Nom : Lindolfo Gargiulo
Date de naissance : 01/08/1994
Lieu de naissance : Bondy
Ville de résidence: Paris
Niveau d'études : Master en Psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse
Profession du père, niveau d'études : Chef de bureau à l'ambassade d'Argentine et psychanalyste
Profession de la mère, niveau d'études : Psychologue clinicienne et professeur des universités
Fratrie, profession, niveau d'études : Manuel Gargiulo, 24 ans, interne en médecine
Michel Bampély : Alfred de Musset écrivait «Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux». Croyez-vous que l’industrie du hip hop d’aujourd’hui peut encore s’ouvrir aux poètes romantiques ?
Lonepsi : Aujourd'hui, pour le jeune qui écrit des poèmes, poser sa voix sur une instrumentale est presque devenu coutume. Alors, si Hugo, Baudelaire ou Aragon étaient nos contemporains, s'ils avaient la vingtaine, et à leur disposition, les moyens qu'offre si facilement la technologie actuelle (micro, logiciel d'enregistrement, instrumentales en libre service, etc.), ils seraient sûrement des rappeurs, et l'industrie du hip-hop d'aujourd'hui se ruerait pour les signer en maison de disque. Pas parce que ce sont des poètes romantiques, mais parce qu'avec internet leurs voix et leurs poèmes se seraient faits entendre de tous, et que les maisons de disque ne se seraient pas privées de génies comme eux.
Michel Bampély : On vous entend peu dans les radios mainstream et pourtant vous élevez le niveau de la langue française. Comment l’expliquez-vous ?
Lonepsi : Je ne sais pas si j'élève le niveau de la langue française. En revanche je sais que les radios mainstream n'accordent pas vraiment d'importance à la qualité des textes présents dans les musiques qu'elles programment. Il peut y avoir des exceptions, on y a déjà eu droit ! Mais pour les radios, le texte n'est pas un critère de sélection. On le sait, ce qui est primordial pour les radios, c'est que la personne dans sa voiture ne change pas de station. Et pour ce faire, on connait la recette: des notes qui rentrent en tête facilement, et si possible, des mots et des phrases simples. Je crois que si ma musique ne passe pas en radio, ça n'est pas parce que je tente de replacer le texte au centre de la musique, mais plutôt parce que je suis trop bavard. Que j'ai trop de choses à dire, et que ces choses, je les dis dans un temps trop resserré. Peut-être un jour viendra le temps où je gagnerai en maturité et que je saurai dire les mêmes choses, mais avec moins de mots. Et peut-être même que ça sera joli. D'en parler, ça me fait penser aux Haikus, une forme de poésie japonaise qui condense en peu de mots, des mondes aussi riches que des livres entiers. J'espère y arriver un jour !
Michel Bampély : Vous avez découvert votre public qui était plutôt féminin. Les femmes sont-elles depuis toujours attirées par des chansons d'amour aux mots torturés ?
Lonepsi : Je pense que les femmes, avant de tomber amoureuses d'un visage, tombent amoureuses d'une voix, et avant de tomber amoureuses d'une voix, tombent amoureuses des mots dits par cette voix. Et ça n'est pas parce que ce sont des femmes qu'elles sont attirées par les mots. C'est parce qu'elles sont sensibles, avant tout. En ce sens-là, des hommes aussi peuvent être séduits par de jolis mots qui racontent des histoires d'amour, mais il me semble que c'est plus rare. Je pense qu'une grande majorité d'hommes a du mal à assumer sa sensibilité, autrement dit, son côté féminin. Moi je pense qu'un homme, je veux dire, un vrai de chez vrai, c'est quelqu'un qui ne se ment pas, quelqu'un qui assume ses faiblesses, ses sensibilités, qui les regarde, les écoute, les nourrit, et qui n'a pas peur de se dire: « aujourd'hui, je suis triste, et cette musique me fait du bien ».
Michel Bampély :Vous venez de publier votre Ep 7 titres «Toutes les nuits du monde». Je viens de vous découvrir avec le titre «Sous une averse». Quelles sont selon-vous les lois ou les règles de la vie à enfreindre avant de partir ?
Lonepsi : Avant de partir il faudrait devenir immortel (trois ou quatre jours peuvent amplement faire l'affaire). Il faudrait pouvoir voyager en restant chez soi; s'échapper aussi loin que notre imagination nous le permet. Avant de partir il faudrait fuir comme les heures qui passent et qui s'en vont pour toujours dans un monde qu'elles ont elles-mêmes inventées. Et il faudrait en revenir avec du courage, pour affronter les épreuves que la vie propose parfois injustement. Avant de partir il faudrait croiser des regards qui veulent tout dire. Des nuits et des silences qui consolent. Il faudrait croire aveuglement aux miracles, et se heurter par hasard contre des gens qui nous veulent du bien. Avant de partir il faudrait travailler jusqu'à ce que le mot « fatigue » ne veuille plus rien dire. Avant de partir, il faudrait dépasser ses limites, dans l'unique but de se venger — avec douceur — de la vie qu'on nous a donnée sans notre permission.
