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Blog «Humeurs noires»

Le Patriarche : « Ceux qui ont aboli l’esclavage par humanisme, sont les mêmes qui ont instauré le colonialisme par humanisme »

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Rappeur engagé, entraîneur de boxe accompli, pasteur éloquent, Le Patriarche publie "Terre Promise" son 2e album issue de sa trilogie. Il réagit à l'actualité en évoquant les symboles esclavagistes et coloniaux dans l'espace public. Et si le meilleur rappeur français était suisse ?
Le Patriarche "Terre Promise" disponible sur toutes les plateformes musicales.
publié le 5 juillet 2020 à 22h07
(mis à jour le 6 juillet 2020 à 4h56)

Michel Bampély : Dans son allocution du 14 juin, Emmanuel Macron déclarait : "Je vous le dis très clairement : la République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue". Vous qui l'avez souvent critiqué dans vos chansons comment analysez-vous son discours ?

Le Patriarche : Pour répondre à cette question, j'aimerais prendre l'exemple de ce que nous enseigne la Bible et ce que l'on appelle la repentance. En général, ça concerne des hommes et des femmes qui durant de longues années ont été dans l'abus dans certains domaines, esclaves de ce qui a triomphé d'eux : des addictions, des pratiques occultes et pleins d'autres choses encore. Généralement lorsque ces personnes ouvrent les yeux sur ce qui les faisait mourir, elles coupent définitivement avec un certain passé. Et pour témoigner de leur repentance - car c'est bien de ça dont il s'agit - ces personnes se détachent d'objets qui leur rappellent leur passé. Parfois certaines personnes éprouvent même un dégoût et ont en horreur les éléments auxquels elles étaient pourtant très attachées auparavant. Ensuite, une fois régénérés, ces hommes et ces femmes portent ce que l'on appelle du fruit digne de la repentance. Ça, c'est faire preuve d'honnêteté avec un passé qu'on rejette. C'est une manière d'affirmer, de confirmer que l'on ne s'identifie plus à son passé.

Un pays comme la Turquie a des rues qui portent encore les noms de protagonistes du génocide arménien. Réalisons ce que cela représente pour les descendants de ces familles persécutées. Pour nous, en France, c'est la même chosePourtant, pourrions-nous imaginer un instant une "avenue Adolf Hitler" en France ? Ce n'est pas moins grave. Dans ce discours d'Emmanuel Macron, je constate clairement que l'Etat français ne s'est pas repenti des pages très sombres de son histoire.

Michel Bampély : Quelle est la position du gouvernement suisse suite aux mouvements sociaux de lutte contre le racisme et les violences policières ? Le pays a-t-il eu besoin de rebaptiser des noms de rues ou de monuments ?

Le Patriarche : Il y a eu dans le canton de Neuchâtel, que je connais bien, des manifestations en réaction à ce qu'il s'est passé aux États-Unis suite au brutal décès de George Floyd. La Suisse a aussi eu son lot de violences policières. En mars 2018, un nigérian du nom de Mike Ben Peter a perdu la vie après un contrôle policier à Lausanne. Cet homme a été maintenu à terre pendant six minutes. Il est décédé le lendemain d'une crise cardiaque à l'hôpital.

Une mobilisation s'est aussi organisée pour déboulonner la statue de David de Pury, un négociant, esclavagiste, mécène de la ville de Neuchâtel accompagnée d'une pétition en ligne. Le conseil communal s'est dit ouvert au dialogue mais ne parle pas de déboulonner toutes les statues controversées dans l'espace public. Je crois sincèrement qu'un cri de justice se fait entendre partout dans le monde. Les gens ouvrent les yeux sur une histoire que l'on ne nous a jamais lue.

Michel Bampély : Comment la tradition judéo-chrétienne (et arabo-musulmane) qui prône l'amour et l'égalité a-t-elle toléré l'esclavage, la colonisation en Afrique et participé à son appauvrissement ?

Le Patriarche : Elle l'a justement fait au nom de la religion, avec sa vision de lgalité, sa vision de l'amour, une vision qui ntait pas en adéquation avec les saintes écritures, une vision à laquelle n'a jamais pris part le Saint-Esprit. On parle d'actes contre l'Afrique qui ntaient pas à l'image du sacrifice de Jésus-Christ à la Croix, lui qui est devenu pauvre pour nous enrichir, lui qui s'est fait pécheur pour nous sauver.

J'invite vraiment chacun et chacune à faire la différence entre ce que l'on appelle communément la religion et lvangile, la foi. Je m'explique : la religion, c'est l'effort de l'homme pour atteindre Dieu. Lvangile, c'est l'effort de Dieu pour atteindre l'homme au travers du sacrifice de Jésus-Christ. On trouve le mot religion moins de 5 fois dans la Bible. Une des fois où ce terme est cité, voici ce que déclare la parole de Dieu : "La religion pure et sans tache, devant Dieu notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se préserver des souillures du monde" (Jacques 1:27). On est loin de ce qu'ont pratiqué ces institutions au nom de Dieu. Elles le faisaient en fait pour elles-mêmes.

