Texte d'Adama Aly PAM, docteur en histoire et chef archiviste de l'UNESCO.
La fièvre jaune, maladie hémorragique virale
aiguë a été par le passé un fléau planétaire. En plus de la longue cohorte des
morts, elle a été la cause de faillites célèbres (canal de Panama), d’abandon
et de désertions de villes (Bassam en Côte d’Ivoire) et de profondes
transformations de l’espace urbain dans les colonies françaises d’Afrique
notamment la partition de la colonie du Sénégal séparant Dakar du reste du
territoire.
A partir de 1878, elle se présente sous forme
endémique et occasionne de redoutables épidémies. La première entraîne 749
décès sur 1474 Européens et décime presque entièrement le corps médical en
service au Sénégal qui enregistre 22 décès sur 26 médecins et pharmaciens.
L’épidémie de 1881 est aussi remarquable présente aussi les mêmes
caractéristiques. Le Gouverneur de la colonie, LANNEAU a été l’une des victimes
de cette épidémie. L’armée engagée dans la lutte l’Etat Toucouleur de Ségou est
presque entièrement détruite. A ce titre, C. Pulvenis remarque que LAT-DIOR
aurait pu prendre Saint-Louis où ne restait plus que 50 soldats Européens. L’épidémie
de 1900 entraine la désertion de 3000 colons qui se bosculent au port de Dakar
pour rejoindre la métropole. Parmi les fuyards, le gouverneur Chaudié qui sera révoqué
de ses fonctions pour avoir abandonné la colonie en pleine crise épidémique.
Face à l’hécatombe causée par cette redoutable maladie protéiforme,
un article publié en 1844 dans les colonnes du Journal du Havre, il
s’interrogeait en ces termes :
Que nous rapporteront ces établissements ? Que nous ont-ils
rapporté jusqu’à ce jour ? Des dépenses inutiles, des promesses faites par
la bouche de ceux qui avaient intérêt à les vanter. Quelle mine d’or
théoriquement ! Vrais châteaux de sables, je le répète, sur lesquels on a
fondé des espérances chimériques ou politiquement raisonnées et qui
s’écrouleront comme les bastions qui les défendent.
Face aux
acteurs qui prédisent déjà la faillite de la colonisation, le ministère de la
Marine et des Colonies présente les nouvelles possessions sous un jour
favorable et les médecins chargés d’organiser la défense des nouvelles colonies
représentent l’optimisme colonial face à certains groupes découragés par tant
de mortalités. Cette lutte héroïque contre la fièvre jaune est très intéressante
et rappelle à bien des égards le combat livré à la COVID19 eu égards à la
dimension du péril, des luttes de pouvoirs et les conséquences économiques et
politiques. Nous consacrons cette réflexion au cheminement scientifique de la
découverte du virus et de l’invention de la thérapeutique contre un fléau
devenu depuis une des vieilles peurs du passé.
De l'immobilisme scientifique en France et aux colonies
Malgré la
facilité des communications et aussi des échanges d’idées avec les États-Unis
où des progrès notables ont été réalisés dans la lutte contre la fièvre jaune,
on reste en France et dans les colonies attachées à des pratiques héritées des
siècles passés. Dans le traitement de la maladie, on continue à purger et à
saigner les malades. Le rôle du stégomya dans la transmission de la fièvre
jaune, affirmé et démontré en 1881 par un médecin cubain, Carlos Finlay,
restait ignoré du public comme des médecins au Sénégal. Cette ignorance était
telle que lors de l’épidémie de fièvre jaune de 1900, qui sévit au Sénégal, à
Saint-Louis et à Dakar et qui causa la mort de 225 personnes de race blanche,
les habitants la nuit venue, montaient sur les terrasses de leurs maisons, dans
l’espoir d’y respirer un air pur, s’exposant ainsi aux piqûres des stegomya
infectés. Le service médical émit l’hypothèse que l’épidémie qui régnerait à
Dakar serait due aux travaux en cours d’exécution à Hann, pour l’alimentation
en eau de cette ville. La raison invoquée est que des tranchées auraient été
ouvertes à quelques mètres des tombes de disciplinaires morts de la fièvre
jaune en 1878.
