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Blog «Humeurs noires»

Nicole Anquetil, initiation à la peinture abstaite 1/3

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Enseignante de formation, l'artiste-peintre ouvre pour Libération son univers abstrait et lyrique qu'elle pose sur toile. Elle se livre sur son parcours qui l'a amené pratiquer son art entre liberté créatrice et contrainte technique. Entretien fleuve de mille mots avec une femme aux mille visages.
Nicole Anquetil : photo © Cedric Yodjouen
publié le 2 mai 2020 à 7h15
(mis à jour le 4 mai 2020 à 4h54)

Michel Bampély : Vous avez vécu une partie de votre vie en Afrique. Quelle influence a-t-elle eu sur votre façon de concevoir l’art ?

Nicole Anquetil : Les couleurs. La chaleur des couleurs et la liberté. Je suis partie en Afrique lorsque j'étais toute petite tout d'abord à Niamey (Niger) puis Dakar-Yoff. Les grands espaces des aéroports me portent encore aujourd'hui. Aucune limite dans l'espace bien entendu, la mer, les paysages omniprésents. De la cour de l'école il suffisait de se pencher un peu et on voyait la mer. Les couleurs, la chaleur et la liberté sont les trois choses qui me portent. Comme vous le voyez, je suis très coloriste.

Michel Bampély : Dans votre poème Parfum de toile qu’on peut lire sur votre site internet, vous évoquez un paysage mental toujours mal compris. Est-ce finalement le destin de tout peintre d’être mal compris par ses contemporains ?

Nicole Anquetil : Ce sont des paysages mentaux qui sont en moi et que je délivre quasiment un par un. Mal compris ce n'est pas vraiment le terme, mais la plupart des regardeurs n'acceptent pas de se laisser porter par le paysage mental. Ils demandent toute suite la signification de l'œuvre. Et c'est ça « le mal compris », je leur dit qu'il n'y a rien à comprendre. Il faut vous laisser porter par une toile, par un paysage, vous l'aimez ou vous ne l'aimez pas. Mais acceptez à un moment donné d'ouvrir les yeux, de vous laisser porter et de lâcher prise comme le fait le peintre dans ce type de travail. Si l'on est en retenue devant ce type de toile, il y a de grandes chances que le rendez-vous ne se fasse pas.

Toile Nicole Anquetil : photo © Cedric Yodjouen

Michel Bampély : L'auteur Lucien Ruimy écrit que « votre art est un chaos de la pensée en apparence si ordonné ». Le lien entre la poésie et la peinture est omniprésent dans votre carrière. Comment l'expliquez-vous ?

Nicole Anquetil : Il y a plusieurs facettes dans une personnalité. J'étais professeur de géographie dans des classes de préparation à des concours. C'était extrêmement cadré et j'ai beaucoup cadré les étudiants. Il y avait une rigueur. Je peux être très rigoureuse mais il y a une autre partie de moi qui est très explosive, très libre. Je peux créer des toiles très abstraites car je veux avant tout privilégier le geste, le plus pur possible, celui qui vient avant l'écriture, et en même temps faire ce que je veux, quand je veux en peinture. C'est ce que voulait dire Lucien Ruimy.

Cette liberté de faire exactement ce que je veux et quand je veux en peinture. L’auteur évoquait ce qui est cadré et même temps ce qui est en apparence très structuré. Ceux qui me connaissent uniquement par le métier que j’ai fait de professeur de géographie, n’imaginent pas que je puisse faire ce type de peinture : « Que vous est-il arrivé ? Etiez-vous très énervée ? » me demandent-ils. Il s’agit tout simplement de ma personnalité, de ce que j’ai au creux de moi, et c’est cette énergie que je veux absolument mettre en valeur.

Michel Bampély : Peut-on finalement transmettre en peinture les notions à la fois de liberté et de chaos à ses élèves ?

Nicole Anquetil : Bien-sûr. Je disais à mes élèves : « Si vous avez ce désir de quelque chose, donnez-vous les moyens de faire ce quelque chose. Ne vous laissez pas cadrer par qui que ce soit. Ne vous laissez pas enfermer par trop de contraintes ». Je leur disais : « Allez-y, foncez ! ». Je crois que c'est la plus grande des libertés que l'on puisse avoir. Comme vous le savez, que ce soit pour l'écriture ou la peinture, ce qui compte c'est la liberté de création. Dans la dernière toile que j'ai créée, c'est moi complètement, même si les gens ne me reconnaissent pas forcément.

« China bird » acrylique sur toile, paravent, 2019

Michel Bampély : Parfois la contrainte peut amener le créateur d’une œuvre à se surpasser. Qu’en dites-vous ?

Nicole Anquetil : La contrainte peut venir du format que l'on s'impose. J'utilise parfois de très grandes toiles et la contrainte oblige à donner une énergie plus forte. J'ai fait une série de toutes petites toiles, et pour moi c'est la contrainte la plus importante ici. Lorsqu'on a l'habitude de faire de grands gestes, là on est limité par quelques centimètres carrés. La contrainte est là. Puis il y a toutes les règles qui concernent la peinture. Je travaille beaucoup à l'huile et on ne fait pas n'importe quoi pour démarrer ce type de toile. La règle c'est toujours gras sur maigre, le maigre c'est de l'huile très diluée dans la térébenthine pour qu'elle imprègne bien la toile, ensuite on fait ce que l'on veut avec le gras. Ici il s'agit d'une contrainte technique, mais c'est un élément essentiel qu'on ne peut pas négliger dans la structure.

Pour les carrés il faut travailler la structure ce que les gens ne voient pas forcément. Une toile carrée doit être complètement équilibrée. Et pour trouver cet équilibre (je vous révèle une vieille astuce de peintre que j’ai apprise), il faut parfois la tourner d’un quart toutes les vingt minutes jusqu’à ce que l’équilibre apparaisse. C’est une contrainte technique connue depuis très longtemps.

Michel Bampély : Pouvez-vous me parler de vos influences en peinture sur le plan technique ou stylistique ?

Nicole Anquetil : Au niveau stylistique, j'ai tout d'abord appris la peinture lors de mes années lycée où j'ai pris des cours avec un vieux professeur qui était d'ailleurs peintre à Angers, je me souviens du nom c'était Monsieur Adam. La base de mon influence technique est tout d'abord la peinture à l'huile, la peinture la plus classique. Et dans son enseignement ce qui était intéressant et formateur, c'est qu'on commençait par copier. La copie c'était William Turner et Claude Monet. Turner-Monet, Monet-Turner ! Ce sont les maîtres qui m'ont accompagnée pendant longtemps.

Paysage de Nicole Anquetil : photo © Nicole Anquetil

Puis j’ai arrêté la peinture pour des raisons familiales et professionnelles. Quelques années plus tard, j’ai repris la peinture avec un peintre aujourd’hui décédé qui s’appelait Ben-Ami Koller, dont le courant était l’abstraction lyrique. C’était une expérience extraordinaire ! Il ne me tenait pas la main, je peignais des paysages dans les premiers temps. Un jour alors que je peignais sur les bords de la Sarthe et je me suis dit que je ne pouvais pas continuer comme cela, j’ai retourné mes toiles, et là j’ai vraiment fait de l’abstraction, ce que je voulais faire depuis longtemps sans réussir vraiment à passer ce cap. Et puis tout à coup plus récemment dans mes toiles les fleurs sont revenues. Il y a des basculements qui s’opèrent au gré de la vie.

Site internet : www.anquetil-art.com

Contact : nicole.anquetil@gmail.com