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Libération
TRIBUNE

Peut-on faire confiance à Renault et PSA ?

Les deux constructeurs avaient promis de continuer d’assembler leurs citadines en France, ils vont pourtant délocaliser.
(Yves Herman/Photo Yves Herman. Reuters)
par Elie Cohen, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Pierre-André Buigues
publié le 11 juin 2020 à 18h26
(mis à jour le 12 juin 2020 à 10h27)

Tribune. Les deux multinationales françaises PSA et Renault ont progressivement délocalisé leur production. En 2020, leurs dernières voitures citadines (segment B) assemblées en France, 208 et Clio, vont quitter notre pays. Pourtant, PSA avait promis qu'il continuerait à assembler une majeure partie de ses petites voitures en France. En 2020, la Clio 5 sera fabriquée en Turquie et en Slovénie, et la Peugeot 208 actuelle en Slovaquie ou en Roumanie. Ces deux constructeurs «nationaux» expliquent que fabriquer ces véhicules d'entrée de gamme en France reviendrait à les vendre beaucoup trop cher.

Dans le même temps, ces multinationales appellent l’Etat à la rescousse dès qu’elles sont en difficulté. Le gouvernement français est entré au capital de PSA en 2013 pour sauver ce constructeur de la faillite et en 2020, Renault va recevoir un prêt de 5 milliards d’euros, sa survie étant menacée. Une question que les Français doivent se poser. Peut-on faire encore confiance à ces deux multinationales «françaises» pour investir en France quand elles s’engagent à localiser le haut de gamme ou l’électrique dans notre pays ?

Car, contrairement au discours de ces deux entreprises, on peut produire des petites voitures citadines de façon rentable et même continuer d’investir dans notre pays. En France, Toyota va produire sa quatrième génération de Yaris à Valenciennes et a annoncé 500 recrutements supplémentaires. 87 % de la production de la Yaris est exportée en Italie, au Royaume-Uni et pour une petite partie aux Etats-Unis et, à terme, 300 000 Yaris devraient être produites en France. Sur le segment des petites citadines, l’exemple de Toyota n’est pas unique. Ford continue lui aussi à fabriquer sa Fiesta en Allemagne où les coûts de production sont encore plus élevés qu’en France. La France peut donc être une terre de production compétitive même pour la production de petites voitures. Comment fait Toyota pour produire une petite citadine «made in France» ?

Tout d’abord, les coûts de main-d’œuvre représentent entre 8 % et 15 % du coût total de production d’une voiture, mais la robotisation permet une forte réduction de l’impact de ces coûts. L’écart de salaire, mis en avant par Renault et Peugeot, est donc, en partie, trompeur.

En second lieu, produire dans un pays à bas coût éloigné, entraîne des surcoûts de logistique puisque ces véhicules doivent être exportés pour une large part vers la France, où ces véhicules sont des best-sellers. De plus, la qualité est moins facile à contrôler dans ces pays. A une époque où les enjeux climatiques sont prioritaires, produire localement est un plus.

En troisième lieu, le site de Toyota à Valenciennes est la dernière usine spécialisée dans l’assemblage de voitures en France. PSA et Renault assemblent dans des usines françaises très anciennes et où les investissements en modernisation sont restés insuffisants. Toyota bénéficie d’une usine intégrant les méthodes de production modernes. En 2018, 300 millions d’euros ont été investis pour développer les capacités industrielles du site et mettre en place une nouvelle plateforme modulaire.

Enfin, pour les dirigeants de Toyota à Valenciennes, une usine productive, c'est «avant tout une question d'organisation». Dans les ateliers, les méthodes, qui ont fait la renommée de Toyota, sont partout appliquées, ce qui permet de limiter les surcoûts. Un des directeurs de Toyota insiste sur l'amélioration permanente de la productivité. «Toutes les semaines, nous arrêtons les lignes de production cinquante minutes par équipe pour réfléchir, par exemple, à de nouvelles méthodes de travail.»

La réponse est donc oui, on peut produire des petites voitures en France mais il faut investir, robotiser et ne pas hésiter à se remettre en question. Peut-on encore faire confiance à nos constructeurs «nationaux» pour produire en France ? Le gouvernement fait le pari que la transition vers le véhicule électrique est une occasion à ne pas rater mais il faudra plus que des engagements verbaux de la part des multinationales françaises.