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Chronique «Politiques»

Convention citoyenne : le piège du référendum

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Ils ont consulté une multitude d’écologistes. Ils auraient aussi dû entendre des constitutionnalistes, car les propositions de 150 citoyens risquent de se heurter à des impasses légales.
(Photo Denis Allard pour "Libération")
publié le 24 juin 2020 à 18h01

Emmanuel Macron aime le risque. En décidant la création d’une convention de 150 citoyens, tirés au sort mais représentatifs de la société française, en lui confiant l’élaboration d’un projet de lutte contre le réchauffement climatique, en s’engageant à transmettre leurs propositions «sans filtre», le Président faisait un pari audacieux. Laissant entendre dès le départ qu’il était favorable à ce que leurs travaux débouchent sur un référendum (a priori à questions multiples), il se montrait au moins hardi, peut-être téméraire. Chacun pouvait comprendre qu’après le long psychodrame si révélateur des gilets jaunes, il s’agissait en fait d’expérimenter une forme de démocratie semi-directe, censée compléter et revigorer la sage démocratie représentative.

Le chef de l’Etat a gagné la première moitié de son pari. Les 150 ont, de l’avis de ceux qui ont suivi de près leurs travaux, pris très au sérieux leur tâche, écouté attentivement de nombreux experts (en majorité habillés de vert), longuement débattu après s’être documentés. Le week-end dernier, ils ont adopté, à une très large majorité, un énorme rapport détaillant 149 propositions. Ils ont repoussé énergiquement l’objectif chimérique des 28 heures de travail hebdomadaire payées 35 qui aurait fait douter sur le champ de leur lucidité. Ils ont prudemment évité de préconiser une taxe carbone nationale ou de s’attaquer frontalement au nucléaire. Même le Medef juge leurs réflexions intéressantes et utiles.

Reste que leurs propositions sont tout sauf des broutilles. S'ils sont écoutés, s'ils sont suivis, il s'agira sans doute du plus puissant, du plus ambitieux, du plus exigeant tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Plan massif de rénovation énergétique des bâtiments, bouleversement des règles alimentaires, réglementation drastique de la publicité, incitation vigoureuse à consommer moins et autrement, bataille contre les modes de transports prodigues en CO2, limitation de la vitesse sur l'autoroute à 110 km/h. Un arsenal assorti d'obligations, d'incitations, de sanctions et -car nous sommes en France, pays de traditions - d'une panoplie fiscale particulièrement inventive et gloutonne. En fait, si l'on suit fidèlement la voie des 150, c'est bien le mode de vie même, le type de société, a fortiori le modèle économique qui sont réinventés. Le réchauffement climatique est, certes, un sujet assez sérieux pour ne pas se contenter de réformette mais là il s'agit d'une remise en cause globale d'un mode de vie et d'un choix de société. La légitimité d'une convention citoyenne, toute sympathique et originale qu'elle soit, n'est pas suffisante pour endosser une telle métamorphose. Il faut y associer le Parlement (de toute façon nécessaire pour traduire des projets en lois), il faut surtout y associer directement les Français par un référendum. C'est l'ensemble des citoyens qui doit se prononcer. D'où le référendum, étudié par Emmanuel Macron, préconisé et même exigé par les 150.

L'ennui est que les 150, qui ont dû entendre beaucoup plus d'experts en écologie que de constitutionnalistes, se trompent de référendum. Au lieu d'opter pour un référendum à questions multiples, désormais possible, qui aurait permis aux Français de trier parmi les mesures celles qui leur conviennent et celles dont ils ne veulent pas, ils proposent une révision de la Constitution (préambule et article 1er) prévoyant principalement «la République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique» ainsi que la création d'un «crime d'écocide», lequel déboucherait d'ailleurs nécessairement sur un arsenal répressif susceptible de remettre en cause à peu près toutes les lois du marché : on peut y être favorable, encore faut-il en mesurer exactement les conséquences et les implications. Avant que ne se pose la question économique, gigantesque, s'impose donc d'abord la question constitutionnelle. Les propositions de la Convention citoyenne exigent en fait deux référendums, l'un par l'article 89 (révision de la Constitution), l'autre par l'article 11 (le crime d'écocide). Le premier est bien loin de pouvoir être adopté, le second exige un débat préalable immense et très technique : c'est ce que l'on appelle «une fausse route». Pour réviser la Constitution, il faut, en effet, un vote en termes identiques par chacune des deux Chambres. Au Sénat, cela semble improbable, à l'Assemblée nationale cela paraît incertain. Quant au référendum direct sur le «crime d'écocide», il connaîtrait le sort de tous les référendums directs votés par les Français depuis le général de Gaulle : on se détermine beaucoup moins sur la question elle-même (surtout aussi complexe qu'un crime d'écocide) que sur le nom de celui qui l'appose. Si l'on veut connaître réellement les sentiments des Français sur les priorités de la lutte contre le réchauffement climatique, c'est donc un référendum à questions multiples qui correspondrait le mieux à cette question dont dépend l'avenir de la planète. Sauf à préférer les manœuvres électorales à ce sujet primordial.