Tribune. Mesdames, messieurs,
Autant vous le dire tout de suite, j'admire votre stoïcisme. Le réchauffement climatique est d'une ampleur bien plus alarmante que les prévisions les plus pessimistes des dernières décennies ne le laissaient supposer. Devant ce constat, il serait logique que celles et ceux élu·e·s par ce peuple se préoccupent impérieusement de son avenir comme de l'avenir de ses enfants. Et rejettent violemment tout ce qui pourrait s'apparenter, de près ou de loin, à de la procrastination, à la temporisation face aux changements urgents à opérer dans cette lutte vitale.
Mais voilà : je regarde régulièrement vos débats, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. A vous voir ou à vous entendre, on pourrait penser qu’il y a d’autres urgences bien plus graves que la déroute climatique due à l’effet de serre. On pourrait même croire qu’il n’y a en fait aucun souci à se faire, que rien ne presse. A scruter vos passes d’armes, vos bizutages et points presse, le monde entier pourrait se dire que l’avenir de la planète passe par la réforme des retraites ou le passage aux 80 km/h.
Or, je n’ai jamais vu une bronca, d’un bord comme d’un autre de l’hémicycle, au sujet de l’écologie. Gardez-vous vos colères, vos indignations et vos outrances pour des causes plus «graves et plus sérieuses» ? Comment faites-vous ? A vous entendre et à vous voir, il semblerait que nous ayons encore le temps de la politique à l’ancienne, du ronronnement de la droite contre la gauche, de l’invective m’as-tu-vu, du ricanement collectif orchestré.
Je vous trouve légers, mesdames et messieurs, absolument pas à la hauteur de la situation. Je vous trouve même primesautiers lorsque, devant les bonnettes de micro, chaque mercredi vous testez vos formules et calembours en espérant qu’ils soient repris.
Une question me taraude : avez-vous des informations rassurantes sur l’avenir qui vous autoriseraient ces temps longs de débats et d’amendements par milliers ? Avez-vous, dans vos porte-documents, un plan redoutablement efficace de lutte contre le dérèglement climatique qui vous permettrait ce luxe inouï de vous intéresser aussi intensément à d’autres sujets ? Dites-nous…
Vous avez des enfants et des petits-enfants, vous les voyez grandir, jouer, aller à l’école, rêver d’un métier. Etes-vous si sûrs que leurs conditions de vie sur Terre à l’âge adulte feront qu’ils salueront votre clairvoyance sur cette question ? Quel mystère vous pousse à vous investir dans des débats qui, en d’autres temps, auraient sûrement une pertinence mais qui aujourd’hui, face à la crise climatique, semblent secondaires voire hors sujet ? N’éprouvez-vous pas, parfois, au fond de vous, le minuscule pressentiment que nos gamins auront, dans le futur, d’autres chats à fouetter que leurs retraites pour reprendre ce seul exemple ? Peut-être celle-ci pourrait-elle devenir le cadet de leurs soucis dans un monde qui subira des températures de 50 degrés l’été, vivra des pénuries d’eau, connaîtra des déplacements de populations hallucinants… ou lorsque des tensions alimentaires se feront sentir pour eux aussi ? Avez-vous des doutes - même de tous petits - sur la pertinence de vos missions actuelles au sein des deux assemblées ?
Que vous soyez animés d’un cynisme à toute épreuve, portés par une ignorance infinie de l’état du monde, possesseurs d’une confiance cosmique dans le génie humain ou encore adeptes d’un climatoscepticisme à faire passer Trump pour un militant de Greenpeace, votre passivité sur ces sujets, votre discrétion, votre absence de pression sur les gouvernements sont pour moi et bien d’autres incompréhensibles, hallucinants, en dehors de toute intelligence humaine. Venez-vous d’ailleurs ?
Si votre investissement écologique était une onde sismique, elle serait indétectable même par les plus puissants sismographes. Lisez-vous les mêmes articles que moi, avez-vous les mêmes rapports du Giec ou les transforme-t-on, pour vous, en albums de «Martine fait de l’écologie» ? Avez-vous des filtres dans vos smartphones vous coupant de la réalité du changement climatique ? Signez-vous une «clause de passivité» sur les sujets environnementaux en entrant au Palais-Bourbon ou au palais du Luxembourg ? Dites-nous…
Pardonnez-moi de vous avoir détourné quelques instants de vos travaux. Je vous laisse à vos postures de gauche et de droite, le ciel et la terre peuvent attendre. Nul doute qu’entre deux séances sur des sujets «sérieux» vous saurez trouver quelques instants pour voter une loi encourageant les industries à «commencer de prévoir des dispositifs visant à envisager, à l’horizon de 2060, la mise en place d’un protocole de dialogue pour organiser le tri sélectif dans les vestiaires des employés».
J’aurais aimé terminer par une formule de politesse de circonstance mais pardonnez-moi, j’ai trop mal à la Terre.
Cette crise économique due au coronavirus peut être l’occasion d’un vaste chantier dont il n’appartient qu’à vous d’être les architectes. Construisez le monde de demain.
Mutinez-vous, retrouvez du sens et de la hauteur de vue. Faites trembler le gouvernement, montrez-lui - et montrez-nous - que vous servez à quelque chose, que vous n’êtes ni des caisses enregistreuses ni des semeurs d’amendements ! Et si l’écologie était votre chance ? Prouvez-nous qu’il n’y a pas que le Conseil d’Etat qui protège le peuple français.
Ne lâchez rien sur l'écologie au nom de nos enfants, je vous en supplie. Après tout, nous sommes peut-être frères, lançait en 1886 le chef indien Sitting Bull au président Cleveland avant d'ajouter : «Nous verrons bien.» Soyez des êtres humains, devenez indien.