Menu
Libération
Chronique "Economiques"

Qui va payer la note ?

Chronique «Economiques»dossier
Comme toute crise, celle-ci risque de favoriser un agenda qui a peu à voir avec les espoirs de «réinvention» du modèle économique et social.
( )
publié le 27 avril 2020 à 17h51

Les conséquences économiques du coronavirus seront d’un ordre de grandeur jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si on considère l’impact prévu sur l’activité, l’Insee estime que chaque mois de confinement «coûte» trois points de PIB. Le gouvernement table sur une chute d’au moins 8 % pour l’année 2020. D’autres prévisions sont encore plus pessimistes. Par comparaison, le premier choc pétrolier n’avait fait chuter le PIB que de 1 % en 1975 ; la récession de 1993 n’avait provoqué qu’un recul de 0,9 % du même agrégat et la dernière crise financière en date n’avait entraîné qu’une diminution de 2,9 % en 2009.

L’impact sur l’emploi est déjà conséquent ; de l’ordre de 7 à 8 millions de salariés sont concernés par le chômage partiel, un dispositif qui a le mérite de limiter les destructions d’emploi, lesquelles sont tout de même estimées à plus de 400 000 pour le premier mois de confinement. Elles affectent les salariés les moins protégés, notamment ceux qui sont en fin de CDD, qui vont avoir des difficultés importantes à retrouver un emploi dans la conjoncture actuelle.

On a beaucoup dit que la situation se caractérise à la fois par un «choc» d’offre et un «choc» de demande. Le premier résulte du confinement car de nombreuses activités sont à l’arrêt ou au ralenti ; le second résulte des conséquences directes ou indirectes du premier sur la demande (baisse de revenu, limitations aux déplacements, etc.).

Les différents secteurs, tout comme les différentes catégories de la population, sont très inégalement affectés. Les reports de la demande d’un secteur à l’autre sont possibles (Amazon, Netflix…) mais limités, non seulement par le confinement lui-même, qui limite les possibilités de consommation, mais aussi par d’autres insuffisances de l’offre. La production de masques de protection, par exemple, aurait pu augmenter considérablement si les usines qui les produisaient existaient toujours. Cela aurait été bénéfique pour l’activité économique comme pour la situation sanitaire. Mais pour ça, il aurait fallu avoir l’Etat stratège dont la propagande gouvernementale nous rebattait les oreilles il y a peu encore.

Certaines pertes d’activité, notamment dans les activités de service, vont être difficiles voire impossibles à rattraper, même à moyen terme. Certaines firmes vont disparaître, ce qui aura des conséquences sur les possibilités de sortie rapide de la crise par l’augmentation de l’offre. Il est certain que la politique budgétaire doit aider à limiter les dégâts car il serait illusoire de compter uniquement sur une éventuelle liquidation post-confinement de l’«épargne forcée» que les ménages, tout au moins ceux qui ont pu conserver un flux de revenu suffisant, auraient pu accumuler.

La situation actuelle se caractérise aussi par un creusement des déficits. L’indemnisation du chômage partiel est prise en charge par l’Etat et l’Unedic. La crise provoque une perte de cotisations sociales et le coût total du dispositif va être très élevé. D’une manière générale, les déficits sociaux et public vont se creuser considérablement : le gouvernement prévoit un déficit public de 9 % du PIB pour cette année et une augmentation de la dette publique à 112 %.

Comme toute crise, celle-ci va fournir des occasions de poursuivre un agenda qui a peu à voir avec les espoirs de «réinvention» du modèle économique et social que beaucoup entretiennent. Comme pour une réédition, en pire, du scénario de 2010, des voix se sont fait entendre (du gouverneur de la Banque de France à la présidente de la Commission européenne) pour réclamer à mots plus ou moins couverts le retour de l’austérité budgétaire à court ou moyen terme. On imagine sans peine la suite.

Le patronat voit aussi là une occasion pour demander des «allègements» divers, d'autant plus que les ordonnances de la fin mars permettent des dérogations au code du travail (déjà «allégé» par la loi travail et les ordonnances du début du mandat Macron) en ce qui concerne la durée du travail ou les périodes de congé. Compte tenu de l'orientation politico-idéologique du gouvernement, on peut s'attendre à ce que ces attentes soient prises en compte, au nom de la compétitivité ou des incitations au retour au travail bien sûr. Les conflits entre les inspecteurs du travail et leur ministre sont là pour rappeler dans quel sens l'action gouvernementale est conduite.
Bref, ce serait illusoire de croire que la situation actuelle appelle automatiquement la renaissance d'un modèle social dont tout le monde chante actuellement plus ou moins hypocritement les louanges.

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.