L'évaluation de la loi par le gouvernement était attendue depuis avril 2018. Il aura donc fallu plus de deux ans pour sa publication. On peut remercier l'intervention de la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA) pour avoir mis la pression en faveur de sa sortie, sans quoi il est possible que nous l'attendrions toujours. Il faut dire que le bilan est terrible malgré un langage officiel ne remettant jamais en cause la loi ni le statu-quo en faveur de l'idéologie abolitionniste, des questions gouvernementales très orientées, et la quasi absence des avis et analyses des travailleurSEs du sexe.
Le rapport est sévère quant au «manque de portage politique» ou des «moyens déployés», or le but de cette loi n'a jamais été l'amélioration des conditions de vie des personnes, dont il n'est d'ailleurs presque pas fait mention dans le document, mais d'imposer une norme symbolique principalement via la mesure de pénalisation des clients servant d'avertissement moral et de stigmatisation de comportements sexuels entre adultes consentants définis à présent comme violence. Il n'y a donc rien d'étonnant puisqu'il s'agit avant tout d'une loi d'affichage.
A partir du moment où le législateur et le gouvernement («socialiste») refusait le principe de régularisation de toutes les travailleurSEs du sexe sans papiers, conditionnait toute aide à l’arrêt du travail sexuel, et pensait suffisant l’allocation de 330 euros par mois pour vivre en absence de tout autre revenu, il était prévisible depuis le début que la création d’un dispositif hors droit commun comme ledit «parcours de sortie de la prostitution» suivant une logique de contrôle au cas par cas, ainsi que l’ensemble de la loi en général, ne pourraient pas fonctionner, l’immense majorité des personnes ne pouvant même pas en bénéficier.
Rien n’a été mis en place pour vérifier son bon fonctionnement comme le déplore le rapport mais cela ne surprendra personne non plus puisqu’il est convenu qu’il s’agit d’un combat du bien contre le mal, et qu’il n’y a pas besoin que la loi soit réellement efficace tant qu’elle dicte ce qui est socialement et sexuellement acceptable.
« En l'absence de données statistiques fiables antérieures à l'adoption de la loi et faute d'avoir mis en place des outils d'évaluation du phénomène à la suite de l'adoption de la loi, il est toutefois impossible d'évaluer la part de ces évolutions imputable au changement législatif et celle imputable à des tendances structurelles. L'invisibilisation croissante du phénomène complexifie par ailleurs tout travail d'évaluation quantitative. La mission a toutefois pu dégager des tendances et effectuer un bilan d'application de la loi. » page 5 et «La mission s'est heurtée lors de ses investigations à une absence de données lui permettant de procéder à une évaluation quantitative du phénomène prostitutionnel. Les outils d'évaluation faisant défaut, il est d'autant plus difficile de faire la part entre ce qui relève de tendances du phénomène prostitutionnel et ce qui a trait aux effets de la loi. Dans ce contexte, la mission s'est attachée à effectuer un bilan d'application de la loi et à déterminer les conditions qui permettraient à l'avenir d'en opérer un suivi efficace» page 18
Le rapport gouvernemental n’est donc pas comme son nom l’indique une évaluation de la loi mais plutôt une évaluation de son application. Il ne contient ainsi aucune méthodologie, et repose essentiellement sur les données et analyses des représentants de l’état, justice, police et administration. Les annexes permettent de tenir compte des remontées des données détaillées (souvent défaillantes) en ce qui concerne les procureurs et les préfets tandis qu’aucune annexe ne reprend les avis des associations de travailleurSEs du sexe qui pourtant avaient aussi été auditionnées (pour la forme). Les seuls verbatims de personnes concernées par le travail sexuel sont issus d’un film documentaire sur la prostitution des mineurs accompagnés de commentaires invalidant nécessairement leur capacité de prise de décision.
Lutte contre le travail forcé et l’exploitation
Sur le fond, il n’y a rien qui indique un quelconque objectif atteint, ou une quelconque amélioration des choses bien que certaines données policières soient présentées en synthèse du document comme un succès telles celles démontrant une augmentation des infractions de traite et de «proxénétisme».
