Tribune. Régions et villes reconfinées en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne, clusters en Mayenne, présence du Sars-CoV-2 dans les eaux usées à Paris… De nombreux signaux indiquent que, cet été, le coronavirus continue d'être actif en Europe et dans le monde. Les brassages estivaux risquent de renforcer sa présence dans des territoires jusque-là peu touchés et donc faiblement immunisés.
Médecins, soignants, chercheurs, nous alertons les autorités sur le fait que si nous n’utilisons pas sans plus attendre l’ensemble des moyens dont nous disposons pour freiner cette transmission, y compris le port obligatoire du masque en lieu public clos (commerces, lieux de travail, transports en commun, cinémas et théâtres, etc.), le risque est grand de devoir payer un prix sanitaire, social et économique sans commune mesure avec la contrainte raisonnable que représentent ces nouvelles habitudes. Malheureusement, nos dirigeants, prompts à recommander ces mesures, s’en affranchissent allègrement dans leurs activités publiques. Il suffit d’avoir assisté aux passations de pouvoir dans les ministères et dans les mairies, de regarder les photographies prises en réunions ou de les voir aller au contact du public sans protection, pour comprendre pourquoi les Français rechignent à appliquer une mesure aussi simple que le port du masque en lieu public clos.
Pourquoi imposer le masque en lieu clos ? Le risque de transmission par aérosol – un nuage de particules virales en suspension durable dans l'air non renouvelé – a été mis en avant dans une tribune du 4 juillet, parue dans le New York Times et signée par 239 chercheurs de 32 pays demandant à l'OMS de réviser sa position concernant les voies de transmission du Sars-CoV-2. Cette voie, différente de celle concernant la transmission par microgouttelettes et par les mains souillées, est connue et prouvée pour le Sras 2002, ainsi que pour le Mers. Elle a enfin été admise par l'OMS jeudi pour le Sars-CoV-2.
Jusqu’à présent, les gestes barrières étaient pensés pour protéger du contact direct ou indirect avec un objet ou une personne contaminée par des microgouttelettes. Or ce dernier mode de transmission est désormais considéré comme marginal par le Centre de prévention et de contrôle des maladies (CDC) d’Atlanta et par la communauté scientifique. En effet, les études de clusters peinent à identifier des objets sources de contaminations. De plus, en cas de transmission par des objets contaminés, le traçage des cas contacts et le contrôle des clusters seraient bien plus difficiles que ce que nous observons aujourd’hui. Autre argument pointant dans la même direction, les transports en commun ont fortement participé à l’épidémie avant l’obligation du port du masque : par exemple, le métro de New York a compté 81 décès parmi ses salariés (incidence de cas trois fois supérieure à la population locale) et une étude souligne le rôle moteur des transports en commun dans la diffusion de l’épidémie.
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La transmission par aérosol, donc uniquement par l’air respiré dans une pièce, semble être désormais reconnue comme une des voies majeures de transmission du virus en population générale, voie qui n’est pas affectée par le lavage des mains ou des surfaces, ni par le respect du mètre de distance entre les personnes. Cette nouvelle connaissance implique une révision importante des mesures de prévention : une grande attention doit désormais être portée à l’aération des locaux et aux systèmes de climatisation et de filtration. Elle rend également évidente l’obligation du port du masque pour la fréquentation de tous les lieux fermés publics, voire privés (dans le contexte des fêtes qui semblent une source majeure de clusters). La règle de la distanciation de plus de 1 mètre en lieu clos ne suffit pas, elle a pour conséquence de faire croire à tort aux personnes qu’elles sont protégées.
