Tribune. Les deux mois de confinement qui s'achèvent ont été une épreuve pour les citadins. Ils ont aussi permis de mesurer la grande vulnérabilité alimentaire des métropoles. Heureusement les circuits courts et l'approvisionnement local sont devenus une priorité pour de nombreux élus, y compris pour la présidente de la région Ile-de-France.
Le collectif Pour le Triangle de Gonesse, qui se bat depuis presque dix ans pour sauver les terres agricoles de la plaine de France, se félicite de ce changement d'état d'esprit : son combat contre le projet de mégacentre commercial EuropaCity a été, depuis le début, animé par le désir de maintenir la vocation agricole de cette zone, située à seulement 15 km de Paris. Cette ambition est aussi portée par la coopérative Carma (1), qui vient de remettre deux rapports sur la transition écologique de la plaine de France à Francis Rol-Tanguy, le haut fonctionnaire chargé par le gouvernement d'une mission sur l'avenir du territoire.
Une autre leçon de l’épidémie est la confirmation de notre diagnostic sur le modèle économique d’EuropaCity. Celui-ci consistait à faire venir par avion des touristes du monde entier, notamment de Chine – comme pour Disneyland, fermé depuis deux mois suite à l’épidémie de coronavirus.
Cette crise montre que l’économie ne doit pas reposer uniquement sur des échanges internationaux qui peuvent être stoppés à tout moment. Le manque de masques, de blouses, de respirateurs et de médicaments est lié à cette économie mondialisée.
Un monstre urbain
Le président Macron parle désormais de «résilience». C’est un progrès. Mais il y a loin de la parole aux actes. A vouloir imposer, sans le moindre changement, le projet du Grand Paris, l’Etat prend à nouveau le risque de créer un monstre urbain humainement destructeur, gourmand en ressources non renouvelables, infiniment complexe, donc vulnérable, mais profitable à quelques investisseurs.
Les projets de bétonnage du Triangle de Gonesse sont devenus un symbole de l’absurdité d’un Grand Paris qui n’hésite pas à détruire des terres agricoles d’excellente qualité, au mépris de l’impératif de la relocalisation de notre alimentation.
Pourquoi à tout prix vouloir artificialiser le Triangle, alors qu’il est situé sous des couloirs aériens qui interdisent d’y construire des logements ? Pourquoi persister à y bâtir une gare, alors que le centre commercial qu’elle devait desservir est désormais abandonné ? L’utilité sociale de cette infrastructure serait quasi-nulle, les premières habitations de Gonesse étant à 1,7 km de l’emplacement retenu. Enfin, comment justifier une telle dépense d’argent public alors que tant d’autres demandes des habitant·es du territoire ne sont toujours pas satisfaites ?
Face à ce constat, certains s'entêtent à nier l'évidence. Le 9 avril, au plus fort de l'épidémie de coronavirus, le président de la Société du Grand Paris, Thierry Dallard, annonçait son intention de «reprendre les travaux le plus rapidement possible». Pour lui, la gare du Triangle de Gonesse constitue «le point d'entrée dans la métropole, via le Grand Paris Express, pour des milliers d'habitants du Val d'Oise, notamment pour des communes où l'enjeu de cohésion sociale et de réduction de la fracture territoriale est majeur comme Gonesse, Villiers-le-Bel, Sarcelles, Garges-lès-Gonesse et Goussainville».
Tournant
Comme d'autres l'ont fait avant lui pour promouvoir le projet EuropaCity, Thierry Dallard utilise les difficultés sociales du territoire pour justifier le bétonnage des terres du Triangle de Gonesse. Or les habitant.es de l'est du Val d'Oise n'ont pas besoin d'une gare en plein champ. En revanche elles et ils réclament depuis longtemps l'amélioration du RER D, une meilleure desserte de proximité par les bus, la réalisation complète du tram-train T11 express reliant entre elles les radiales du nord de l'Ile-de-France vers Paris, de Sartrouville (78) à Noisy-le-Sec (93), en passant par Argenteuil (95), Épinay-sur-Seine (93) et Le Bourget (93), et la prolongation jusqu'à Villiers-le-Bel du tramway T5 Saint-Denis-Sarcelles.
Nous sommes à un tournant : soit la Société du Grand Paris choisit de répondre aux besoins avérés des habitant·es, comme celui de faciliter les transports du quotidien, soit elle risque d’alimenter encore la défiance des Francilien·nes à son égard, en se coupant complètement de la réalité. Les terres fertiles de Gonesse méritent mieux que cette gare d’un autre temps.
(1) Carma, Coopérative pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d'avenir : un projet de transition écologique à partir du Triangle de Gonesse.