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Libération
Critique

Aux premières loges de l’apocalypse

L’auteur de SF Robert Silverberg imagine dans une nouvelle rééditée ces jours-ci la fin du monde comme un loisir à la mode.
publié le 13 mai 2020 à 18h01

«Vous savez ce qu'on a fait la semaine dernière ? Je vous le donne en mille : on est allés voir la fin du monde.» Nick et Jane avaient de quoi frimer : ils ont déboursé une fortune pour observer, sur une longue plage enveloppée de brouillard, la mort d'une sorte de crabe dont on leur a dit qu'il était le dernier être vivant sur Terre. Voilà qui aurait dû impressionner leurs amis, si ces derniers ne s'étaient pas presque tous offert le même spectacle ! La fin du monde est devenue le dernier loisir à la mode chez ces jeunes Californiens oisifs. Et chacun de raconter ce qu'il a vu : la Terre submergée par la montée des océans, dévorée par le Soleil ou encore gelée par une nouvelle ère glaciaire. Et les fanfaronnades sur ces visions d'apocalypse s'enchaînent dans l'allégresse insouciante de la bande, uniquement interrompues par quelques rappels à la réalité auxquels personne ne prête beaucoup d'attention. Les annonces d'un tremblement de terre sans précédent à San Francisco, d'émeutes meurtrières à Saint-Louis ou des bombes nucléaires qui tombent à droite et à gauche intéressent bien moins les amis de Nick et Jane que la fascination morbide pour ces récits d'apocalypse.

Destination fin du monde est publié en 1972 par Robert Silverberg, l'un des derniers survivants à ce jour de l'âge d'or de la science-fiction - il a été contemporain des plus célèbres, Isaac Asimov, Philip K. Dick ou Arthur C. Clarke. La nouvelle ponctue une période d'appétence pour les fictions d'apocalypse qui ne s'est pas tellement tarie depuis. Les années 70 avaient de quoi inspirer les auteurs de SF, entre guerre froide, menace d'un hiver nucléaire et première prise de conscience sérieuse des risques du dérèglement climatique. Mais on se surprend à tiquer, en lisant la nouvelle, par l'actualité toute particulière qu'elle prend au jour de sa réédition.

Robert Silverberg l'écrit lui-même, dans une préface du 30 mars 2020, «à l'aube d'une terrible pandémie» : «Durant toute ma vie d'écrivain, j'ai essayé d'entrevoir l'avenir ; ce à quoi j'assiste aujourd'hui est tellement effrayant que l'avenir, je l'espère, apportera cette fois un démenti à ma vision de demain.» A défaut de paniquer devant l'état de notre monde, nous trouverons au moins, comme les protagonistes qui dansent sur un volcan, un certain réconfort à lire les mille manières dont il pourrait finir dans quelques milliers d'années.

Destination fin du monde, à paraître le 9 juin.