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Blog «Géographies en mouvement»

Lieux de Funès, la France en folie

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Par son énergie, sa capacité à retourner tout ce qui bouge autour de lui, Louis de Funès hante la France d'aujourd'hui. Le voici dans les lieux où il gronde comme un orage dans la campagne. A l'occasion d'une rétrospective à la Cinémathèque (qui réouvre) et un collector époustouflant comme sa légende.
Dans le décor grandiose de Montpellier-le-Vieux (Aveyron). "La Grande Vadrouille" de Gérard Oury (1966). Avec Bourvil.
publié le 8 juin 2020 à 11h57
(mis à jour le 8 juin 2020 à 14h01)

Qui est Louis Germain David de Funès de Galarza ? On le dit «acteur comique préféré des Français». Un héritier de la grande tradition du burlesque, un perturbateur de génie. Le voici de retour à la Cinémathèque. Dans les 140 films où il a campé un personnage de Français moyen, impulsif, râleur, au franc-parler parfois dévastateur, il a construit aussi une géographie de la France de l'après-guerre, symbolisant toutes les tares et les travers de ces années folles d'avant Mai-1968.

La géographie rêvée des Français de Louis de Funès, c'est celle des petites villes que visitait le Général de Gaulle son contemporain, celle des métropoles avec leurs singeries sociales dans La folie des grandeurs, jusque dans leurs retranchements de province, comme Le grand restaurant... Celle des campagnes où il jouait comme les enfants à cache-cache. Mais De Funès avait aussi ses régions régions préférées.

Pour la plupart, il a fait découvrir et aimer le Midi et la Côte d'Azur. C'était à l'époque, un nouvel eldorado pour les trentenaires des Trente Glorieuses. On le suivait dans une méhari pilotée par des gendarmes, une France républicaine donc. On poussait des cris derrière une 2 CV pilotée par des soeurs déjantées, une France catholique là, le pendant de l'Italie de Don Camillo, les bagnoles se livrant à d'invraisemblables courses poursuites sur les routes ensoleillées d'une garrigue jalonnée de pins parasol et de panneaux indicateurs blancs, en ciment. Dans le Petit baigneur, la scène finale en rade de Toulon donne à voir une société déboussolée par ce qu'elle prenait pour son horizon indépassable : le progrès.

Sur la côte, le port minuscule de Saint-Tropez, où Brigitte Bardot enflamme la vile lorsqu’elle s’installe à la Madrague à l’âge de 23 ans, les paysages sont comme vampirisés par le personnage. Tous les lieux où de Funès éructe et tempête sont marqués au fer rouge.

Les films de Louis de Funès dessinent aussi une France jacobine. Comme toujours en France, tout commence et finit à Paris. La Grande vadrouille, ce sont les routes de la France libre, sinueuses de l'Aveyron où quelques citrouilles lâchées d'un camion mettent en déroute une patrouille nazie. Chez Rabbi Jacob, c'est la Normandie qu'on revoit au diapason d'un air archi connu. Sur les routes plates et monotones du Bassin parisien, Louis de Funès feint de s'offusque que son chauffeur est juif et non pas catholique. Et subitement, la plaine de la Beauce prend une forme de montagne.

Saint-Vincent le Paluel (Dordogne) dans «Le tatoué»

Louis de Funès, c'est la géographie en mouvement. Grâce à la voiture, on fouille dans toute la France, comme le Tour de France cycliste fait découvrir le moindre patelin. Mais au pied du Panthéon, la 2 CV d'Antoine Maréchal (Le Corniaud) n'en fait que le tour. L'antique Traction de Gabin dans Le tatoué divague dans les méandres de la vallée de la Dordogne. Le Grand restaurant nous bluffe autant par les neiges de Val d'Isère que par le menu. Et la course poursuite sur le barrage de Tignes n'est bien sûr qu'un prétexte pour vanter, vue d'hélico, la beauté des ouvrages de cette époque bétonneuse.

De Funès explore aussi l'Espagne dans La folie des grandeurs où les paysages époustouflants de la meseta espagnole sont l'étape obligée avant les dunes du désert de la région d'Almeria. Chaque Français et chaque spectateur peut faire de la géographie avec les lieux de Louis de Funès.

Une géographie sensible, une forme d'espace vécu à 100 à l'heure qui s'est terminé dans le mur de la crise pétrolière.

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Signalons un collector superbe : Louis de Funès, à la folie. La Martinière - Cinémathèque.

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