Tribune. Le 1er mai, le président de la République a conclu son discours sur «une volonté forte de retrouver dès que possible, les 1er Mai joyeux, chamailleurs parfois». Si l’on se reporte au Larousse, se chamailler consiste «à se disputer, se quereller pour des riens» tandis que le Robert renchérit «se quereller bruyamment pour des motifs futiles».
Nous ne ferons pas l’injure au président d’ignorer les origines sociales du 1er Mai, cependant, nous nous interrogeons sur ce que révèle l’utilisation du terme «chamailleur» pour évoquer les manifestations du 1er Mai. Rappelons que le 1er Mai a été institué comme journée de revendications des travailleurs à la suite d’événements plus dramatiques que futiles. Alors que les mouvements ouvriers de tous les pays industrialisés luttaient pour l’obtention de la journée de 8 heures depuis le milieu du XIXe siècle, les manifestations portant cette revendication qui ont débuté le 1er mai 1886 aux Etats-Unis se sont soldées par la mort de trois ouvriers le 3 mai à Chicago. En France, la IIe internationale a désigné le 1er Mai comme journée de revendications en faveur de la journée de 8 heures. Le 1er mai 1891, une manifestation est réprimée par l’armée à Fourmies, dans le nord de la France, et se solde par un lourd bilan : 10 morts, dont deux enfants et une trentaine de blessés. Georges Clemenceau prononcera quelques jours plus tard à l’Assemblée Nationale les mots suivants : «Il y a quelque part sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu’il faut laver à tout prix», ajoutant «c’est le quatrième Etat qui se lève et qui arrive à la conquête du pouvoir».
Depuis, le 1er mai est un jour chômé et payé dans de nombreux pays du monde, certains (comme les Etats-Unis et le Canada) ayant choisi un autre jour de l’année.
Nous sommes bien loin, s’agissant de la symbolique attachée au 1er Mai, de «choses futiles» propices à des chamailleries. Pourquoi n’en est-il pas de même dans l’esprit d’Emmanuel Macron ? Que traduisent ses propos ? De fait, ces derniers s’enracinent dans une idéologie qui fait florès depuis le XIXe siècle au sein du patronat, peut-être plus particulièrement en France où sa résistance à la réduction du temps de travail a été des plus vives. Cette idéologie est de nouveau à l’honneur dans notre pays depuis le fameux «travailler plus pour gagner plus», slogan trompeur puisqu’il se condense en général dans les deux premiers mots de la formule. Depuis 2002, de nombreuses mesures ont été prises en faveur de l’augmentation du temps de travail et sa dérégulation (augmentation du plafond des heures supplémentaires autorisées, exonération sociales et fiscales sur les heures supplémentaires, travail le dimanche, travail en soirée, de nuit…).
La crise économique et sociale provoquée par les modalités de réaction à la pandémie du Covid-19, semble donner des ailes à ceux qui souhaitent un retour, non pas à la situation pré-Covid, mais à l’avant 35 heures voire à l’époque où le temps de travail n’était pas régulé. Au moment où de nombreuses voix s’élèvent pour refuser «un retour à la normale» à travers une relance «brune» et prônent au contraire une relance verte de nature à freiner le changement climatique, le Medef réclame une suspension tant de l’application des normes environnementales que des normes sociales. Par une ordonnance du 25 mars dernier le gouvernement octroyait aux employeurs la possibilité d’imposer la prise de congés payés sans avoir à respecter le préavis d’un mois. Il leur donnait également la possibilité de déroger temporairement, sans qu’une date butoir soit prévue, aux durées maximales quotidiennes et hebdomadaires qui pouvaient être remontées respectivement de 10 heures à 12 heures et de 48 heures à 60 heures. Le repos quotidien peut être réduit de 11 heures à 9 heures tandis que possibilité est donnée de déroger au repos dominical dans certains secteurs dits en tension ou nécessaires à la sécurité et à la continuité économique et sociale. Dans ces mêmes secteurs les règles encadrant la durée du travail de nuit peuvent également être assouplies.
Assouplir les «verrous juridiques»
L’institut Montaigne, un think-tank proche des milieux patronaux, a fait de son côté des propositions allant dans le même sens. Pour «rebondir face au Covid-19», les auteurs estiment «nécessaire une augmentation de la durée moyenne du travail» en assouplissant quelques «verrous juridiques persistants».
Les propositions visent à permettre de déroger au temps de repos minimum quotidien de 11 heures ; à donner à l’employeur la possibilité d’imposer (à titre temporaire au moins jusqu’en 2022) le rachat de jours de RTT pour les salariés au forfait, sans majorations ; à relever les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires ; à différer le paiement des heures supplémentaires ; à faire en sorte que les formations inscrites dans le plan de développement des compétences de l’entreprise soient effectuées en dehors du temps de travail ; à supprimer le jeudi de l’Ascension comme jour férié ; à proposer aux fonctionnaires de secteurs d’activité économique ou en tensions d’accroître temporairement leur durée du travail en contrepartie d’une rémunération supplémentaire ; à réexaminer les questions de durée et aménagement du temps de travail (sur le mois, l’année, voire sur un cycle pluriannuel) dans les administrations publiques ; à accroître les catégories éligibles aux forfaits jours dans la fonction publique et y diminuer le nombre de RTT (à titre provisoire), en faisant par exemple passer le temps de travail des cadres de la fonction publique à 37 heures, sans compensation salariale obligatoire.
Cerise sur le gâteau les auteurs du rapport proposent également d’amputer d’une semaine les vacances scolaires de la Toussaint. Alors que, dans le meilleur des cas, l’on s’attend à une augmentation du taux de chômage en France de l’ordre de 2 à 3 points, alors qu’il conviendrait de mettre en œuvre des mesures de partage du travail, couplées avec un plan massif de formation et une relance par des emplois de qualité dans la rénovation énergétique des logements et des investissements massifs dans les énergies renouvelables, gouvernement et patronat ne jurent que par l’augmentation du temps de travail génératrice de chômage et de précarité. Tournant le dos à la reconnaissance qui s’est manifestée durant cette crise sanitaire au regard des travailleurs de ces secteurs «nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale», ces mesures si elles étaient appliquées concerneraient d’abord ces catégories peu qualifiées et peu rémunérées. Voilà qui nous promet, à défaut de lendemains qui chantent, des 1er Mai chamailleurs.