«La lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle enregistre des résultats en hausse. Le nombre d'enquêtes pénales menées en France sur ces sujets a augmenté de 54% en quatre ans» page 6
En lisant le rapport plus en profondeur on s’aperçoit néanmoins que la lutte contre ces infractions ne peut pas être présentée aussi simplement comme une meilleure lutte contre le phénomène faute de preuves scientifiques qui compléteraient les données policières:
«Très peu d'éléments statistiques fiables sont disponibles sur la prostitution en France et son évolution depuis 2016. Aussi, le bilan de l'action menée par l'ensemble des acteurs pour lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle ne peut-il être confondu avec le volume réel de l'activité de prostitution. L'évolution des tendances de la criminalité liée au système prostitutionnel, retracée par l'OCRTEH à partir des éléments fournis par l'ensemble des services d'enquête, n'est que le reflet de l'activité de la police et de la gendarmerie nationales.» page 37 «L'augmentation des affaires de traite des êtres humains et de proxénétisme, ne saurait masquer des disparités territoriales importantes» page 42 et
«38 réseaux démantelés en 2015, 65 en 2016, 67 en 2017 et 69 en 2018 (source : rapports de l'OCRTEH).» page 43
Qu’est ce qui expliquerait une telle augmentation des affaires de traite et de proxénétisme depuis 2016 qui ne serait pas une augmentation de l’exploitation elle même? En quoi l’activité policière serait elle plus efficace à repérer ces infractions si elles n’étaient pas réellement en plus grand nombre? L’ensemble des témoignages et interviews des autorités policières dans les médias indiquent plutôt au contraire une critique de l’actuelle loi qui réduirait leurs méthodes d’identification, se plaignant souvent de l’abrogation du délit de racolage, et que la pénalisation des clients ne leur apporterait en revanche aucune information. Le rapport préfère évidemment laisser penser à une meilleure identification du phénomène grâce à une prise de conscience sur la nécessité de mieux enquêter grâce à la loi, plutôt qu’à une hausse réelle.
Pourtant, il semble se contredire lorsqu’il cite la police sur ce qu’elle appelle le «proxénétisme des cités», phénomène qui serait apparu juste avant le vote de la loi et serait en pleine ampleur depuis son adoption.
«Cette augmentation tient en partie à la montée en puissance des affaires de proxénétisme dit de « cité », qui ont donné lieu à 120 procédures en 2018, soit une hausse de 40% par rapport à 2017» page 43
Il y a donc bien de nouvelles pratiques d’exploitation, auxquelles la police et la justice disent devoir s’adapter, et pas juste une soudaine meilleure volonté, surtout quand sur l’ensemble de la loi, le rapport explique qu’il n’y a pas assez de volonté politique pour l’appliquer.
La lutte contre le «proxénétisme» se révèle en réalité davantage un outil policier pour lutter contre le travail sexuel en tant que tel et pas contre son exploitation. Pour preuve, environ la moitié des enquêtes pour «proxénétisme» se retrouve classée sans suite faute de preuves.
«Malgré une forte progression du nombre d'affaires élucidées, près d'une enquête sur deux en matière de proxénétisme est classée sans suite Le taux d'affaires non poursuivables s'élevait à 46.5% en 2015 et à 48.9% en 2018. Le fort taux de classement s'explique, par ordre décroissant, par les motifs d'une infraction insuffisamment caractérisée, d'une absence d'identification de l'auteur et d'une absence d'infraction» page 43
La protection réelle des victimes de travail forcé et d’exploitation n’est manifestement pas du tout la priorité. Le rapport dénonce par exemple que :
«le dispositif de protection spéciale pour les victimes de traite ou de proxénétisme en danger sur le territoire français créé par la loi n'a jamais été utilisé.» page 6
De plus, lorsque les défenseurs de la loi prétendent qu’elle permet de mieux indemniser les victimes, en évoquant des pourcentages, il est bon de préciser le nombre de personnes réellement indemnisées, en rapport à celles identifiées par la police à savoir 894 victimes en 2017 et 950 en 2018 (source OCRTEH, page 43 du rapport):
«La mission constate que la prise en charge des victimes de proxénétisme par le fonds de garantie des victimes d'infraction (FGTI) a fortement progressé en deux ans, passant de 20 personnes indemnisées pour un montant total de 201 190 € en 2017, à 38 pour 420 083 € en 2018» page 56
L’amalgame entre «prostitution», «proxénétisme» et «traite des êtres humains» à tous les échelons du système policier et judiciaire ne peut être que préjudiciable à la lutte efficace et réelle contre les véritables abus commis contre les travailleurSEs du sexe, puisqu’il sert de prétexte à lutter contre la «prostitution» et donc contre l’existence même des travailleurSEs du sexe, ne faisant que renforcer l’exploitation, qui de toute évidence, n’a pas diminué depuis la nouvelle loi.