Michel Bampély :Vous écrivez «Imagine-nous danser à la vitesse d'une émotion» dans le titre Je ne sais pas danser. Quelle type d'émotion la poésie peut-elle encore transmettre dans un monde où une image vaut mille mots ?
Lonepsi : À chaque fois que je lis Le Fou d'Elsa de Louis Aragon, j'ai l'impression de découvrir continuellement de nouveaux poèmes. Et après de méticuleuses vérifications: il n'y a pas de nouveaux poèmes qui apparaissent par magie dans ce recueil-là. Ce qui change, finalement, c'est la perception que je m'en fais. En fonction de mon humeur ou du moment de la journée, un même poème peut m'offrir de l'affection, du réconfort, des réponses mais aussi des questions, de la tristesse mais aussi de la joie, et parfois même un monde entier. Au final, je crois que la poésie, elle peut tout offrir, à celui qui est assez généreux avec soi pour recevoir ce qu'elle a à donner.
Michel Bampély : Votre chanson «la fille du bus» évoque une femme, une population à elle seule. «Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » disait Lamartine. Partagez-vous également ce sentiment en écrivant ?
Lonepsi : Affirmatif ! Dans la chanson Aveugle, je dis: « je ne croise plus grand chose dans les regards que je croise, comme si j'étais devenu aveugle après toi ». J'ai toujours pensé que celui qui était joyeux n'écrivait pas ou à la rigueur, écrivait mal. Et qu'il fallait, pour écrire ne serait-ce que convenablement, partir d'un inconfort, d'une frustration ou d'une incompréhension profonde. C'est comme ça que les maux partagés par tous les êtres humains, peuvent être racontés de la façon la plus juste par celui qui écrit. Quand celui qui s'abandonne à sa peine écrit, il transforme sa solitude pour la proposer comme un outil à ceux qui la lisent.
Michel Bampély : Parmi vos influences vous citez des compositeurs tel que Debussy. Croyez-vous que le rap comme la musique classique ou le jazz, est à la fois un art populaire et un art savant ?
Lonepsi : Que le rap soit un art populaire, ça ne fait aucun doute. On apprend à rapper le plus souvent en groupe, en se réunissant autour d'une enceinte ou pendant des open-mics (événements où les rappeurs se réunissent pour prendre le micro et exposer aux autres rappeurs leur meilleurs textes sur une instrumentale). On progresse en se donnant des conseils, en essayant d'avoir des meilleures rimes et flows que l'autre, et on acquiert de nouvelles techniques d'écriture et de flows par l'émulation et la transmission orale.
À ma connaissance, il n’y a aucun écrit qui théorise comment faire pour rapper, comment faire pour poser sa voix sur une instrumentale, comment rimer et comment structurer son texte pour en faire un morceau typique de ce genre-là. En ce sens, le rap n’est pas un art savant. Et, personnellement, je pense que c’est mieux ainsi. Le rap est une musique du spontané, du brutal, du naturel et du renouveau contant. Si on se mettait à sceller sur du papier des théories visant à expliquer cette discipline, le rap ne serait plus ce qu’il est: musique au champ des possibles aussi vaste que prometteur.
Post-scriptum
Lonepsi : Je me permets, après avoir répondu à ces questions, d'ouvrir une parenthèse, qui répondra de façon transversale à un thème sous-jacent présent dans toute une partie des questions de cet entretien. La parenthèse concerne la citation de Alfred de Musset que vous avez cité dans votre première question. Je dirais, me concernant, que je suis venu trop tôt dans dans un monde trop jeune. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, la société veut qu'on soit de grands nourrissons qui ne réfléchissent pas trop. Et ça marche plutôt pas mal. J'ai parfois le sentiment que la plupart des gens n'acceptent plus qu'un chemin les sépare de leur désir.
On veut tout, et on le veut immédiatement. Tenez, par exemple: aujourd’hui, dans une musique, pour dire que la nuit tombe, on dit « la nuit tombe ». On ne dit plus « un cercle d’airain ferme au loin l’horizon » (V. Hugo, Le Feu du ciel, II). Parce que ça serait trop long, à la limite du pénible, ça ne passerait pas pour le lecteur qui veut du concret et de l’efficacité. Aujourd’hui, on veut connaitre la fin de l’histoire, et tout de suite. On veut des photos, des images, et on veut qu’elles soient simples, sans trop d’informations, sinon on scroll, on passe à l’image suivante, à l’article d’après.
Alors moi, plutôt que d’être le grand nourrisson que la société veut que je sois, je préfère rester un enfant qui se cache derrière un long manteau d’adulte. Parce que les enfants, ça préfère les longues histoires, les belles phrases et la liberté qu’offre la lenteur du temps qui n’est pas immédiat.
EP 7 Titres « Toutes les nuits du monde » disponible ici: lonepsi.lnk.to/touteslesnuits