En 203 après J-C, Vibia Perpetua, une jeune femme de 22 ans à peine, instruite et de bonne éducation, mère d’un nourrisson, décide de s’en aller gaiement à la mort au milieu des cris de la foule, habituée à l’horreur, dans l’amphithéâtre de Carthage. Ses compagnons d’infortune, prêts à mourir au printemps, pour témoigner de leur foi sont deux esclaves, Félicité et son mari Revocatus, et deux autres hommes. Afin d’assurer le divertissement macabre des spectateurs, le pouvoir romain envoya un léopard, un sanglier ainsi qu’une vache enragée qui blessèrent les cinq condamnés. Avant de succomber à leur dernier supplice, les compagnons s’embrassèrent et se dirent : « la paix soit avec toi ». Le gladiateur porta le premier coup à Perpétue et lui atteignit l’os, puis elle guida son épée vers son cou.
Le témoignage de La Passion de Perpétue et Félicité est le sujet de mémoire de Marie Haarpaintner, 33 ans, étudiante à la faculté des sciences des religions et de théologie de Lausanne. Cette fille d'un père géologue et d'une mère enseignante retraitée, se destine à une carrière de chercheuse en histoire et en anthropologie des religions. Dans son petit village de Sainte-Croix d'à peine 5000 habitants, elle partage son temps entre l'éducation de ses deux enfants qu'elle élève seule, l'écriture de son mémoire, le sport, la danse, et son service au sein d'une communauté chrétienne. Marie est une femme engagée sur tous les fronts. Passionnée par la langue hébraïque et la culture juive, elle traduit à ses heures perdues des textes de l'hébreu au français. Pendant notre entretien, elle souligne que ses parents ont beaucoup voyagé et qu'ils lui ont transmis « ce goût pour l'Afrique ».
Michel Bampély : Pour quelles raisons avez-vous
choisi de traiter pour votre sujet de mémoire la martyre africaine Perpétue ?
Marie Haarpaintner : Perpétue qui a probablement tenu un journal de prison que l'on retrouve dans La Passion, décrit sa peur des ténèbres, de la prison, son inquiétude et ses chagrins. Cette jeune femme est la mère d'un enfant en bas âge et fille d'un notable qui lui offre une éducation libérale. Lorsqu'elle est amenée au forum, face à l'autorité de son père et face à l'autorité civile romaine, Perpétue affirme « je suis chrétienne ». Elle est prête à mourir pour défendre sa foi. Je me suis retrouvée dans ce personnage car je suis mère, j'ai eu la chance de pouvoir poursuivre mes études et je suis chrétienne. Le choix radical qu'elle opère m'a vraiment interpellé : Suis-je suffisamment confiante dans les énoncés de la bible pour livrer ma vie et tout laisser si ce dilemme se présente à moi ?
Michel Bampély : Certains historiens doutent de l'authenticité de son témoignage, d'autres écrivent que sa Passion fut écrite par différents auteurs. Où vous situez-vous parmi ces courants ?

Marie Haarpaintner : Oui la paternité de cette partie plus autobiographique (8 des 21 chapitres) de la Passion a été discutée. Certains philologues ont estimé l'œuvre provenant d'un seul rédacteur qui crée des représentations de figures de martyrs. Cependant la différence d'écriture prouve, à mon sens, que plusieurs rédacteurs sont intervenus. De plus, les rêves que la martyre décrit dévoilent un imaginaire particulier. C'est bien « un gage d'authenticité » pour reprendre les propos de deux spécialistes des religions Jacqueline Amat et Joyce E. Salisbury.
Michel Bampély : Comment interprétez-vous les rêves de Perpétue avant son exécution ?

Marie Haarpaintner : L'histoire de Saturus, un cathéchiste, des esclaves Revocatus, Félicité, Saturninus, Secundulus, et Vibia Perpetua, une femme instruite, nous enseigne que la foi chrétienne peut embrasser des personnes de toutes couches sociales. Que l'instruction peut-être une arme pour défendre sa foi (apologétique) et permet de laisser une trace de son vécu par l'écriture. En outre, le récit des martyrs africains fait écho à des témoignages actuels de chrétiens qui sont enfermés pour leur allégeance à Christ. L'exemple de la pakistanaise Asia Bibi condamnée pour blasphème met en lumière l'intolérance de certains états vis à vis de leur minorité chrétienne.
Marie Haarpaintner : Je ne suis pas enfermée comme Perpétue mais je nourri mon imaginaire pour m'échapper et trouver des réponses. Plus concrètement, je fais l'école à mes enfants un jour sur deux, nous regardons des films et des documentaires. Je lis beaucoup également dans l'optique de renforcer des connaissances utiles. Face à la peur et l'incertitude du futur, je relis ma bible qui me fournit une compréhension inédite et apaisante de ce que l'on vit.
Marie Haarpaintner : J'ai peur... je ne peux pas faire abstraction de la gravité de la situation que l'on traverse. Mais je ne m'arrête pas à cette émotion paralysante. Je poursuis ma quête en communion avec l'humanité souffrante.
[1] Le concept de « persécution » du verbe « poursuivre » (διασπείρω) provient des auteurs du Nouveau Testament qui lui ont donné un sens dépréciatif. Marie Françoise Baslez, Les persécutions dans l'Antiquité, Victimes, héros, martyres, éd. Fayard, France : 2007, p. 263
Marie Haarpaintner, Les visions de Perpétue dans « La Passion de Perpétue et Félicité ». Dévoilement d'une anthropologie chrétienne. Sous la direction du professeur Frédéric Amsler. Université de Lausanne, 2020