un passeport
sanitaire et de se soumettre à une visite médicale tous les trois jours pendant
la durée de leurs déplacements; ces dernières mesures sont applicables aux
personnes de race blanche.
-
Le régime de surveillance qui est appliqué dans un centre ou un quartier
nettement isolé, il se produit quelques cas sporadiques de fièvre jaune ne
constituant pas un foyer. En sus des mesures précédentes, il entraîne la
fermeture des lieux de réunion à 21 heures ; l’obligation d’une protection
grillagée pour le personnel de race blanche employé dans les bureaux, magasins
ou ateliers, du coucher au lever du soleil, des moyens de protection
individuels pour le personnel des chantiers à ciel ouvert pendant le même temps
; l’obligation de la moustiquaire pendant la nuit ; l’isolement immédiat sur
place de tout fébricitant; l’obligation pour tous les voyageurs sortant de la
zone sous surveillance d’un passeport impliquant une visite journalière pendant
six jours.
-
Le régime de l’observation sanitaire qui est appliqué également dans une
zone quand plusieurs cas de fièvre jaune « constituant ou menaçant de
constituer des foyers. » Les mesure ci-dessus sont aggravées par la fermeture
des lieux de réunion de 18 heures à 6 heures, exception faite des restaurants
qui sont protégés par des grillages ; l’interdiction du travail de nuit pour le
personnel de race blanche sur tous les chantiers et en tous les endroits non
protégés à moins que le dit personnel soit pourvu de moyens de protection
individuels
aux personnes ayant à circuler la nuit; l’obligation de 6 jours d’observation
sanitaire pour pouvoir sortir de la zone interdite sauf pendant le jour où des
laisser-passer valables de 6 heures à 18 heures pourront être exceptionnellement
délivrés dans des cas d’urgence ; la démoustication des trains des voyageurs ;
celle des navires ayant accosté à quai et enfin l’interdiction ou la
démoustication des marchandises susceptibles de transporter des moustiques.
Pour
veiller à une stricte exécution de ces mesures de protection, il est institué des
organes administratifs de surveillance et de gestion des problèmes sanitaires.
Il s’agit des Commissions sanitaires, des Conseils d’Hygiène et de salubrité
publique.
LES COMMISSIONS SANITAIRES.
Institué d’abord à Gorée le 10 Août 1859, par arrêté du Commandant
supérieur du deuxième arrondissement, il sera procédé le 16 Août de la même
année à l’instauration d’une autre commission à Saint-Louis. Il s’agissait pour
ces commissions d’examiner et de proposer les mesures propres à préserver la
colonie d’une épidémie de fièvre jaune qui sévissait en Sierra Leone. Mais ce
n’est qu’en 1874, qu’un arrêté fixa la composition de ces commissions et essaya
de déterminer ces compétences. L’article 04 de l’arrêté du 19 mars 1874,
disposait : «Les commissions seront principalement consultées sur les
mesures à prendre à l’égard des bâtiments venant du dehors ou d’un point
quelconque de la colonie avec une patente brute ou au bord de laquelle il y
aurait lieu de craindre quelque maladie suspecte. Leurs délibérations serviront
de base aux décisions du Gouverneur ou du Commandant supérieur de Gorée en
matière de quarantaine. Elles pourront d’ailleurs donner leur avis sur les
questions hygiéniques relatives au régime intérieur des lazarets, au choix des
emplacements à affecter aux navires en quarantaine ou à tout autre détail du
service sanitaire» Ces commissions avaient sensiblement la même
composition. Celle de Saint-Louis était constituée par : l’ordonnateur qui en
était le président, le médecin en chef, le maire, le major de la garnison, le
chef de service pharmaceutique, un médecin de première classe de la marine, le
chef de service des douanes, le capitaine du port et deux habitants notables
nommés chaque année par le gouverneur. Un commis de la marine faisait office de
secrétaire.
LES CONSEILS D'HYGIENE ET DE SALUBRITE PUBLIQUE.