La dégradation des conditions de vie à peine évoquée
Tandis que depuis 4 ans les travailleurSEs du sexe se mobilisent pour dénoncer l'augmentation des violences depuis le vote de la loi, créent des cours d'autodéfense, des système d'alerte en ligne contre les agresseurs, collent dans les rues les noms de leurs collègues assassinées, à aucun moment le rapport ne parle des meurtres des travailleuses du sexe.
En ne s’appuyant que sur les données policières et en ignorant les sources provenant des personnes concernées, le rapport se contente de dire qu’il n’y a pas plus de dénonciation des violences. Heureusement, précise t’il cependant une hypothèse qui pourrait expliquer une éventuelle sous-déclaration:
«Selon les associations rencontrées par la mission, le nombre de faits est sous-estimé parce qu'une proportion importante de personnes se livrant à la prostitution ne souhaiteraient pas déposer plainte par crainte des conséquences sur leur vie quotidienne (révélation de leur activité à leurs proches ou leur bailleur, absence de titre de séjour…) ou rencontreraient des obstacles dans cette démarche.» page 42
Le rapport aurait pu être plus précis en expliquant que les lois sur le «proxénétisme» contraignent les propriétaires à nous expulser de nos logements lorsque la police les informe de la nature réelle de notre profession, que nos témoignages ne sont pas toujours (rarement) pris au sérieux par la police et la justice, et que l’intérêt de porter plainte quand on est travailleuse du sexe est loin d’être toujours évident.
Le rapport aurait pu aussi reprendre les données produites par l'étude LeBail/Giametta de 2018 qui indique une augmentation des agressions signalées par les travailleurSEs du sexe, plutôt que de citer des études plus anciennes à la loi elle même, pour laisser entendre que c'est l'essence même du travail sexuel qui expliquerait, et serait la cause des violences que nous subissons.
Le rapport préfère s’intéresser à l’application de la pénalisation des clients, déplorant qu’elle ne le soit pas assez, tout en évoquant comme si ce n’était que des détails insignifiants de potentiels dommages collatéraux:
«de l'avis de plusieurs interlocuteurs de la mission, la mise en œuvre de cette disposition renforce la précarisation des personnes en situation de prostitution, les conduites à risque et l'insécurité liée à une clandestinité accrue, les clients imposant désormais leurs exigences, en arguant des risques pénaux qu'ils prennent» page 50
ou encore:
«Les changements récents dans l'activité prostitutionnelle (Cf. supra) ont augmenté la proportion de clients « problématiques », qui négocient le non port du préservatif pour les rapports oro-génitaux, voire génitogénitaux, discutent les tarifs, recourent parfois aux menaces physiques pour reprendre l'argent après l'acte. De faux clients extorquent les personnes prostituées. La question d'un moindre usage du préservatif commence à se poser.» page 72
La pénalisation des clients défendue comme un moyen «d’inverser la charge pénale» ou d’inverser le «rapport de force» en faveur des travailleurSEs du sexe, a en réalité été tout le contraire. Le pouvoir de négociation est à présent en faveur des clients. Les prix ont baissé, et les rapports sans préservatifs se sont banalisés. Cette mesure n’a jamais servi à «protéger» les travailleuses du sexe contre la «domination masculine», mais plutôt à accompagner des politiques de gentrification ce que le rapport d’évaluation admet volontiers:
«La pénalisation du client apparaît au surplus souvent dévoyée et utilisée pour résoudre des troubles à l'ordre public et traiter ponctuellement la physionomie de certaines zones péri-urbaines ou de certains quartiers» page 50
Ladite «inversion de la charge pénale» n’a pas eu lieu non plus tout simplement parce que les travailleurSEs du sexe continuent d’être pénaliséEs par des politiques municipales et préfectorales via des arrêtés anti-«prostitution».