Malgré les
progrès réalisés en Amérique, faisant du moustique le vecteur de la maladie,
les idées régnantes au Sénégal dans la lutte contre la fièvre jaune sont
caractérisées par une sorte d’immobilisme scientifique faisant recours à une
rhétorique scientifique anachronique et des pratiques médicales désuètes. La
part faite à la contagion par le moustique est bien petite encore c’est à peine
s’il est cité. Les nouvelles découvertes sur la maladie furent ainsi réfutées
avec force démonstration par plusieurs médecins dont le docteur Corre en
France, qui jouissait d’une grande réputation au sein de ses pairs. Ce dernier
avec ironie s’étonnait de la
puissance nocive qu’un insecte aussi petit que le moustique, peut tout à coup
acquérir en puisant, avec le sang des malades, le principe de la contamination
spécifique. Son scepticisme est partagé par la presse française qui rendait
compte de la découverte et des expériences américaines avec une certaine
ironie. Reprenant l’information publiée par le journal britannique Times «à titre d’information susceptible
d’intéresser le commerce bordelais en relations étroites avec la colonie du
Sénégal», Le Bordelais écrivait, non sans ironie, les lignes
suivantes :
les moustiques sont en train de se faire une bien mauvaise réputation et
les méfaits dont on les accuse deviennent de plus en plus nombreux. Déjà on
leur attribuait la propagation des fièvres palustres ; voici maintenant
qu'on en fait les agents de la transmission de la fièvre jaune
Plusieurs
découvertes de germes prétendus responsables de la maladie furent tour à tour
abandonnées. En 1919, Ideyo Noguchi (1876-1928), célèbre savant japonais,
publie un mémoire dans lequel il affirmait que la fièvre jaune est causée par
un germe visible, le Leptospira ictéroide. L’autorité du savant était tel qu’on
ne mit guère doute à la réalité de sa découverte. Tous les traités médicaux de
l’époque adoptèrent la conception spirochétienne.
Lors de la réunion de la conférence sanitaire de Paris en 1926,
cette conclusion fut adoptée par la sous-commission épidémiologique. Celle-ci
affirmait dans ces conclusions que « La
fièvre jaune se propage par la transmission d’un germe spécifique (leptospira
ictéroides) par l’intermédiaire du stegomya calopus». Cette conclusion fut
adoptée par tous les traités et inspira les mesures de lutte contre la maladie.
Toutefois, la mission américaine de la Fondation Rockefeller, envoyée en 1925,
à Lagos mit une première fois des doutes sur l’agent causal de Noguichi.
Sur instruction du gouverneur Général de l’AOF, l’inspecteur
général Lasnet, s’est entendu avec M. Roux, Directeur de l’Institut Pasteur ,
pour la fabrication de vaccin et de sérum de Noguichi. La commission de la
fièvre jaune du Bureau d’Hygiène internationale de la Fondation Rockefeller pendant
18 mois, de janvier 1926 à mai 1927, toutes les recherches ont eu pour but
d’isoler le leptospire ictéroide du sang des jauneux et de reproduire la
maladie chez les animaux de laboratoire. Aucun animal n’est mort de lésions
suggérant la fièvre jaune.
Les
recherches effectuées au Laboratoire de l’Institut Pasteur de Dakar dans le but
de vérifier la présence du leptospira dans le sang des malades atteints de la
fièvre jaune en adoptant la technique expérimentale de Noguchi, concluent à des
résultats négatifs. Les recherches sur les singes infectés n’ont pas non plus
confirmé la doctrine du savant japonais. D’ailleurs, Noguchi, lui-même constata
en avril 1928, son erreur. Le leptospira n’était pas responsable de la fièvre
jaune et son isolement par certains chercheurs ou bien signifiait une pure
erreur de diagnostic clinique en prenant pour de la fièvre jaune, des cas de
fièvre ictéro-hemorragique, ou bien ce qui, selon Carlos Chagas, paraît plus probable, qu’il s’agisse là de la
présence accidentelle de ce germe dans le sang. Cette dernière hypothèse
trouverait sa base dans le fait que l’on a fréquemment isolé d’eaux de
provenance diverses des leptospiras pathogènes.
