On associe généralement la « guerre des ondes » à la concurrence entre la BBC et Radio Paris pendant la seconde guerre mondiale, ou à Radio Moscou et Radio Free Europe pendant la guerre froide. L'Afrique n'a pas échappé à cette guerre des ondes. Alors que l'Egypte nassérienne et le jeune État hébreu s'affrontent sur le terrain, les deux pays se livrent aussi à une lutte d'influence sur les Etats Africains dont l'Afrique de l'Est est le théâtre privilégié. La radio en est, en ce milieu des années 1960, le vecteur privilégié.
Depuis le milieu des années 1950, le colonel Nasser, célébré à Bandung, fait figure de leader des pays du Tiers-Monde. L'Afrique est en train de devenir indépendante. Les leaders panafricains font entendre leur voix. De l'autre côté du continent, Kwamé N'Krumah fait accéder le Ghana à l'indépendance. Il espère faire de son pays le phare du panafricanisme. Nasser quant à lui se verrait bien aussi influer sur le destin du continent noir. Depuis le milieu des années 1950, Deux radios égyptiennes émettent en swahili plusieurs heures par jour, à destination de la côte kenyane, du Tanganyika et de Zanzibar : Sauti Ya Cairo (ou Radio Le Caire) et Voice of Free Africa.
La radio était un vecteur puissant d'influence dans les années 1950. Les deux superpuissances l'avaient bien compris et Radio Moscou, aussi bien que Voice of America émettaient déjà en Swahili. Pourtant, la radio égyptienne connut un important succès au Tanganyika et à Zanzibar, notamment auprès d'une opinion musulmane, sensible aux thématiques anticoloniales. Radio Le Caire ressuscita même une forme de concours traditionnel d'insultes poétiques en Swahili : britanniques et occidentaux y étaient régulièrement qualifiés de « porcs et de chiens », alors que la fraternité entre Arabes et Africains y était célébrée. De l'aveu même des autorités britanniques, les radios égyptiennes avaient une large audience qui compromettait l'éventuelle collaboration d'élites qui auraient été, sans cela, enclines à travailler avec les Britanniques.
La crise de Suez allait voir apparaitre un nouveau concurrent dans la guerre des ondes en Afrique de l'Est : Israël. Depuis son indépendance, Israël souffrait d'un déficit de soutien dans le Tiers-Monde. Plus proche des occidentaux que des Etats nouvellement décolonisés, l'Etat hébreu n'était pas présent à la conférence de Bandung. L'enjeu était pourtant de taille. Avec la création de nouveaux Etats décolonisés dans les années 1960, Israël devait s'assurer des votes à l'assemblée générale de l'ONU, pour éviter les résolutions trop contraignantes à son encontre. L'Afrique était un terrain de choix. Qui pourrait aider les pays africains au moment de leur indépendance à venir, obtiendrait certainement leur soutien ensuite. Tel Aviv avait d'ailleurs commencé à envoyer des missions d'assistance à l'irrigation au Ghana, au Nigéria. En 1956, l'affaire de Suez avait rendu encore plus pressante, la nécessité de soutiens en Afrique de l'Est. En effet, la fermeture du Canal de Suez par l'Egypte, en rétorsion à l'intervention franco-britannico-israélienne, privait l'Etat hébreu de son ouverture sur la mer rouge, via le port d'Eilat. Le trafic maritime avec l'Asie et l'Afrique de l'Ouest se trouvait ainsi terriblement ralenti.
Il fut donc décidé de créer un programme en Swahili à destination de l'Afrique de l'Est au sein de Radio Kol Yisrael, la radio publique israélienne. Les enregistrements étaient réalisés à Jérusalem. Les émissions, rédigées par les officiels israéliens, étaient ensuite traduites en swahili par deux étudiants originaires du Tanganyika et diffusées en ondes courtes. Les programmes d'une demi-heure par jour devaient redorer le blason d'Israël auprès de la communauté swahiliphone. Le Mossad et le ministère israélien des Affaires étrangères étaient à l'origine de cette idée. Il fallait diffuser en Afrique un narratif alternatif à celui des Egyptiens, concernant le conflit israélo-arabe. Il s'agissait d'une partie d'un plan plus vaste de HASBARA que l'on pourrait traduire par « justification » et qui consistait tout simplement à organiser la propagande israélienne à l'échelle non seulement de l'Afrique, mais plus largement des pays du Tiers-Monde. Toutefois, l'initiative dura peu. Le signal, émis depuis Israël, était trop faible pour une écoute de qualité minimale, et « l'opinion publique » semblait se limiter, selon le témoignage du premier ambassadeur israélien en Tanzanie, à 300 ou 400 personnes qu'il serait plus facile d'influencer autrement, en particulier par l'aide à la protection personnelle des nouveaux dirigeants.
Aujourd’hui, alors que les radios égyptiennes émettent toujours en Swahili, elles continuent d’avoir un certain succès même si les thématiques anticoloniales sont moins à la mode. Israël, après deux décennies d’absence, se réintéresse à l’Afrique de l’Est. En 2016, Le Premier Ministre Benjamin Netanyahou s’est rendu en visite officielle dans la région. L’Egypte n’est plus aujourd’hui le principal concurrent dans la région, mais d’autres pays musulmans dont la Turquie et les pays du Golfe. Quant à la propagande, elle passe désormais par les réseaux sociaux.