«La mission observe que dans certaines villes où elle s'est déplacée, l'adoption de la loi n'a eu pas eu d'incidence sur les arrêtés municipaux relatifs à l'occupation de la voie publique, dont certains ciblent spécifiquement l'exercice de la prostitution. Elle considère que ces pratiques ne s'inscrivent pas dans l'esprit de la loi.» page 50
L'esprit de la loi est de considérer les travailleurSEs du sexe comme des victimes qu'il ne faut pas punir. Or, c'est surtout un discours de façade pour se prétendre féministe, et mieux faire passer une pénalisation supplémentaire, celle des clients, la pénalisation du racolage public ayant été simplement remplacée par la pénalisation de la présence dans l'espace public, ou du stationnement dans l'espace public. Ces arrêtés municipaux ont été votés et sont portés sans aucun problème par les plus grands défenseurs de la loi, à savoir entre autres: Anne Hidalgo à Paris, Najat Vallaud-Belkacem à Lyon, Rolland Ries à Strasbourg. Les grands discours pour «protéger les femmes» ne sont évidemment qu'une grande hypocrisie de la part de celles et ceux qui les pénalisent directement dans leur politique municipale.
Un «parcours de sortie» dysfonctionnel
La loi a été présentée comme une création de «nouveaux droits pour les prostituées» en créant un nouveau dispositif national, le «parcours de sortie de la prostitution», qui visait surtout à inciter à ne plus être «prostituée», et pas spécialement à donner «plus de droits» dont les conditions d’accès sont drastiques. Entre 500 et 1000 personnes par an devaient bénéficier de ce «parcours de sortie», or le rapport précise :
«Les parcours de sortie de la prostitution ne concernent encore qu'un nombre limité de personnes au regard du public potentiel : environ 230 personnes en bénéficiaient fin juin 2019» page 6
Qu’est ce qui peut expliquer un tel échec? Le rapport donne quelques éléments pour comprendre le faible nombre de personnes impliquées, dont certains en contradiction avec d’autres dispositions de la loi...
«L'essor d'une prostitution moins visible réduit les contacts des associations avec les personnes prostituées et rend donc difficile l'identification de celles intéressées par un accompagnement pour sortir de la prostitution.» page 62
Qu’est ce qui pourrait bien avoir contribué à une «prostitution moins visible» et à une réduction des contacts avec les associations? Le rapport laisse entendre que c’est certainement l’essor d’Internet et jamais la pénalisation des clients, sauf peut être à Paris où elle est la plus appliquée. Il faut donc croire qu’avant 2016, les travailleurSEs du sexe ne s’étaient pas encore saisi de l’outil Internet pour travailler, et que la pénalisation des clients n’a pas du tout entravé l’objectif de «sortie de la prostitution» de la loi en rendant plus difficile l’identification des personnes et le contact avec les associations.
La principale raison est peut être tout simplement le fait que continuer le travail sexuel est bien plus préférable à l’entrée dans un «parcours» qui n’apporte pas grand chose.
«En outre, une rupture définitive avec l'activité prostitutionnelle est une condition pour bénéficier du dispositif et cette exigence n'est pas toujours compatible avec une situation précaire dans l'attente de l'aboutissement de la procédure. Le montant de l'AFIS peut décourager les personnes sans autonomie de logement.» page 62
La promesse de logement ne se réalise en effet presque jamais, et celle de délivrance d’une autorisation provisoire de séjour (APS) reste limitée.
«La mission observe que les personnes inscrites dans un parcours de sortie de la prostitution accèdent peu au logement social.» page 64 et «Selon la direction générale des étrangers en France (DGEF), au mois de juin 2019, 177 APS avaient été délivrées au titre de l'article L. 316- 1-1 depuis l'adoption de la loi.» page 66
Rappelons que les APS ne durent que 6 mois, et ne sont renouvelables que maximum trois fois (durée maxi de deux ans), à l’appréciation des préfectures. Après ce délai, le rapport ne dit rien de ce qu’il arrive aux 177 personnes en question, une fois qu’elles sont identifiées par les préfectures et les autorités, qui connaissent tout de leur histoire.