Parmi les
zones d’ombres de la recherche médicale sur la maladie, figure la question
ancienne de savoir pourquoi les Noirs sont réfractaires à la maladie. C’est
l’objectif fixé au Docteur Pettit, envoyé en mission au Sénégal en 1927. La
conférence intercoloniale de la fièvre jaune tenue à Dakar en avril 1928, mit
fin au mythe de l’immunité raciale des indigènes face à la fièvre jaune. Ce
constat a pour conséquence la mise en place de nouvelles règles de surveillance
et de contrôle de ces derniers. Au même titre que les indigènes, les Syriens,
les Marocains et les Portugais sont également considérés comme des agents
actifs de diffusion de la fièvre jaune.
II – Des savants pour l’Empire : un vaccin a tout prix
Les recherches entreprises en vue de mettre au point le vaccin de
la fièvre jaune, furent longues et ponctuées d’erreurs et de controverses
scientifiques avant que le vaccin ne soit finalement mis au point à l’Institut
Pasteur de Dakar. Toutefois, la mise en pratique de la vaccination fut encore
plus difficile du fait des accidents post-vaccinaux et de la méfiance des
populations indigènes et des Européens vis-à-vis du vaccin.
Les recherches pour la mise au point d’un vaccin contre la fièvre
jaune auraient pu avoir lieu à Paris, si le docteur Roux n’avait craint
l’expérimentation de ce vaccin vivant sur l’homme. C’est dans les laboratoires
des colonies que sortira le premier vaccin français contre la fièvre jaune.
Roux interdit toute publication au cas où le professeur Sellards et le docteur
Mathis poursuivraient leurs travaux. Charles Nicolle, de passage à Paris,
proposa aux deux chercheurs dépités de venir finir leurs expériences dans son
institut Pasteur de Tunis où il leur proposerait non pas des aliénés mais du
matériel humain de laboratoire, autrement dit des malades. Cela aboutit, on le
sait, à la création du vaccin au jaune d’œuf avec le docteur Laigret. Ce vaccin
n’était pas sans poser de problèmes. En effet, le vaccin n’étant pas
parfaitement à point induisait des réactions violentes et parfois entraînait la
mort des personnes vaccinées.
Les tests de séro-protection : la révolution de la souris blanche
Les laboratoires engagés dans la lutte contre la fièvre jaune
parviennent à reproduire la maladie en laboratoire sur des cobayes. Il s’agit
du typhus amaril expérimental. Le virus utilisé a pour origine un virus humain,
isolé à Dakar, en 1927, par A.W Sellards, chez un Syrien atteint de fièvre
jaune légère. Ce virus a été conservé par passages successifs sur Macacus rhésus et sur Aedes Aegyti. Il est connu dans les
laboratoires sous le nom de « souche française », désignation donnée
par Sellards pour le distinguer de la « souche Asibi » (du nom du
noir qui l’a fournie) et qui a été isolée par les membres de la mission
américaine de la Fondation Rockfeller, à Lagos (Nigeria).
En inoculant le virus amaril de singe, dans le cerveau de la
souris blanche, Max Theiler, réussi en 1930 à créer une souche particulière de
virus amaril adaptée à cet animal. Il a également montré que ce virus était
neutralisé in vitro par le sérum d’individus convalescents de fièvre jaune,
ainsi que par le sérum de singe ayant résisté au typhus amaril expérimental.