Avant même que ce risque aérosol ne soit validé par l’OMS, l’Allemagne a imposé la généralisation du port du masque dès la fin avril en lieu public clos, mesure actuellement plébiscitée par une majorité d’Allemands qui s’oppose à sa levée (87%, sondage ZDF de vendredi). Une étude portant sur la ville d’Iéna (Thuringe) établit une réduction de 40% à 60% du taux de croissance épidémique suite à cette introduction du port de masque. Dans les pays ayant adopté massivement le port de masque pendant le pic épidémique du printemps, la mortalité par habitant n’a augmenté «que» de 7,2% par semaine, contre 55% dans ceux qui ne le préconisaient pas (étude portant sur 198 pays).
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Ainsi, de multiples données, études de cas et expérimentations scientifiques nous indiquent que nous ne sommes plus dans l’application d’un principe de précaution, mais dans une urgence sanitaire, urgence qui a déjà conduit de nombreux pays ou régions – Belgique, Espagne, Allemagne, et hier encore Ecosse – à imposer le port du masque dans les lieux clos. Ce dernier est notre meilleure protection contre la propagation du Sars-CoV-2. Au nom des personnes à risque de formes sévères (qui restent parfois confinées), au nom des soignants qui ont déjà trop souffert de la crise du printemps, nous demandons que celui-ci soit rendu obligatoire, pour tous, dans tous les lieux publics clos, sans attendre une éventuelle deuxième vague.
Nous demandons également à tous les personnages publics de s’astreindre à donner l’exemple dans toutes leurs activités, systématiquement et sans exception. Nous prenons date avec cette tribune : nous aurons averti les autorités sanitaires de l’importance fondamentale de cette mesure bien avant que les choses ne prennent un tour dramatique, comme de nombreux soignants l’ont fait depuis le début de cette crise, et comme nombre d’entre nous l’ont fait depuis le début de l’épidémie en insistant sur l’utilité du port du masque en population générale.
De nombreux patients, après avoir contracté la Covid-19, et d’autres, atteints de maladies chroniques ou plus fragiles, ne sont pas retournés à une existence normale et nous entrevoyons à peine les conséquences de cette épidémie dans la vie de chacun. Donnons-nous toutes les chances d’éviter de revivre ce que nous avons traversé : une deuxième vague, probablement plus étendue géographiquement, serait dramatique et pas seulement par les conséquences économiques durables d’un nouveau confinement général.
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Premiers signataires : Dr Franck Clarot radiologue, vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) Seine-Maritime, Dr Christian Lehmann médecin généraliste, écrivain, Pascale Mathieu présidente du Conseil national de l'ordre des kinésithérapeutes (Cnok), Dr Stéphane Korsia-Meffre vétérinaire, Dr François Trémolières praticien hospitalier honoraire, Pr Laurent Lantieri professeur et chef de service à l'hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), Dr Yvon Le Flohic médecin généraliste, Dr Jérôme Marty médecin généraliste, président de l'Union française pour une médecine libre (UFML), Pr Eric Caumes chef du service des maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière (Paris), Pr Thierry Baubet chef de service à l'hôpital Avicenne (Bobigny), Dr Bruno Rocher psychiatre addictologue, CHU Nantes, Pr Guillaume Gorincour, radiopédiatre (Marseille), vice-président du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre national des médecins, Dr Jean-Daniel Flaysakier médecin, journaliste, Dr Matthieu Calafiore médecin généraliste, maître de conférences, Dr Camille Pascal-Gorincour médecin généraliste (Aix-en-Provence), Dr Gilles Boccara cardiologue libéral (Aix-en-Provence), Dr Laurent Fignon médecin hospitalier (Cannes), Dr Annic Jarnoux médecin généraliste, Pr Elisabeth Leca-Colonna pharmacologue, Pr Jean-Laurent Casanova professeur de pédiatrie, hôpital Necker-Enfants malades, université de Paris et AP-HP, Collectif Stop postillons (Dr Jonathan Favre, Dr Michael Rochoy, Dr Antoine Hutt et Dr Thibault Puszkarek), Pr Mahmoud Zureik professeur d'épidémiologie et de santé publique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), Dr Patrick Bouet, Président du Conseil National de l'Ordre des Médecins ( CNOM )