La France est la femme malade de l’Europe. Plusieurs enquêtes internationales comparatives ont été publiées récemment. Toutes concordent, sans exception. Face à l’épreuve commune du coronavirus, notre pays se montre le plus pessimiste, le plus anxieux, le plus mécontent, le plus défiant, le plus incrédule vis-à-vis du pouvoir en place. En Europe, devant la crise sanitaire, économique et sociale, on voit partout jouer un réflexe d’unité autour de l’exécutif, quelle que soit sa couleur, voire sa valeur. Ici, c’est au contraire un réflexe de division qui se déclenche irrésistiblement. Pourtant, la situation sanitaire n’est pas pire qu’en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni et les choix qui ont été faits ne sont pas plus mauvais. Or, c’est dans l’Hexagone que se déclenche une sorte de motion de censure populaire. Il y a bel et bien une exception française.
Emmanuel Macron et le gouvernement ont naturellement commis des erreurs. D’ailleurs, beaucoup d’exécutifs ont tâtonné, trébuché, expérimenté, corrigé le tir. Beaucoup se sont contredits, ont fait machine arrière, ont été pris au dépourvu, comment en serait-il autrement face à une pandémie et à un virus dont on ignorait tout ? Maladroits, forcément maladroits. D’autres ont eu plus de chance parce que le coronavirus les a épargnés ou effleurés. Quelques-uns, comme l’Allemagne, étaient mieux préparés, mieux équipés, mieux organisés. Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont dû faire face à une situation violente avec des instruments inadaptés. Ils ont fait ensuite de leur mieux, grâce surtout à l’engagement exceptionnel des soignants, à la solidité de quelques filières d’approvisionnement et à la robustesse de la plupart des services publics. Reste qu’à propos des masques et des tests, ils ont joué avec la vérité, varié de doctrine dans le sillage des spécialistes, dissimulé la situation. D’où une méfiance intense au sein d’un pays incrédule. Leur communication, notamment celle d’Emmanuel Macron (à l’exception de son excellent discours du 13 avril, plus humain que les autres) n’a pas été une réussite, pour employer une litote. Trop de discours, trop de contradictions, trop de variations. Cela vaut à propos de la lutte contre la pandémie mais aussi à propos du déconfinement et de la rentrée scolaire.
Il n’empêche que l’hôpital a tenu, notamment parce que les médecins ont pu dans l’urgence reprendre le pouvoir aux bureaucrates et arracher des moyens qui leur étaient auparavant refusés. Il n’empêche aussi que l’exécutif a mis en place dans un temps record des mesures massives de soutien aux Français sinistrés et aux entreprises menacées, des mesures supérieures à celles de nos voisins, toujours à l’exception de l’Allemagne. Elles ne peuvent avoir qu’un temps bref, elles ne constituent qu’un répit. Mais elles ont fonctionné. Le gouvernement n’en a pas été crédité. Au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, elles étaient moins généreuses mais plus appréciées. Dans le malheur, il y a décidément une spécificité française, un lourd malaise français. Celui-ci prend parfois des formes paradoxales. Les maires ont protesté parce qu’on ne leur confiait pas assez de responsabilités (c’était vrai), puis parce qu’on leur en confiait trop. L’écoute des experts médicaux a été tour à tour critiquée pour être trop docile, puis pour être trop émancipée (la rentrée scolaire). La priorité de la santé sur l’économie a été exigée, puis maintenant contestée. Nous ne sommes pas le pays de Descartes, nous sommes le pays d’Astérix. Nous n’aimons pas les pouvoirs, aucun pouvoir et en particulier pas le pouvoir politique. Nous n’aimons pas être gouvernés, ni semoncés, moins encore bousculés et sûrement pas dupés. Le Français est le citoyen le plus critique d’Europe - ce n’est pas un défaut - mais aussi le moins gouvernable. Ici, le vote sanction est devenu un rite et le rejet de «la France d’en haut», une religion séculière.
Depuis vingt ans, les élections l’illustrent. Si cela apparaît particulièrement en ce moment dramatique, c’est aussi qu’avant même le déclenchement de la pandémie, les tensions sociales étaient électriques, comme elles le sont, sans désemparer, depuis les années 2000, a fortiori depuis 2017. De plus, et cela remonte bien plus haut, la France est aussi le pays occidental le plus allergique au capitalisme, le plus réfractaire au libéralisme. Malheureusement nous sommes par ailleurs un pays constamment déchiré. Dans l’épreuve, les exemples de solidarités ont été nombreux et émouvants. La bataille politicienne ne s’en est pas moins poursuivie. Pire, on a vu de nouvelles fractures s’esquisser et s’ajouter aux autres, avec une frontière entre ceux qui peuvent pratiquer le télétravail et ceux qui ne le peuvent pas, avec une hostilité entre réfugiés des résidences secondaires et habitants permanents, entre ceux qui veulent réanimer d’urgence l’activité économique et ceux qui regimbent. Les géographes assurent que la France est un pays au climat tempéré. Les politologues ne le peuvent pas.