Le rapport évoque les difficultés rencontrées, voire l’impossibilité, avec une APS de 6 mois de s’inscrire à Pole Emploi, bénéficier de formations, ou simplement pour trouver un employeur qui accepte d’embaucher. Mais il ne dit rien du nombre de personnes qui recommencent le travail sexuel, ou le continuent en cachette... faute d’autre revenu que les 330 euros par mois de l’allocation.
A côté de ces 177 APS en trois ans, combien d’autres personnes ont été refusées ou n’ont même pas tenté de présenter un dossier tellement les conditions sont restrictives? Selon les commissions départementales le taux de sélection varie, au point que le rapport d’évaluation indique des domiciliations dans les départements les plus favorables.
L’évaluation indique un taux de refus de dossiers autour de 20% en moyenne nationale (page 62). Mais il ne donne pas le nombre de dossiers qui ne sont même pas présentés à cause d’une pré-sélection opérée par les associations agréées qui préfèrent ne présenter que les cas des personnes ayant le plus de chance de l’obtenir.
«La faible quantité de dossiers pouvant être traités par la commission et le risque de voir le parcours refusé amènent les associations à sélectionner les meilleurs dossiers, c'est-à-dire les personnes qui sont les plus proches de la sortie de prostitution, au détriment des plus vulnérables et isolées. Certaines associations s'interrogent quant à la pérennité de leur action dans les commissions. D'autres choisissent de ne pas demander d'agrément car le nombre de dossiers acceptés est dérisoire par rapport au temps requis pour leur gestion et surtout au nombre de personnes qu'elles aident à sortir de la prostitution en-dehors du parcours prévu par la loi.» page 68
Etant donné le temps et l’énergie investis par les associations pour préparer et présenter les dossiers devant les commissions, le peu de personnes en bénéficiant, et le peu d’intérêt réel excepté pour les personnes sans papiers n’ayant droit à rien, qui pourraient néanmoins simplement être régularisées avec de vrais titres de séjour sans devoir passer par toute cette usine à gaz; on ne peut que s’interroger sur l’utilité réelle de ce dispositif, si ce n’est de contrôler au cas par cas les personnes, les surveiller, et leur faire du chantage quant à leur «parcours», puisque les «droits» sont conditionnés à l’arrêt d’une activité qui, par ailleurs, est parfaitement légale, et fiscalement imposable.
Le vrai intérêt du «parcours de sortie» est en réalité de donner bonne conscience au législateur, et de prétendre que l’idéologie abolitionniste a pour but «d’aider les prostituées» quand dans les faits, c’est tout le contraire, puisqu’elle ne fait que chercher à empêcher toute indépendance économique par l’exercice de notre travail, à nous priver de revenus, pour nous contraindre ensuite à la charité sous contrôle social.
L’exploitation des mineurs en forte hausse
Dès son introduction, le rapport s’inquiète de l’augmentation de l’exploitation des mineurs dans l’industrie du sexe.
«la question plus spécifique de la prostitution des mineurs – qui n'est pas abordée en tant que telle par la loi du 13 avril 2016 – est préoccupante, car elle semble connaître un essor important.» page 6
Cette question est évidemment instrumentalisée par les prohibitionnistes qui prétendent sans aucune preuve que de 8000 à 10 000 enfants seraient prostitués en France. Le rapport va même jusqu’à parler de 25% des files actives des associations composées de mineurs sans ne citer aucune source et sans que cela ne corresponde nullement à ce qu’indiquent les rapports d’activités des associations quel que soit leur positionnement politique sur le travail sexuel. Les seules données sourcées sont comme d’habitude les chiffres de la police, mais elles sont certes moins impressionnantes.
«En 2010, l'OCRTEH faisait état de seulement six mises en cause de personnes mineures pour racolage. De l'avis unanime des acteurs auditionnés, une aggravation du phénomène est observée. Selon les statistiques recueillies par l'OCRTEH, 129 mineurs victimes d'exploitation sexuelle étaient comptabilisés en 2017 et 147 en 2018 (dont 129 d'origine française). Source : rapport d'activité OCTREH 2018.» page 76
Tout comme en ce qui concerne l'exploitation des adultes, nous n'avons pas les moyens de savoir si l'augmentation du nombre de mineurs identifiés correspond à une meilleure activité policière ou à une augmentation réelle du phénomène. Toutefois, dans ce cas, contrairement au passage sur les adultes, le rapport penche pour la deuxième option avec une coupable toute trouvée, l'actrice Zahia Dehar et les médias, qui auraient contribué à glamouriser et banaliser l'exploitation sexuelle.
