Edouard Philippe a prononcé avant-hier son discours le plus «merkelien» depuis qu’il est Premier ministre. Un discours d’une heure, très charpenté, très concret, très sobre, sans l’ombre d’une envolée lyrique, sans la moindre tentation épique. Un discours de gestionnaire compétent et ferme qui ne cherche pas à faire rêver mais à faire obéir, qui ne se prétend pas porteur d’espérance mais se veut porteur de réalisme, qui ne cherche pas à séduire mais à discipliner. Un discours de chancelier CDU.
Sa première caractéristique est la prudence. Emmanuel Macron avait évoqué «les jours heureux» de l'après-confinement. Edouard Philippe n'a cessé d'invoquer les heures sérieuses du déconfinement. D'ailleurs, «déconfinement» est un terme trop ambitieux pour la méthode Philippe, il s'agit plutôt d'un desserrement du confinement. Le Premier ministre est, à juste titre, obsédé par le risque de la deuxième vague de la pandémie et, comme Angela Merkel qui vient de hausser le ton face au relâchement de ses concitoyens et notamment des toujours turbulents Berlinois, Edouard Philippe met en garde : pas de déconfinement le 11 mai si les chiffres des derniers jours ne sont pas assez rassurants.
S’il est possible d’aller de l’avant, ce ne peut être que bardé de précautions, hérissé de restrictions, entouré de mises en garde. Pas de voyages d’agréments, pas de vacances intempestives, pas de distractions périlleuses (cinémas, théâtres, opéras, rencontres sportives, cafés, bars, restaurants) au moins dans un premier temps. Le déconfinement n’est pas une partie de plaisir. C’est une règle cistercienne.
Sa deuxième caractéristique est la progressivité. Comme en Allemagne, on avance à pas comptés. On pousse à la reprise du travail mais en insistant pour le recours persistant au télétravail, on organise la rentrée scolaire mais par petites étapes précautionneuses et réversibles. On autorise les déplacements mais pour le travail, ou bien pas plus de 100 kilomètres, toujours l’œil fixé sur les courbes des nouveaux cas et des réanimations. Avec le port du masque le plus fréquent possible (même si, comme en Allemagne, il y a toujours des problèmes d’approvisionnement), avec, enfin, 700 000 tests par semaine, un chiffre comparable à celui qui se pratique outre-Rhin. En somme, la France parvient à faire à mi-chemin ce que nos voisins ont fait dès le départ. Il est vrai que l’Allemagne a été servie par la chance (des clusters beaucoup moins redoutables), qu’elle possédait au départ les équipements qui nous manquaient et que nos soignants ont dû faire preuve d’un courage et d’une compétence exceptionnels.
Enfin, sa troisième caractéristique est le choix de la territorialisation de l’action gouvernementale. Les options et les critères viendront de Paris mais la mise en œuvre sera confiée aux collectivités locales. Chaque département a sa spécificité face au coronavirus, chaque commune fait face à une situation particulière en matière scolaire, certaines régions sont sinistrées, d’autres presque épargnées. Il faut donc une mise en œuvre résolument girondine, insolite de la part d’un Etat et d’un pouvoir qui demeurent si intrinsèquement jacobins. Ici, c’est, face à une crise de cette ampleur, une expérimentation sans précédent. Contrairement à ce que prétendent les éternels déclinistes, l’Etat a tenu bon face à la pandémie même s’il était au départ fort dépourvu. Le confinement a été jacobin, le semi-déconfinement sera girondin. L’expérience fera peut-être jurisprudence. En tout cas, si la comparaison avec le système fédéral allemand serait très abusive, la revalorisation du rôle des maires, des départements, des régions constitue un éloignement de l’acte I du macronisme et un rapprochement avec le fonctionnement de nos voisins.
Evidemment, la «merkelisation» d’Edouard Philippe a des limites. L’économie était la grande absente de son discours du Palais-Bourbon, délibérément centré sur la priorité sanitaire, d’ailleurs bien légitime mais curieusement lacunaire à propos du déconfinement économique. Sans doute parce que nous sommes toujours dans la phase de soutien à l’économie et que le temps de la relance, indispensable, urgente, ne viendra qu’une fois la pandémie maîtrisée. L’ennui est que l’Allemagne avance quand nous piétinons ; mais outre-Rhin les pressions du monde économique sont aussi bien accueillies qu’elles le sont mal ici. Et puis, autre différence fâcheuse, Angela Merkel, si critiquée avant la pandémie recueille aujourd’hui une popularité phénoménale, alors nos duumvirs voient leurs pilotages de la crise durement contestés et leurs popularités cruellement effritées. Divisions en deçà du Rhin, unité au-delà.