Par Dieudonné Diabatantou
Gérard Boukambou Bemba est né le 3 mai 1944 à Brazzaville (Congo), de Julien Boukambou, instituteur de l’enseignement catholique à M’Bamou, et de Korila Antoinette, fille de Stanislas M’Bémba Mantiara, ancien combattant de la première guerre mondiale devenu catéchiste.
L’homme
Deuxième d’une fratrie qui comptera six enfants, Gérard Boukambou commença sa scolarité à l’école primaire d’enseignement catholique Saint-Vincent de Poto-poto à Brazzaville où son père venait d’être affecté. Scolarité qu’il poursuivra (au gré des péripéties de la vie professionnelle et politique de son père) successivement à l’école Saint-Esprit de Moungali et Saint-Joseph du Plateau, toujours à Brazzaville, avant d’entrer en 1958 au très élitiste Lycée Chaminade des frères marianistes.
En 1965, son baccalauréat option sciences expérimentales en poche et l’enthousiasme militant de l’époque aidant, le jeune Gérard n’a plus qu’une seule idée en tête : aller vite se former pour venir servir le pays. Et c’est ainsi qu’il fera partie du premier grand contingent d’étudiants congolais envoyés en URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques)
C’est donc à Kiev, à l’académie agricole d’Ukraine que Gérard Boukambou poursuivra ses études supérieures, à l’issue desquelles il obtiendra le diplôme d’ingénieur zootechnicien.
Gérard Boukambou et d’autres étudiants formés en Ukraine
Plus tard, soucieux de toujours parfaire ses connaissances, Gérard Boukambou sera admis en 1981 à l’université d’Etat de l’Oregon aux USA, d’où il sortira diplômé en agroéconomie quatre ans après. Et quelques six ans encore plus tard, en 1991, ce cursus académique trouvera son couronnement lorsqu’il obtiendra le diplôme de la très prestigieuse université américaine de Harvard.
Mais, respectueux de la consigne paternelle qui disait à tous ses enfants « quand on vous envoie en Europe c’est pour vous former, et non y rester vivre. Une fois la formation terminée, vous devez rentrer au Congo servir votre pays », Gérard Boukambou était rentré au Congo déjà dès 1971. Au demeurant ne dit-on pas qu’aussi loin qu’il puisse voyager, l’aigle (c’est la traduction de son nom Bemba en kisoundi-lari, langue congolaise) finit toujours par revenir sur l’arbre qui l’a vu naitre, c’est-à-dire le fromager ?
Après avoir travaillé successivement au laboratoire vétérinaire de Brazzaville, à la Société Nationale d’Elevage (SONEL) qui, à partir de 1973 supervisait la quasi-totalité des ranchs de la vallée du Niari et de la région du Pool, il est choisi en 1978 pour diriger le tout nouveau Centre de Recherche Vétérinaire et Zootechnique (CRVZ) de Brazzaville, fruit de la coopération soviétique.
Le passionné de l’agriculture
La passion de Gérard pour l’agriculture, et principalement pour l’élevage, remonte à l’adolescence quand son père, au sortir de prison à la suite de l’affaire du fameux « complot communiste » de 1960, s’est retranché au village Kinkémbo avec quelques têtes de bœufs.
Formé aux deux écoles (la russe et l’américaine), Gérard Boukambou était avant tout un pragmatique qui préférait l’expérimentation à la théorie ou aux idéologies ; un homme d’action et de contact qui était plus à l’aise sur le terrain que dans les bureaux. Et c’est dans cet esprit, qu’il a œuvré sans relâche pour amener les Pouvoirs publics à promouvoir les techniques d’une agriculture moderne et innovante qui se fasse avec les paysans, et non malgré eux, ou contre eux ; pour convaincre les dirigeants politiques que la matérialisation de la tant recherchée autosuffisance alimentaire était à ce prix, et seulement à ce prix.
A-t-il réussi dans cette ambition ? Assurément non si l’on considère l’état désastreux actuel de l’agriculture congolaise. Mais ce n’est pas faute d’avoir persévéré ni mis en garde. En tout cas de Kombé à Wayako, des ceintures maraichères de Brazzaville à celles de Pointe-Noire, des villages agricoles d’Odziba aux zones agricoles pilotes de la partie nord du pays il aura, avec ses équipes, donné au pays ce qu’il était possible de lui donner dans les circonstances particulièrement troubles où le Congo a évolué au cours des trois dernières décennies.
Quoi qu’il en soit, que ce soit à la tête du centre de recherche vétérinaire de 1978 à 1981, ou en sa qualité d’administrateur général adjoint d’Agricongo de 1986 à 1990, d’Attaché de cabinet à la Présidence de la République sur la même période, de Conseiller spécial chargé des réformes économiques auprès du Premier Ministre de la Transition Politique de 1991-1992, de Vice-président de l’Institut Agri-sud en France de 1992 à 1996, de Consultant spécial pour le « Programme Agricole Afrique de l’Ouest » auprès de la Banque Mondiale en 2000, de Coordonateur des activités au sein d’un groupe de l’Agro-industrie locale congolaise, ou d’Administrateur Vice-président des établissements de micro-finances au Congo à partir de 2012, Gérard Boukambou s’est toujours imposé à lui-même ce qu’il exigeait des autres ; ce qui lui a valu d’être toujours bien apprécié sur ses compétences et ses qualités de serviteur de l’Etat, comme en témoigne son élévation au rang d’Officier du Mérite congolais.
Ce qui est sûr aussi c’est que, de mémoire de Congolais, jamais un jeune cadre national n’avait été autant habité (pour ne pas dire hanté) par l’ambition de créer au Congo un modèle agricole original et performant.