Cette découverte permit à la Recherche, de faire une avancée capitale. Elle
permettait d’une part, de substituer la souris blanche au macacus rhésus très coûteux et difficiles à se procurer et il
n’était pas possible en les utilisant d’étendre les investigations sur une
large échelle et d’autre part, l’expérimentation permettait d’établir des
épreuves de séro-protection effectués en vue de la détermination des zones
d’endémicité amarile dans les pays où sévit de temps à autre la fièvre jaune. .
Grâce à l’usage de la souris, on a pu donner plus d’ampleur à ce genre de recherche
et Durieux (1932) et Stéphanoulo (1933), ayant recueilli, en Afrique
occidentale française, un nombre assez considérable de sérum, on a pu commencer
à établir la carte de répartition de l’endémicité amarile en AOF. L’expérience
consistait à prélever du sang à un certain nombre d’indigènes et avec le sérum
obtenu, on injectait des Macacus qui
recevait en même temps du virus amaril de singe. Si les singes survivaient, on
pouvait en conclure que le sérum avait un pouvoir protecteur et que les
individus qui l’avaient fourni, avaient eu antérieurement une atteinte de
fièvre jaune. Si de jeunes enfants, n’ayant jamais quitté la région, avaient un
sérum protecteur, on en tire la conclusion que la région est un foyer
d’endémicité amarile. Si les seuls adultes fournissaient un sérum protecteur,
on pouvait affirmer qu’il y avait eu antérieurement une épidémie amarile, mais
que la fièvre jaune n’y était pas implantée. La recherche de la séro-protection,
permit d’établir la preuve indiscutable que, contrairement à l’opinion soutenue
par certains médecins, les Noirs étaient sensibles au virus amaril, mais que
chez eux la maladie revêtait des formes atténuées et frustes.
Le
stade expérimental du vaccin : les
cobayes humains
Au moment où il s’est agi de pratiquer la vaccination contre la
fièvre jaune en Afrique occidentale dans les régions d’endémicité, on s’est
demandé si cette vaccination n’était pas susceptible de créer des foyers de la
maladie par l’infection des stégomya sur les sujets vaccinés, là où ils
abondent. Pour répondre à cette question, des recherches furent entreprises par
C. Mathis, Durieux et Advier. Les premières expériences furent rapportées dans
une communication faite le 6 novembre 1934 à l’Académie de Médecine. Elles
permirent d’établir que le stegomya ayant piqué des sujets vaccinés n’ataient
pas capables de transmettre le virus de la fièvre jaune, au macacus rhèsus, animal extrêmement sensible à la maladie. Dans
une seconde série d’expériences, les stegomyas qui s’étaient nourris sur des
individus ayant reçu de fortes doses de vaccin, furent portés ensuite non sur
les macacus rhèsus mais sur l’homme.
Les conclusions de ces expériences sont les suivantes :
―
dans
l'expérience n° 1, un sujet neuf a été piqué par 156 moustiques qui s'étaient
nourris sur des sujets vaccinés du deuxième au quinzième jour parès la première
injection de vaccin sec de Laigret. Ces moustiques reportés sur le sujet neuf
du quatorzième au dix-septième jour après les repas supposés infectants n'ont
pas transmis la fièvre jaune.
―
dans
l'expérience n° 2, le sujet qui avait servi pour l'expérience précédente a été
piqué par 113 moustiques qui s'étaient préalablement nourris sur des sujets vaccinés,
du deuxième au seizième jour après la première injection de vaccin sec de
Laigret. Parmi ces moustiques, 62 survivants ont piqué le même sujet après
avoir été nourris sur des sujets vaccinés 30 jours auparavant. Toutes les
expériences de transmission ont été négatives.
