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Le VTC, la ville et le politique

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La question de la conciliation entre les VTC et la ville urbaine durable est un enjeu politique. Une équation impossible ?
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publié le 27 juin 2020 à 11h47
(mis à jour le 27 juin 2020 à 12h26)

- Par Carlos Moreno et Serge Orru, L'Académie du Climat

Un mouvement des chauffeurs de VTC a eu lieu à Paris, mécontents de ne pouvoir circuler rue de Rivoli sur la voie réservée aux bus et aux taxis. En effet, dans la suite de la crise du COVID19, cet axe est dédié aux mobilités actives. Au-delà de l’expression bruyante contre cette mesure, comment analyser celle-ci dans le contexte de la reconfiguration urbaine qui a lieu partout dans le monde, en quête de son adaptation pour vivre autrement ?

Un simple clic sur le site web de la Ville de Madrid et sur sa page de questions fréquentes transport public nous dit « Les véhicules VTC ne peuvent pas utiliser la voie réservée aux bus, ni pour circuler ni se garer, ni même pour récupérer les clients qui ont organisé le service. Il ne faut pas oublier que les VTC fonctionnent exclusivement après accord du service, de sorte que pendant l'accord, ils peuvent planifier le ramassage à tout point à proximité où il n'y a pas de voie de bus ». Allons à San Francisco et consultons l'étude publiée par la Revue « Sciences Advances » en mai 2019 qui précise que l'utilisation de services de VTC dont 25% voyagent à vide a tendance à augmenter les embouteillages à San Francisco : « l'essentiel des voyages des VTC ajoute des voitures sur le réseau. L'arrêt, le long des trottoirs, a un effet disruptif notable sur l'évolution du trafic, surtout sur les principales artères ». La vitesse moyenne a baissé dans le centre de San Francisco de 13% entre 2010 et 2016 et c'est principalement à cause des VTC.

Ce constat rejoint celui qui avait été aussi fait à New York, où les services de VTC provoqueraient également une hausse des embouteillages dans les rues de Manhattan. Alors que la vitesse est limitée en moyenne à 40 km/h en centre-ville, aux heures de pointe, la vitesse moyenne n'excède pas 10 km/h par l'effet de la présence des VTC : « La poursuite de la croissance des voyages réalisés en VTC n'est pas tenable pour un New York en pleine croissance. Leur impact dans des rues déjà congestionnées entraînera des coûts croissants pour les entreprises et les consommateurs en raison de l'augmentation des retards de circulation et entravera les progrès vers les objectifs de mobilité, de croissance économique et d'environnement de la ville ».

Cette situation a été aussi constatée dans d'autres villes américaines, Boston, Chicago, Los Angeles, Seattle, Washington D.C.. Cette étude de l'Institut of Transportation Studies UC Davis préconise des mesures très claires «si les promesses des maires de respecter l'accord de Paris sur le climat signifient quelque chose, les gouvernements locaux adopteront des lois qui prioriseront et encourageront les véhicules à grande capacité, comme les bus et les navettes, par rapport aux voitures individuelles ». Les études menées dans les différentes villes concernant l'impact des services de VTC, convergent : « ils ajoutent des trajets en voiture dans les rues des villes et des banlieues et, dans de nombreux cas, cannibalisent le transport en commun ».

Ces études montrent assez clairement qu’il ne suffit pas de se réclamer d’un modèle basé sur une plateforme numérique à la demande pour améliorer un service à la mobilité à l’échelle de la ville. Bien au contraire, car l’augmentation du volume des voitures circulant et la sur-fréquentation des grands axes, jouent un effet contraire, en dégradant la qualité globale de la circulation dans la ville. Mais, les travaux de recherche, sur l’impact des VTC au niveau systémique dans la ville vont plus loin et deux autres éléments sont à considérer également :

L'étude du Commissariat Général au Développement Durable, précise que « au 31 décembre 2017 90 % des VTC opérant en France roulaient au diesel, les VTC sont parmi les principaux émetteurs d'oxydes d'azote (Nox), chaque véhicule effectuant en moyenne entre 200 et 300 kilomètres par jour ». Au niveau international, l'étude de The Union of Concerned Scientists (UCS) : « Pourquoi les véhicules VTC sont un problème climat ? : notre analyse des données montre que les entreprises de covoiturage augmentent la pollution climatique. Les entreprises de covoiturage et les décideurs doivent commencer à faire des choix intelligents qui minimiseront les impacts climatiques négatifs ».

Le passage à l'électrique des voitures VTC devient un impératif majeur. Une claire volonté politique d'abandon de la motorisation diesel est l'une des conditions sinequanone pour que les villes revoient la politique à leur égard. La pétition mondiale #TrueCostOfUber lancée par SumOfUs et relayée en France par les Associations Respire et Transport & Environnement demandent une conversion totale des véhicules en hydrogène ou électrique à l'horizon 2025. Elle a été signée également en mars 2020 par la Maire de Paris Anne Hidalgo. Le péril climatique et les menaces qui pèsent sur nos villes, aggravés par la pandémie du COVID19 demandent que cette exigence soit non seulement maintenue, mais certainement anticipée pour que nos villes respirent afin de trouver un environnement sanitaire de qualité.

Bien entendu, une politique urbaine durable, signifie une convergence écologique, économique et sociale pour avoir une ville vivable, viable et équitable. C’est le triple Zéro carbone, pauvreté et exclusion, cher au Professeur Muhammad Yunus. Cette triple notion de création de valeur n’échappe pas à la politique indispensable à assurer par les services de VTC pour retrouver une place dans une ville apaisée.

La pétition #TrueCosOfUber, le signale également, il faut un comportement social, économique et éthique se traduisant par des impôts et des charges sociales payés en France et des salaires décents pour les chauffeurs.

Oui, il ne suffit pas de klaxonner et crier haut et fort pour venir rouler de nouveau à la Rue de Rivoli quand à l’heure des effets de la pandémie du #COVID19 et plus que jamais nous avons besoin de justice climatique, économique et sociale.

©FRANCOIS GUILLOT / AFP