- William Leday, enseignant à Sciences Po Paris et membre du collectif Chronik
A Marseille, rarement élection municipale n’aura suscité autant d’espoir et d’espérance. Espoir de voir enfin s’effondrer un système – celui forgé par et pour Jean-Claude Gaudin et dont Martine Vassal est l’incontestable héritière – et d’aboutir enfin à une alternance après un quart de siècle de règne sans partage. Espérance d’un avenir meilleur pour une ville gangrénée par la précarité, minée par le mal-logement, au système scolaire délabré obérant l’avenir de ses enfants, et au développement déséquilibré. Espérance aussi de voir se concrétiser un projet singulier co-construit avec et pour les habitant.e.s, qui se distingue donc non pas tant par le contenu que par la méthode.
Plus que partout ailleurs en France, le processus de décomposition touchant des partis politiques traditionnels a encouragé à Marseille l’émergence de nouveaux espaces et de nouvelles formes d’expression politique. Un peu comme si, pour une fois, Marseille avait un train d’avance sur le reste du pays. En soi, le printemps marseillais a déjà gagné non pas son mais ses paris fondés sur l’intelligence collective.
Le primat de l’intelligence collective.
Une fois n'est pas coutume à gauche, une dynamique de rassemblement a secrété un attelage politique d'un genre nouveau dont les composantes sont des personnalités venues de tous horizons, des partis politiques (essentiellement PS, Génération.s, PC, et depuis le 1er tour, EELV) aux collectifs de citoyen.ne.s engagé.e.s anciens ou nouveaux (Mad Mars) … scellant ainsi en acte la réconciliation des mondes militants politique et associatif, et celle de la gauche avec une partie de son électorat qui s'était détourné d'elle à longueur d'élections.
A bien des égards, il y a un peu d'Europe Ecologie (sans les Verts) dans cette démarche qui avait abouti à de beaux résultats électoraux aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010, l'expérience s'étant arrêtée avec la fusion avec les Verts et la transformation du mouvement en parti politique traditionnel. Dans le cas présent, il est à espérer que l'expérience fasse long feu au regard du rejet suscité par les appareils traditionnels, mais également de l'échec des nouveaux partis censés incarner le nouveau monde, tels LREM et la FI, dont la construction autour de logiques charismatique et providentialiste se conjugue mal avec des aventures collectives au long cours. Cet écueil de l'incarnation et des égos, le Printemps marseillais a su le surmonter, certes dans la douleur, en choisissant une personnalité consensuelle, Michèle Rubirola. Les responsables locaux de la gauche marseillaise – à commencer par Benoit Payan qui s'est s'effacé non sans brio – ont su, mieux que bien des personnalités nationales, se montrer à la hauteur du moment et des enjeux pesant sur la reconstruction de la gauche.
Celui enfin d'un projet municipal co-construit pour et avec les habitant.e.s de façon horizontale adossée à l'expertise citoyenne. Idéologiquement situé à gauche et incontestablement écologiste et féministe, le programme du Printemps marseillais relève sans fard les défis qui s'imposent aux Marseillais.es et à leur ville, tant du point de vue des enjeux sociaux, jusque-là niés ou au mieux traités sur le fondement de logiques clientélistes par les équipes en place, qu'environnementaux, où la droite locale mais hors sol est en total décalage comme la problématique de la piste cyclable de l'avenue du Prado peut en témoigner.
Que ce soit donc sur la question du rassemblement, de l’incarnation ou du projet politique, le Printemps marseillais, dont on peut deviner le fonctionnement interne compliqué, est une incontestable réussite qui a valeur d’exemple pour la gauche et les écologistes.
Un construction politique à la mesure du moment.
On peut mesurer le chemin parcouru par ce collectif à l'aune des enjeux immenses auxquels est confrontée la deuxième ville de France qui conserve un potentiel métropolitain inexploité à l'échelle méditerranéenne. De ce point de vue comme sur bien d'autres plans, on ne peut que constater avec effarement le bilan désastreux de la municipalité sortante. Ayant misé essentiellement sur le projet Euromed et ses supposées retombées touristiques ainsi que sur une économie locale résidentielle, la cité phocéenne sort fracturée par vingt-cinq ans d'un gaudinisme qui a négligé les Marseillais.es. Si le centre-ville, encore populaire, a connu plusieurs vagues de rénovation, c'est au prix de la relégation territoriale d'une partie de ses habitant.e.s. Les insolents programmes immobiliers ont visé plus la spéculation que la résolution d'un mal logement endémique au centre-ville et dans les quartiers nord, dont les habitants finissent par payer le prix.
Ainsi, les victimes de la rue d'Aubagne ont non seulement révélé au grand jour les nombreux angles morts et les errements d'un système politique à bout de souffle, incapable de tracer un horizon désirable pour les Marseillais.es, mais également réveillé les consciences citoyennes jusque-là cantonnés à des combats localisés. « La pierre n'a point d'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s'assemble et devient temple. » écrivait Saint-Exupéry, le Printemps marseillais est la résultante de cette collaboration féconde entre des éléments épars désormais constitutifs d'un édifice, certes fragiles mais néanmoins réel.
Reste que si le Printemps marseillais remporte les élections municipales – ultime pari qui sera, nous l’espérons, tenu – il devra réinventer une gouvernance locale à son image, une gouvernance plurielle, solidaire, féministe, écologiste et soucieuse de fabriquer du commun. La réconciliation des Marseillais.es avec la/le politique est à ce prix.
Photo : Michèle Rubirola, à Marseille, en 2012. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP