Menu
Libération
Interview

Patrick Zylberman : «Les prédictions catastrophes empêchent plus qu’elles n’aident la prévention des épidémies»

Article réservé aux abonnés
Depuis vingt ans, les spécialistes élaborent des scénarios de crise pour préparer les décideurs à y faire face. Alors pourquoi étions-nous aussi désemparés face à l’arrivée du Covid ? Parce que cette gestion par «scénarios» est fondée sur la fiction plutôt que sur la prospection rationnelle, selon l’historien de la santé.
Image tirée du jeu vidéo Tom Clancy’s : The Division, inspiré de l’opération «Dark Winter» qui s’est déroulée aux Etats-Unis, en 2001. (Photo UBISOFT)
publié le 20 mai 2020 à 18h11

Etions-nous préparés à faire face à une pandémie ? La manière dont la dangerosité du virus a été sous-estimée et le manque de matériel médical en France inclineraient à répondre : «Non». Pourtant, voilà plus de deux décennies que des experts gravitent autour des Etats et des grandes entreprises pour anticiper les risques à venir. Leur oracle n’est plus délivré par du marc de café, mais soigneusement élaboré au travers de scénarios destinés à anticiper un risque technologique, terroriste ou sanitaire, pour aider les dirigeants à mieux y faire face lorsqu’il surviendra.

Dans son livre Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique (2013, Gallimard), l'historien de la santé Patrick Zylberman pointait comment, pour prévoir des événements exceptionnels, le pouvoir d'inventivité sans limite de la fiction semblait plus pertinent aux gouvernants que les froides modélisations des savants. Mais cette manière de procéder a aussi ses limites : la fiction est vite dominée par la logique du pire, et les scénarios virent à la catastrophe. Ils laissent aussi un angle mort : l'imprévu qui échappe, presque toujours, au règne de la fiction.

Des alertes étaient données depuis plusieurs années sur une crise sanitaire prochaine. Etait-on préparés pour autant ?

Cela fait des années que les autorités sanitaires travaillent sur ce que les Américains appellent «The Big One», la grande épidémie qui bousculerait tout. Mais le problème, c’est qu’un tel scénario n’est pas politiquement exploitable : si des experts peuvent réfléchir à une catastrophe, les politique