Ainsi, après avoir retapé la ferme traditionnelle de son père qui menaçait de tomber en ruines faute de moyens, il a créé sa propre exploitation agricole du domaine NKOZI KINGOUALA sur la terre de ses ancêtres à Kinkémbo. Ces exploitations plusieurs fois détruites et pillées durant les guerres civiles, et autant de fois reconstruites dans les pires difficultés par Gérard Boukambou sont la preuve par trois de son optimisme sans bornes et de sa croyance absolue dans l’idée que le Congo, l’Afrique n’est pas condamné à rester bloqué dans l’échec permanent, la stagnation et la résignation.
L’interculturalité
Faut-il aussi dire que Gérard Boukambou était un des rares Congolais vraiment polyglottes ? Pensez donc, l’homme parlait couramment le français, l’anglais, le russe, l’espagnol, le lingala, le kikongo, le kisoundi-lari et le kihangala, la langue de ses pères.
Un fort trait de caractère de Gérard Boukambou aura d’ailleurs été d’être à l’aise en tout lieu, et d’avoir eu des amis de toutes conditions, de tous âges et de toutes origines ethniques, du nord au sud du Congo, et plus tard, aux quatre coins du continent africain, du monde. Petits, grands, riches ou pauvres, jamais il n’a laissé tomber une amitié, et au plus fort de la désunion nationale (des années 2000) Gérard Boukambou comptait encore parmi les rares Congolais pouvant se targuer d’avoir des amis sûrs dans presque toutes les ethnies et régions du Congo, véritable gage d’équilibre mental et moral à ses yeux.
Gérard Boukambou dans son laboratoire
L’acteur politique
A sa façon, avec les moyens dont il a pu disposer tout au long de son existence, et avec la discrétion qui l’a toujours caractérisé, Gérard Boukambou a participé à beaucoup plus d’événements de l’histoire politique de notre pays que ne le savent les gens. La politique, puisque c’est de cela qu’il s’agit, il est tombé dedans depuis l’enfance comme tous les enfants Boukambou, avec l’activisme syndical et politique de leur père engagé dès les années quarante dans le combat contre le colonialisme, la lutte pour la liberté et l’émancipation de l’homme noir, l’indépendance politique et économique du continent africain.
Arrière-petit-fils de N’kono N’gutu et de Mabiala ma Ganga, ces illustres résistants à la pénétration française, qui sur la route des caravanes ont stoppé la mission Marchand, Mangin, Baratier (1896-1899), Gérard Boukambou Bemba sur les traces de son père, a toujours été un combattant de l’Amour de la patrie congolaise à chaque étape de sa vie.
C’est à l’Asco (l’Association Scolaire du Congo) dans les années cinquante-soixante que l’on retrouve ses premiers pas en politique. Puis vint le temps de l’Union de la Jeunesse Congolaise (UJC), qui va l’amener à participer très activement au soulèvement d’août 1963, et à adhérer dans la foulée à l’union générale des étudiants et élève du Congo (UGEEC). Cependant, au lendemain de son retour au pays en 1971, s’étant très vite rendu compte du divorce qui allait grandissant entre la parole et les actes posés par les dirigeants, Gérard Boukambou va s’imposer un droit de retrait qui va le tenir hors les rails de la politique politicienne durant tout le temps où il a eu à exercer des responsabilités dans l’appareil d’Etat.
Mais les deux guerres qui ont endeuillé les populations congolaises dans la deuxième moitié des années 90, puis replongé le pays dans la division et la régression sociale ont eu raison de ses dernières réserves. A cette étape, la situation demandait à chaque Congolais soucieux du devenir du pays de faire quelque chose, et ne pas regarder, bras croisés, le Congo repartir dans le passé.
Et c’est dans ces circonstances extrêmes qu’il s’est résolu à créer en 1996, avec le Général Jean-Marie Michel Mokoko, le Mouvement pour la Réconciliation Congolaise (MRC) dont les objectifs, lutte contre le tribalisme sous toutes ses formes, réhabilitation des valeurs de droit, et action résolue pour le développement économique étaient conformes à son idéal de pensée. Engagement patriotique fort et sublime auquel il sera resté fidèle, malgré les vicissitudes de la vie, jusqu’à son dernier souffle. En s’engageant, à l’instar de son père Julien Boukambou dans les années 40-60, Gérard Boukambou Bemba n’était guidé que par un seul sentiment : l’amour de son pays.
02 février 2016 : aéroport de Maya-Maya Brazzaville, 19 heures. L’avion du général Jean Marie Michel Mokoko qui a annoncé quelques jours plus tôt sa candidature à la Présidence de la République doit atterrir d’un instant à l’autre. Il n’y a pas vraiment foule (le Pouvoir avait mis en garde), mais Gérard Boukambou et quelques courageux sont là qui sont venus l’accueillir et l’accompagner à son domicile. A cet instant ils sont loin de se douter que quelques minutes plus tard ils vont être la cible d’une attaque en règle orchestrée par les tenants du Régime en place, et exécutée par quelques gros-bras et voyous notoires de la place.
Une attaque aussi odieuse que sauvage. Gravement blessé à la tête, Gérard Boukambou s’en sortira après une intervention chirurgicale et une convalescence d’un mois, mais ne retrouvera plus jamais sa santé d’antan jusqu’à ce funeste jour du 02 juillet 2019 où il quitte ce monde.
Tel est en Afrique le sort de la plupart des cadres et intellectuels qui, parce qu’ils aiment profondément leur pays et croient au génie de leur peuple, ne cèdent pas à la facilité de l’exil et choisissent de le servir avec abnégation : Ils n’ont généralement le droit que de mourir pour leur liberté. Mourir de la mort la plus anodine et la plus sordide possible. Mais de ce genre de mort dont se nourrit pourtant le mieux aussi l’Espoir des générations.+