Michel Bampély : Dans le second volet de votre trilogie «Terre Promise» que vous venez de publier début juin, quelles sont les évolutions artistiques et spirituelles marquantes par rapport au précédent opus ?

Le Patriarche : Dans « En Marche », le premier volet de la trilogie, jtais dans un discours très frontal. On était face au problème, avec justement un premier titre très offensif et engagé qui n'a pas été du goût de tout le monde. Dans « Terre Promise » on est en chemin, on est porté vers une nouvelle saison. Je me livre plus intimement dans ce deuxième volet de la trilogie.

Michel Bampély : Vous rappelez dans le titre « Nouvelle Saison » vos trente ans de carrière dans le hip hop. Pourquoi est-il toujours aussi fermé au rap chrétien ? Vous n'avez pourtant pas démérité...

Le Patriarche : Je pense effectivement que nous n'avons pas démérité, tout comme un grand nombre d'artistes qui ont aussi pour vocation de partager leur foi et un regard chrétien dans le rap actuel. Le problème c'est que l'industrie du rap ne voit pas encore un potentiel commercial dans ce que nous faisons, et que réellement le nom de notre Seigneur Jésus-Christ dérange. Pour certains attachés de communication, défendre un projet comme « Terre Promise » c'est compliqué. Ils ont parfois peur de se griller auprès de médias à qui ils proposent d'habitude un rap beaucoup plus capitaliste.

Michel Bampély : Votre chanson «Devant» renoue avec vos origines capverdiennes comme vous l'avez fait auparavant avec «Dja Tchiga Hora». N'est-ce pas là votre véritable identité culturelle et artistique qui pourrait toucher le plus grand nombre ?

Le Patriarche : C'est effectivement une de mes identités culturelles. Il est manifeste qu'il se passe quelque chose à chaque fois que l'on fait ce genre de titre : lme de mes origines se mêle à ma foi et je me sens porté par des rythmes, des mélodies qui m'appartiennent. C'est comme si je m'exprimais dans ma vraie langue artistique, comme si les notes jouaient des accords propres à ma vie, une musique née bien avant le rap.

Michel Bampély : Pour en revenir aux sujets sociétaux, quvoque pour un chrétien engagé les notions de racisme systémique, de privilège blanc et de racisme d'Etat revendiqués par la mouvance décoloniale ? Ils appellent à effacer de l'espace public tout symbole républicain lié à la colonisation ou l'esclavage comme les statues de Colbert.

Le Patriarche : « On smancipe loin de ce système en suivant Christ », c'est ce que je dis dans « Get out », un morceau du premier volet de la trilogie « Terre Promise ». En tant qu'homme noir et chrétien, je ne suis pas à l'abri de discriminations dans la vie de tous les jours. Je me souviens un jour d'une propriétaire avec qui je suis devenu ami et qui par la suite m'a expliqué comment elle s'est pris la tête avec son mari qui refusait de me louer son bien immobilier, car mes enfants et moi étions noirs Le monde actuel porte ces stigmates, et les plaies sont encore ouvertes. Vous savez, même en Afrique des Noirs accordent des fois plus d'intérêt à un Blanc quun autre Noir. La Bible déclare que dans le ciel ce qui importe ce n'est pas dtre blanc, noir, juif, grec, maghrébin, asiatique et ainsi de suite. L'important c'est dtre une nouvelle créature.

Pour ce qui est des statues de Colbert, cet homme est l'auteur du « Code noir », dont un des articles, l'article 38, dit ceci : «L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule ; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort.» Honnêtement, si c'est ça les beaux monuments français, c'est comme certains passages de la Marseillaise, ça fait dégueuler.

Michel Bampély : Les courants universalistes rappellent au contraire que la République française, fondée sur des principes humanistes et émancipateurs a aboli l'esclavage en 1794, et, de nouveau en 1848 dès qu'il fut de retour. Où se situe votre christianisme parmi ces fractures françaises ?

Le Patriarche : Il y a une énorme différence entre l'humanisme et le christianisme, qui est une religion fondée sur l'enseignement, la personne et la vie de Jésus-Christ. Je dirais que quand l'homme se perd dans son interprétation des récits de Christ et de sa vie et qu'il prend le contrôle des choses par pur fanatisme, la République finit par pratiquer le satanisme. Ceux qui ont aboli l'esclavage par humanisme, sont les mêmes qui ont instauré le colonialisme par humanisme.

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