Le
docteur Laigret, se fondant sur ces conclusions, mit en application sa méthode
de vaccination. Du 10 juin à fin décembre 1934, il pratiqua 9802 vaccinations
sur des individus de race blanche et des individus de race noire. On enregistra
aucun cas de fièvre jaune dans l’entourage des personnes vaccinées. La
conviction des expérimentateurs est d’autant plus solide que la vaccination a
été faite sur un grand nombre de syriens, vivant dans des conditions de vie
assez misérables, au milieu de la population indigène, n’usant pas ou usant mal
de la moustiquaire et dont la plupart habitent le Sine Saloum, foyer endémique
de la fièvre jaune et où les setgomya pillulent. Constant Mathis, directeur de
l’Institut Pasteur de l’A.O.F. entrevoyait déjà les applications du vaccin chez
la population noire.
l'indigène de
l'Afrique noire supporte très bien le vaccin-virus de souris, préparé avec des
cerveaux frais. Il apparaît donc possible de l'immuniser par une seule
injection. Des essais sont en cours et nous espérons que l'on pourra bientôt
généraliser la vaccination antiamarile aux noirs de l'Afrique, tout au moins à
ceux qui habitent au voisinage des Européens et pour lesquels ils constituent
une menace permanente dans les régions à endémicité amarile.
Malgré la certitude d’une partie du corps médical, des inquiétudes
et des doutes subsistèrent parmi certains spécialistes. Quelques auteurs
émirent des réserves pour l’avenir des sujets vaccinés et se demandèrent s’il
n’y avait pas à redouter des accidents tardifs. Partant du constat que la
fièvre jaune telle qu’elle se présente chez l’homme lorsqu’elle est suivie de
guérison ne donne jamais lieu de séquelles, les défenseurs de la vaccination
estimèrent cette inquiétude non fondée.
Les réactions post-vaccinales très sévères sont constatées chez
les personnes vaccinées. Dans le rapport de fonctionnement technique de
l'Institut Pasteur de l'AOF de 1937, faisant le point sur les vaccinations
pratiquées à Dakar l'auteur affirme ce qui suit :
Trois
observations nous ont été communiquées par l'Inspecteur général du service de
santé, concernant des sujets ayant présenté très peu de temps après la
vaccination : le premier, une affection mortelle à la symptomatologie non
caractéristique ; le deuxième, des phénomènes pouvant faire penser à une
fièvre jaune légère terminée par une guérison ; le troisième ayant fait
une fièvre jaune mortelle classique.
Au
cours des années 1937-1942, les statistiques ont dénombré « 62 morts par ictère grave et 30.000
jaunisses prolongées » Au vu de ces résultats on est en droit de
s’interroger sur le bien-fondé de la méfiance des populations indigènes face au
vaccin de la fièvre jaune. Cette méfiance trouverait peut-être son explication
par le fait que des cas mortels sont observés après la vaccination. La pratique
différenciée de la vaccination selon l’appartenance ethnique renforce cette
attitude. Enfin, l’étude des textes réglementaires imposant la vaccination
explique en partie la raison de la méfiance de ces derniers. L’instruction pour
l’application de l’arrêté du 10 septembre 1941 rendant obligatoire la
vaccination antiamarile en AOF réglait la vaccination selon le procédé
suivant :
Chez l'indigène, la vaccination antiamarile, simple ou associée
sera pratiquée systématiquement sans examen préalable spécial. Les affections
aiguës fébriles pourront seules légitimer des contre-indications temporaires.
Chez l'Européen, toute
vaccination simple ou associée devra être précédée d'un examen somatique
minutieux éliminant en particulier tout sujet atteint d'affections intéressant
le foie ou le rein. La recherche du sucre et de l'albumine devra être
systématiquement pratiqué.
