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Tribune

La loi de bioéthique à l'épreuve des tests ADN

De plus en plus de Français désireux de connaître leurs origines ont recours à des tests génétiques, interdits en France hors autorisation d’un juge ou prescription médicale, via des entreprises étrangères. Il est urgent d'encadrer cette pratique.
L'analyse de prélèvements ADN est essentielle mais insuffisante pour déterminer l'identité du ou des chien(s) à l'origine du décès. (Andrew Brookes/Photo Andrew Brookes. Getty Images)
par Audrey Kermalvezen, fondateurs de l’association Origines
publié le 19 juin 2020 à 18h40

Tribune. «Dans la vie rien n'est à craindre, tout est à comprendre.» (Marie Curie). Chaque année, 100 000 à 200 000 Français commandent sur Internet un test génétique commercialisé en direct par des sociétés étrangères comme, par exemple, FamilyTreeDNA ou 23andme aux Etats-Unis et MyHeritage en Israël. Ces tests dits d'origine, d'ascendance ou encore généalogiques, permettent à ceux qui le souhaitent de connaître leurs origines géographiques voire régionales. De plus, ils mettent en relation les ADN des personnes ayant une lignée génétique commune si elles ont consenti à ce type de comparaison entre utilisateurs d'un même service.

Ainsi, sans bouger de son salon, un Français conçu par PMA a pu, moyennant 100 euros, retrouver une cousine génétique londonienne qui avait fait le même test que lui dix ans plus tôt. Surprise ! Elle était de la famille de son donneur de sperme (anonyme en France) qu’il recherchait depuis trente-cinq ans. Cette correspondance ADN avec une inconnue couplée à quelques recherches généalogiques lui a permis de retrouver l’homme qui lui a donné la vie puis de le rencontrer (1). A sa suite et grâce à la généalogie génétique, de nombreuses personnes adoptées, conçues par PMA ou nées sous X ont également réussi à retisser le lien rompu jusqu’à leurs géniteurs. Nombreux sont ceux qui ont utilisé ce test à diverses fins, pour vérifier s’il y avait effectivement des origines italiennes dans la famille ou encore résoudre des blocages dans leur arbre généalogique.

En quête de vérité

Faut-il s’en inquiéter et interdire ces tests ADN en accès direct ? En France, le code pénal sanctionne déjà, en théorie, d’une amende de 3 750 euros l’examen des caractéristiques génétiques hors autorisation d’un juge ou prescription à des fins médicales. Mais, à l’heure d’Internet, cette interdiction a montré toutes ses limites alors que ces tests sont autorisés dans tous les pays voisins. Les détracteurs de ces tests invoquent les prétendus risques liés à la révélation d’éventuelles filiations illégitimes. En quoi la France serait-elle une exception? Peut-on raisonnablement continuer à s’opposer au droit de millions de personnes en quête de leurs origines alors qu’il a été établi par les travaux de Maarten Larmuseau (2) de l’université catholique de Louvain (KUL) que le taux de fausse paternité n’était que de 0,9% par génération? Autorisés ou non, les Français sont de plus en plus nombreux à faire ces tests.

Refuser d'encadrer cette pratique en pleine explosion (3) c'est refuser d'entendre nos concitoyens en quête de vérité, en leur offrant comme seule alternative de contourner la loi. C'est surtout laisser des pays étrangers développer des banques de données génétiques sans avoir le moindre contrôle sur cette activité. Quand on sait que l'une des trois plus grosses sociétés d'ADN (23andme) a revendu les données génétiques de ses clients à plusieurs laboratoires pharmaceutiques (Pfizer en 2015, Glaxosmithkline en 2018) et que la police américaine a désormais un droit de regard sur les correspondances ADN des utilisateurs d'un autre site (GEDmatch), on comprend l'urgence pour le législateur français à proposer un encadrement protecteur.

Le ticket gagnantdu test «made in France»

Plus de 80% des Français de moins de 40 ans (4) sont favorables à la légalisation de ces «tests généalogiques» improprement qualifiés de «récréatifs», et 85% des sondés considèrent qu'il est très important qu'ils soient réalisés par une entreprise basée en Europe et soumise à la réglementation européenne de protection des données.

Une clarification des différents usages susceptibles de se développer à partir de ces données génomiques est aussi impérieuse. Il conviendrait de distinguer les tests à des fins de recherche des origines de ceux ayant une finalité scientifique (en proposant aux utilisateurs de participer à un programme de recherche notamment basé sur un questionnaire comme par exemple la méthodologie E-CohortE ou médicale (destinés à identifier une maladie déterminée ou donnant des indications sur une éventuelle prédisposition au développement de certaines pathologies). Dans ce dernier cas, l’accompagnement des utilisateurs par un professionnel qualifié doit être obligatoire. Un consentement éclairé serait requis pour chaque analyse.

Il ne s'agit pas de modifier l'encadrement actuel des tests autorisés par un juge, prescrits par un médecin ou réalisés dans le cadre d'une recherche scientifique mais seulement de légaliser «à la française» ou, a minima, de dépénaliser cette nouvelle finalité d'analyse de l'ADN : la recherche des origines. Cela serait d'autant plus bénéfique que, grâce à eux, chacun se découvre citoyen du monde, issu d'un mélange. Cette pluralité d'origines est une ouverture extraordinaire sur le monde et un formidable pied de nez au racisme.

(1) A. Kermalvezen et C. Rotman, Le Fils, éd. L'Iconoclaste.

(2) Cuckolded Fathers Rare in Human Populations, M. H. D. Larmuseau et Trends in Ecology & Evolution.

(3) Aux Etats-Unis, lors du Black Friday en 2018, en un week-end 1,5 million de kits ADN ont été vendus par la société américaine AncestryDNA (J. Bellon Les enjeux socio-économiques, juridiques et éthiques de la commercialisation des tests génétiques personnels, ESCP Europe Business School 2018/2019).

(4) Sondage Geneanet réalisé du 19 au 31 mai 2018 sur plus de 20 000 personnes.

Signataires : Marie-Françoise Colombani, journaliste, scénariste et auteure de romans et entretiens, Coralie Dubost, députée, corapporteure du projet de loi de bioéthique, Muriel Flis-Trèves, psychiatre-psychanalyste, Philippe Froguel, généticien, Alix Girod de l'Ain, écrivaine, journaliste et scénariste, Serge Hefez, psychiatre-psychanalyste, Gustave Kervern, réalisateur, Laurent Laffont, éditeur, Aissa Maiga, comédienne, Maurice Mimoun, chef de service de chirurgie plastique et réparatrice et écrivain, Pascal Neveu, psychanalyste, Israël Nisand, gynécologue-obstétricien et fondateur du forum européen de bioéthique, Nonce Paolini, ex-PDG de TF1, Natalia Pouzyreff, députée, Olivier Rousteing, directeur artistique chez Balmain, Fabienne Servan-Schreiber, productrice, Jean-Louis Touraine, député, corapporteur du projet de loi de bioéthique. Liste complète des signataires disponible sur www.associationorigines.com