Si j'ai bien compris, maintenant on est d'autant plus en droit de se la jouer déconfinés sans complexe qu'on saura quoi faire - et ne pas faire - en cas de seconde vague. On s'est constitué un petit kit de survie, y compris psychologique, qui permettra de peser pour et contre avec une juste balance si reconfinement il y a. Par exemple, les gosses ? On ne va pas entrer dans le détail, mais grands-parents ou pas grands-parents ? Serait-ce mieux qu'ils restent coincés à Montauban durant toute l'épidémie, ou le charme de les avoir près de soi quand ils dorment surpasse-t-il les inconvénients de leur si touchante énergie ? Et puis d'abord, n'est-ce pas eux qui trouveraient qu'on ne devrait jamais quitter Montauban où les claques tombent moins dru et où il y a plus de chocolat ? Quant à ce qui concerne mari, femme, amante et amant, peut-être est-ce soi-même qui préférerait être en déplacement à Montauban pour ne pas avoir à choisir ni à passer son temps en textos pour gérer l'autre. «Je comprends que ça ne doit pas être facile pour toi avec le télétravail plus les enfants sans compter ta mère, ah si seulement je pouvais venir vous aider, salaud de virus.» Et si la seconde vague ne déferle pas, on aura un gouvernement averti qui en vaudra au moins deux, à qui on pourra dire : «Tout l'argent qu'il aurait fallu dépenser pour faire face, si on le dépensait pour autre chose de plus sympa ?»
Ce qui sera décevant, s'il n'y a pas de seconde vague, c'est de ne pas savoir qui a gagné parmi les médecins, s'il n'y avait plus de cobayes malgré eux pour tomber comme des mouches ou survivre comme des surhommes. L'affaire Raoult divise la France comme l'affaire Dreyfus : qui connaît une famille ne se déchirant pas entre ceux qui veulent dégrader le professeur et ceux qui sont persuadés de son innocence ? On les imagine, sur leur lit de souffrances, les malades refusant ou réclamant l'hydroxychloroquine : «Non, moi vivant, jamais», ou «S'il vous plaît, allez, je vous jure que j'irai témoigner cinq étoiles pour vous sur TraitementAdvisor ensuite», sans compter les téméraires qui feront banco sur le placebo.
Il y a les croyants et les laïcs, il faudrait un concordat pour régler les rapports de l’Etat et de la médecine. A l’avenir, tous les généralistes devront afficher leur obédience sur la porte de leur cabinet : pro-Raoult ou anti-Raoult. Seront-ils remboursés semblablement par la Sécurité sociale ou l’un des deux camps relèvera-t-il de l’homéopathie avec les inconvénients financiers afférents ?
C’était pas ça, le confinement. Mais une grande différence entre le travail et le télétravail, c’est que celui-là, on ne peut pas y aller en pyjama. Et puis il y avait le chômage partiel, qui fait aussi un considérable changement avec le chômage total pendant au nez d’une flopée de déconfinés qui pourront se reconfiner autant qu’ils voudront. Sans compter les logiciens et autres lexicographes qui prétendent que s’il n’y a pas de seconde vague, il n’y aura pas eu de première, car ça ne s’appelle pas une vague, à l’unité, surtout que ça ressemble plus à des rouleaux géants, le nom serait plus précis, c’est-à-dire moins vague. Il est vrai que ça ne devrait pas trop tarder, et que l’été nous promet une bonne vague climatique, peut-être caniculaire, et l’automne-hiver une vague de faillites de derrière les fagots. D’autant qu’il n’y aura pas que les vagues à se farcir : aussi, si j’ai bien compris, les vaguelettes de tout ordre qui déferleront comme à Gravelotte.