Pour faire face à l’épidémie de fièvre jaune qui a pendant deux
hivernages consécutifs régné sur la colonie (1866-1867), il est mis sur pied
par arrêté du gouverneur de la colonie du 25 août 1867, de deux conseils
d’hygiène et de salubrité publique à Saint-Louis et à Gorée. Ces conseils sont
consultés sur les objets ayant trait à l’assainissement de leur localité, sur
la salubrité des édifices publics (écoles, hôpitaux, prisons etc...) et aux
mesures à prendre pour prévenir les épidémies et les épizooties. Ces
commissions fonctionneront jusqu’en 1900 date du remaniement de leur
composition et de leurs prérogatives en vue de les mettre en conformité avec la
nouvelle politique sanitaire, destinée à prendre en charge la protection des
civiles et des indigènes. Il faut signaler, qu’à défaut d’être légalement
instituées, les structures sanitaires citées supra ont quelquefois apporté le
secours de l’art médical aux population indigènes. On notera que dans les
postes médicaux, les médecins militaires ont usé de la médecine pour accroître
l’influence de la France auprès des populations soumises. Toutefois, c’est
véritablement en 1893 que l’on nota la première action de grande ampleur menée
par ces derniers par l’organisation d’une campagne de vaccination
antivariolique.
Les premiers dispensaires ont été créés en 1896, à Saint-Louis,
Rufisque et Dakar. L’arrêté du ministre des colonies du 10 mars 1897, autorisa
l’entrée des hôpitaux à toutes les catégories de malades sans exception,
fonctionnaires, agents des services civils et municipaux, colons, familles et
natifs et ceci dans le but avoué de réduire les dépenses de la métropole. La
redoutable épidémie de fièvre jaune de 1900 qui fit plusieurs victimes
européennes et provoqua le rapatriement de quelque 3000 Européens en mettant en
question l’avenir économique de la colonie, apporta de multiples enseignements
dont celui de la nécessité de définir une nouvelle politique d’action sanitaire
globale basée sur l’hygiène et la santé de tous aussi bien des indigènes que
des Européens et assimilés. C’est l’œuvre du 14 avril 1904 qui, dans son
rapport de présentation, attira l’attention du Président de la République sur
«la nécessité de réglementer la protection de la santé publique et d’armer
les autorités locales des pouvoirs indispensables en vue de sauvegarder la
santé des colons et des populations indigènes».
II – Les hôpitaux coloniaux
entre soins et surveillance des Indigènes
Le réseau des structures sanitaires à Saint-Louis, le plus important de la
colonie, se limitait à
l’hôpital militaire, terminé en 1822 et considéré
à l’époque comme un modèle des hôpitaux coloniaux était en mesure d’accueillir
164 malades. Toutefois, cet hôpital était, comme son nom l’indique strictement réserver
aux militaires. Cette destination est révélée par l’inexistence de services de
gynécologie et de pédiatrie. L’hospice civile dont la date de création
remonterait probablement vers 1853-1854, avait en 1868 une capacité d’accueil
de quarante (40) lits. Il n’y avait selon le médecin CARPOT, ni la salle de
bain, ni le matériel approprié pour accueillir les fous qu’il recevait
régulièrement.
L'Hospice civil, actuel lycée des jeunes filles Ameth Fall est malgré sa dénomination, les conditions d'accès étaient
extrêmement difficiles pour les indigènes de Saint-Louis qui devaient présenter
une attestation d'indigence du maire de la ville certifiant que le demandeur
est natif de la commune. En fait, cette structure était destinée aux cadres et
agents de l'administration et au Européens ou assimilés. L'accès était interdit
aux indigènes étrangers à la commune. Ces derniers n'étaient admis qu'à titre
exceptionnel, en cas de maladie grave par exemple.
L'ambulance du Cap manuel
devenu hôpital principal, le projet initial date de 1882, il s'agit alors de
construire une
ambulance de 200 lits, sur un
site proche du
Cap Manuel, en face de Gorée. Inauguré en 1884 après
la fermeture de l'hôpital de Gorée, il devient Hôpital militaire en 1890, et
prend une importance particulière quand
Dakar est érigée en capitale
de l'
Afrique-Occidentale française en 1895. Le règlement de 1912
en fait un hôpital colonial, rattaché au gouverneur général de l'AOF. En 1913,
est inauguré
l'Hôpital Central Indigène qui deviendra l'Hôpital Aristide
Le Dantec du nom de son premier directeur et directeur de l'Ecole de Médecine
de Dakar. La structure est chargée de recevoir les tirailleurs de retour de la
Campagne du Maroc dont la majorité est atteinte
de tuberculose. La Polyclinique Roume
installée en août 1933, elle est conçue dans l'esprit de veille sanitaire.
Véritable sentinelle de l'état sanitaire des indigènes, cette dernière
constitue pousse l'obligation de faire enregistrer les décès au niveau des
mairies. Située en pleine zone indigène, la polyclinique est le principal
centre d'assistance Médicale gratuite pour les indigènes de la Circonscription
de Dakar, en même temps qu'un excellent poste d'observation de l'état
sanitaire. Elle constitue également un remarquable centre d'enseignement
clinique pour les élèves de l'École de Médecine