Autour la controverse au plan international sur la nécessité de
vacciner les enfants de moins de 1 an, le docteur Pelletier déclarait que dans les territoires français, des
inoculations ont été faites dans de rares occasions à des enfants noirs âgés de
moins de 6 mois. Les mêmes pratiques étaient faites par la Fondation
Rockefeller au Brésil. Au même moment, la position officielle du service de
l’hygiène publique des États-Unis était de ne pas vacciner les enfants de moins
d’un an. Cette controverse au sein du milieu médical était à elle seule un
indicateur du niveau d’incertitudes sur l’innocuité du vaccin. Pour éviter de
se faire vacciner, les voyageurs à destination de l’AOF se livrent à un
ensemble de stratégies pour échapper à la vaccination. Le service d’hygiène
attire l’attention de l’administration sur le nombre sans cesse croissant de
voyageurs se présentant avec des certificats de contre-indication à la
vaccination établis par les médecins métropolitains. Ces certificats n’étant
valables que pour les passagers ayant empruntés la voie maritime, ceux venant
par avion devaient être convoqués par le Service d’hygiène en vue de se faire
vacciner. Très peu des personnes convoquées ont déféré à ces convocations. Les convocations ont dans l’ensemble été
considérées comme de mauvaises plaisanteries. Les services sanitaires aériens
des compagnies françaises sont les plus négligeant à ce point de vue. Les
étrangers sont en règle
Certains médecins métropolitains furent poursuivis devant l’ordre
des médecins pour avoir délivrés de faux certificats de vaccination à des
individus pour leur éviter la vaccination devenue obligatoire à partir de 1941.
Pour la reconnaissance du vaccin français, il fallait que celui-ci
réponde aux standards fixés pour le vaccin américain, le 17 D. il semblerait
que des problèmes techniques ont poussé les autorités françaises à remettre en
cause cette disposition et à proposer des tests de validité du vaccin produit
par Dakar.
En juillet 1945, une démonstration a été pratiquée en France sous
le contrôle de l’UNRRA, selon un protocole fixé par les experts de la
Commission de Quarantaine et accepté par les autorités françaises. Cette
démonstration a été effectuée sur 600 hommes d’une division destinée au corps
expéditionnaire français d’Extrême-Orient. Les hommes choisis n’avaient jamais
quitté la France et n’avaient reçu aucune vaccination contre le typhus amaril.
Les hommes furent divisés en trois groupes. :
. le groupe A, immunisé par scarification avec le vaccin anti
amaril préparé par l’Institut Pasteur de Dakar ;
. le groupe B, immunisé par scarification avec le vaccin anti
amaril de Dakar mélangé au vaccin antivariolique ;
. le groupe C, immunisé par inoculation avec le vaccin 17 D.
Des prises de sang furent effectués un mois plus tard sur les 600
sujets vaccinés, ainsi que sur 30 hommes du même régiment, non vaccinés et
devant servir de témoins. Chaque sérum fut réparti en « ampoules, l’une
destinée à l’institut Pasteur de l’AOF, et les deux autres à l’UNRRA aux
États-Unis. Les laboratoires pratiquant les tests ignoraient la provenance
exacte des sérums qui avaient été mélangés avec les sérums témoins.
En définitive, les résultats obtenus furent les suivants :
. groupe A : 98,9% des
sujets immunisés (vaccin de Dakar seul)
. groupe B : 97,9% des sujets immunisés (vaccin de Dakar
associé au vaccin antivariolique)
. groupe C : 64,2% de sujets immunisés (vaccin 17D).
Au vu de ces résultats et à la suite de l’avis de la Commission de
Quarantaine, le Comité d’Hygiène de l’UNRRA décide de reconnaître la validité
du vaccin antiamaril de l’institut Pasteur de Dakar du point de vue
international.
C’est ainsi
qu’à défaut de pouvoir combattre le vecteur de la maladie (le moustique) en
plus de la difficulté de soumettre les colonisés aux règles sanitaires dont ils
ne comprenaient pas le bien fondé, la vaccination a été conçue et mise en œuvre
de manière à dresser un rideau biologique immunitaire contre la maladie. Près
de 38 millions de vaccins pratiqués sur une population de 17 millions finira
par venir à bout du terrible fléau. A partir de 1939, quelques cas sans liens
entre eux seront occasionnellement signalés dans les campagnes sans toutefois
remettre en cause la vie de millions d’individus. La fièvre jaune cesse alors d’apparaitre
dans les statistiques médicales. Selon certains spécialistes, l’abandon des
campagnes de vaccinations de la période coloniale font craindre le retour de
l’hydre jauneaux en Afrique.