Cette explication satisfera certainement le législateur qui n’aura pas à se questionner sur sa propre responsabilité ou sur l’inefficacité de la loi à protéger les personnes (mineures comme adultes) victimes d’exploitation.
La pénalisation des clients des adultes n’aura du moins pas aidé à identifier davantage de mineurs, au contraire, le rapport précise que les clients mis en cause avec des mineurs sont beaucoup moins nombreux, ce qui peut paraître logique si la police est tout autant, voire plus occupée, à faire la chasse aux clients des adultes.
«Concernant les délits de recours à la prostitution de mineur ou de personne vulnérable, la mission constate que les poursuites engagées ont paradoxalement diminué depuis l'entrée en vigueur de la loi, passant de 67 en 2016 à 34 en 2018, alors que la prostitution des mineurs atteint un niveau préoccupant.» page 47
Le rapport ne s'interroge aucunement sur une possible corrélation entre la pénalisation des clients, les changements opérés dans l'industrie du sexe, notamment certains déplacements sur Internet, ou la fermeture de certains sites spécialisés à la suite des plaintes des prohibitionnistes, pour que l'on retrouve de plus en plus d'offres de services sexuels sur des réseaux sociaux, sites de rencontres, et applications téléphone ouverts à tous publics, y compris les plus jeunes.
Sans pouvoir affirmer de causalité entre la loi et la hausse du nombre de mineurs, on ne peut pas dire en tout cas qu’elle ait eu une quelconque efficacité à lutter contre cette exploitation.
A qui profite la loi ?
Etant donné le bilan de cette loi, on peut se demander pourquoi elle est autant soutenue par les prohibitionnistes. Certes, elle permet de lutter contre l’immigration en prétendant lutter contre la traite des êtres humains. Certes, elle permet d’accompagner la gentrification et la spéculation immobilière en chassant les travailleuses du sexe des rues désertées par les clients. Certes, elle permet de donner des gages moraux aux forces chrétiennes conservatrices et aux féministes dites «radicales». Mais ne mettons pas de côté non plus, l’intérêt financier majeur pour ceux qui prétendent «aider les prostituées» puisque la loi a permis d’augmenter les subventions de certaines associations qui peuvent ainsi payer des salaires, et faire vivre des centaines de personnes.
Indirectement, le système abolitionniste profite à de nombreux travailleurs sociaux, policiers, magistrats, journalistes, salariés d’associations ou d’instances consultatives, qui vivent très bien grâce à la lutte contre la «prostitution», considérée comme une violence faite aux femmes, et associée à la traite des êtres humains. Cela signifie des millions d’euros en France, tout comme dans le monde entier, puisqu’il s’agit d’une croisade internationale, suscitant congrès et colloques un peu partout dans le monde, et de nouveaux efforts diplomatiques de la part des gouvernements. Les ennemis des putes sont très puissants, au point que les rapports d’évaluation sont obligés de dire les choses sans les dire ouvertement, ou en les noyant dans des formules favorables au statu-quo.
Le rapport d’évaluation de la loi nous apporte des informations intéressantes quant aux avantages financiers pour les associations, au nombre assez limité en fait, puisque la plupart des fonds se concentrent sur les quelques mêmes, sans qu’elles n’aient à retourner quelques indicateurs de résultats.
Tandis que les organisations des travailleurSEs du sexe sont considérées comme un «lobby proxénète» que personne n’a besoin d’écouter, et encore moins de financer, les organisations catholiques et prohibitionnistes sont elles financées pour former la police, la justice, les travailleurs sociaux, intervenir dans les établissements scolaires, rééduquer les clients arrêtés par la police; pour informer sur les «réalités de la prostitution», à savoir, affirmer sans aucune preuve scientifique des mensonges sur notre espérance de vie, notre santé mentale, nos viols dans l’enfance, l’âge d’entrée dans la prostitution, le pourcentage de travailleuses du sexe victimes de traite, et bien entendu le bien-fondé des politiques de pénalisation.
