Comme la carte l'indique (vois aussi sur le site Submarine Cable Map), le continent entier est entouré de câbles sous-marins contenant de la fibre optique qui permet de faire circuler l'information depuis, vers ou le long du continent. Ces câbles ont une histoire qui suit un trajet familier à qui s'intéresse à l'histoire des relations entre l'Europe et l'Afrique. Ils ne font que reprendre la route des câbles téléphoniques et avant eux télégraphiques install és par les Européens au cours du XIXe et XXe siècles. On pourrait analyser cette géographie des câbles par le simple fait qu'il coute moins cher de poser un câble sous la mer que de le faire traverser un continent entier.
Pourtant un coup d'œil aux nœuds de communication rappelle une géographie héritière des relations entre le continent européen et africain. Ainsi ce sont logiquement les villes qui se sont étendues pendant la colonisation européenne sur le versant atlantique du continent qui ont bénéficié pour le plus de la construction des câbles sous-marins toujours construits du nord vers le sud. Cote océan indien, la logique n'est pas aussi claire et pour cause, les navires européens n'ont pas sillonné et exploit é ces rivages de manière aussi intensive pendant des siècles. On y retrouvera donc un câble comme SEACOM détenu par une entreprise du même nom et Tata communication, un operateur indien (d'après le site Submarine Cable Map).
Ces câbles de fibre optique ont été construits autour de l'Afrique à partir des années 2000 mais ces derniers n'ont pas été installés par des pays ou des entreprises du continent. Ils l'ont tout d'abord été par des consortiums incluant souvent un mélange d'entreprises internationales et d'opérateurs nationaux. Ainsi le câble sous-marin ACE relie la France à l'Afrique du Sud (voir son site web ici). Long de 17 000 kilomètres, il a été lancé en 2012 et a une capacite de 5,12 Tbps (TeraBits Per Second). Les câbles qui peuvent avoir un diamètre de 5 cm ont été construits par Alcatel Submarine Network et posés par Orange Marine. Ils devraient atteindre l'Afrique du Sud cette année.
On parle souvent des fautes techniques que ces câbles sous-marins peuvent subir. Effectivement en mars 2020, une tempête en Egypte a endommagé un câble et provoqué des problèmes pour le pays. Pourtant, ce ne sont pas les tempêtes ou les poissons qui rongent le plus les câbles d'informations. Par une coïncidence extraordinaire, il apparait souvent que les pannes dites techniques surviennent au moment d'élections ou de soulèvement populaire…
Un exemple parmi tant d'autres permet de comprendre l'ampleur du monopole et de la centralisation de l'information que ces câbles permettent de réaliser. Le 31 mars 2018 s'est tenu le deuxième tour des élections générales de Sierra Leone. Tard dans la nuit et au petit matin du 1er avril, le câble sous-marin ACE a connu une défaillance. Le résultat direct est que le pays ne pouvait utiliser Internet par cette voie-là. De là à conclure que le gouvernement sierraléonais était derrière cette opération, il n'y a qu'un pas.
Comment ne pas voir l'extrême fragilité de ces réseaux de câbles sous-marins ? Certains pays ne sont reliés au réseau mondial de télécommunication que par un seul câble et il est évidemment facile pour un gouvernement de fermer le robinet si besoin est. Les connexions satellites sont tellement rares (5% à l'échelle mondiale) que des États peuvent choisir de verrouiller l'information ainsi. On pourrait penser que les informations peuvent toujours circuler sur le réseau téléphonique mais elles aussi dépendent étroitement des câbles sous-marins et sous-terrains. Ainsi dans l'espace d'un seul mois en janvier 2019, pas moins de trois pays africains (RDC, Gabon, Zimbabwe) ont tenté de contrôler toute l'infrastructure de circulation de l'information.
L'histoire de ces câbles est loin d'être terminée en Afrique. Le 14 mai 2020 a été officiellement lancée la construction du câble sous-marin 2Africa. Long de 37 000 kilomètres, ce câble présente une nouveauté pour le marché africain de l'information. Ce câble aura la particularité d'être panafricain et d'entourer tout le continent. Résultat des derniers développements technologiques, il pourra en théorie avoir une capacite de 180 Tbps, une capacité bien supérieure à celle actuellement disponible.
Pour la première fois se produira un phénomène déjà observé sur le reste de la planète. Le consortium derrière le financement de ce câble comprend Vodafone, MTN Group, China Mobile, WIOCC, Orange, Telecom Egypt, Saudi Telecom mais aussi Facebook. Le contrôle de l'information ne sera plus uniquement dépendant des opérateurs traditionnels mais aussi de Google, Facebook, Amazon ou Microsoft (Apple n'a pas choisi d'investir dans les câbles pour l'instant).
On pourra ainsi voir le projet de câble sous-marin pour l'Afrique financé par Google . Ce projet est nommé d'après Oloudah Equiano (c. 1745 – 1795) un homme issu du sud du Nigeria actuel réduit en esclavage dans sa jeunesse et devenu champion de l'abolition de l'esclavage à Londres. Tout un symbole des relations Europe-Afrique.
Quand on sait que le principe de neutralité du net ne s'applique pas (encore) aux câbles sous-marins, on peut se dire que l'histoire des câbles sous-marins a encore de quoi faire parler d'elle.
Aurore Lartigue, Un océan de câbles, les autoroutes du web en question , RFI, mars 2019.
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