Ces associations bénéficient de plusieurs subventions de la part de différents ministères, agences régionales de santé, départements, régions, et bien-sûr aussi pour le bon fonctionnement de la loi. Comme on peut le constater, les montants alloués au bon déroulement de la loi ont notablement augmenté.
De plus en plus, les subventions publiques sont conditionnées au fait d’épouser l’idéologie abolitionniste et de soutenir la loi, comme le souligne le rapport lui-même:
«La mission constate que certains financements n'ont été accordés qu'aux associations soutenant la loi. Elle recommande que ceux-ci soient octroyés eu égard au travail réalisé de manière effective auprès des personnes se prostituant, et non en fonction de positions de principe adoptées par les associations, sous réserve d'évaluation de leur action.» page 32
Cela veut dire que les associations anti-«prostitution» voient leur budget augmenter quand les associations de travailleurSEs du sexe ou dites de santé communautaire par et pour les travailleurSEs du sexe voient leur financement stagner voire diminuer, se voyant reprocher leur position contre la loi. Par exemple en 2016, sous le précédent gouvernement, 1 million d’euros ont été pris à la Direction Générale de la Santé concernant les actions en faveur de la santé des travailleurSEs du sexe (programme 204) pour être redistribués à la réinsertion sociale des «personnes prostituées» alors même que ledit «parcours de sortie» n’était pas encore en place.
«L'augmentation du budget du programme 137 en 2016 résultait d'un transfert de 2,8 M€ (dont 1 M€ en provenance du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », 1 M€ du 101 « Accès au droit et à la justice » et 0,8 M€ du 176 « Police nationale »), afin d'alimenter le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Ces crédits ont été annulés à hauteur de 1,2 M€ (décret n° 2016-732 du 2 juin 2016), faute d'avoir été consommés.» page 29
Ce constat est présent malgré un article de la loi prévoyant un accompagnement sanitaire et de réduction des risques, avec un décret spécifique permettant de préserver les actions de santé qui ne remettent pas en cause l’exercice du travail sexuel. Le rapport explicite que les associations de santé pourtant non-communautaires AIDES, Médecins du Monde, ARCAT et Grisélidis, (seule Grisélidis est une association communautaire) ont vu leur financement stagner voire légèrement diminuer.
«Les crédits du programme 204 alloués aux associations menant des actions de réduction des risques n'ont pas bénéficié d'un surcroît de financement depuis 2016 et ont même accusé une légère diminution.» page 31
Si nous nous concentrons spécifiquement sur les crédits alloués au «parcours de sortie de la prostitution», on constate que la grande majorité de l’argent ne va pas directement aux travailleurSEs du sexe (allocation AFIS) mais sert principalement à financer les associations en charge de les accompagner.
Le rapport de la députée LREM Stella Dupont avait bien pointé ce problème, constatant que si les associations prohibitionnistes réclamaient plus d'argent pour le «parcours de sortie», les sommes ne correspondaient pas au nombre de personnes accompagnées au sein dudit parcours. Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessus, les premiers parcours ont été validés en novembre 2017 et ont représenté 50 000 euros d'allocations AFIS pour les bénéficiaires sur les 6,63 millions d'euros totaux prévus (0,75% du budget total). En 2018, environ 600 000 euros ont été versés directement aux bénéficiaires de l'AFIS pour un budget global d'environ 5 millions d'euros annuels (12% du budget total). La moitié de l'argent va donc vers les associations agréées, tandis que les crédits non dépensés sont redistribués sur d'autres dépenses de l'état et servent à des rééquilibrages budgétaires.
Tout cela se fait discrètement de manière à annoncer 5 millions d’euros par an «d’aides aux prostituées» au moment de l’affichage des lois de finance et dans la communication gouvernementale, quand dans la réalité les travailleurSEs du sexe ne bénéficient que très partiellement de cet argent. C’est bien sûr d’autant plus choquant quand on sait que Marlène Schiappa s’est fermement opposée à la création d’un fonds d’urgence pour répondre à la crise du coronavirus et à la précarité majeure des travailleurSEs du sexe pendant le confinement, puisque nous ne pouvions plus travailler, ce qui est pourtant exactement le but de la loi...