Le Conseil européen a tourné au pugilat dans la nuit de dimanche à lundi. « Il y a eu une passe très dure hier soir », raconte une source française : « La Chancelière et le Président de la République ont tapé du poing sur la table en disant dit qu'ils étaient prêts à s'en aller si les blocages stériles se poursuivaient. Emmanuel Macron a dit clairement aux « frugaux » qu'ils mettaient le projet européen en danger » s'ils persistaient à refuser le plan de relance. Toute la nuit a été consacrée à des entretiens en différents formats (bilatérale, trilatérale, quadrilatérale, etc.), certains d'entre eux durant jusqu'à 3 heures. C'est alors qu'un « mouvement des « frugaux » a commencé à s'amorcer », poursuit la même source.
« Nous les avons emmené sur les chiffres afin de sortir de la discussion sur le principe même d’une dette commune qui représente un énorme saut fédéral dont Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, ne veut pas », raconte un négociateur. « Et comme ils sont radins, ils ont commencé à discuter du montant des subventions », s’amuse une autre source, alors même que vendredi, à l’ouverture du Conseil européen, ils ne voulaient pas en entendre parler. 500 milliards ? 400 ? 390 ? 375 ? Il semble qu’au final les Vingt-sept s’achemine vers le chiffre de 390 milliards, qui reste à confirmer, contre les 500 milliards proposés au départ. Subventions, cela veut dire que chacun remboursera non pas en fonction de ce qu’il a reçu, mais en fonction de sa richesse via le budget européen. Il y aura aussi une part de prêts qui, eux, pèseront sur les comptes publics des pays qui les recevront : la Commission avait proposé 250 milliards de prêts, ça sera sans doute 300 à 350 milliards. Mais l’ensemble de ces sommes redistribuées sous forme de subventions et de prêts seront empruntées par la Commission sur les marchés, ce qui est une première dans l’histoire européenne, du moins dans une telle proportion (il y a eu des précédents, mais limités).
« Le point important, c'était de créer l'outil, un mécanisme d'emprunt commun, et de le doter d'un montant important », se réjouit un diplomate qui espère qu'une fois le principe arrêté, les Vingt-sept ne reviendront plus en arrière, ce qui rapprochera l'Union d'une fédération pouvant avoir recours à l'emprunt pour financer ses politiques communes. Mieux, Mark Rutte a finalement renoncé à exiger une décision à l'unanimité lors de l'attribution des sommes à chaque Etat afin d'exercer une pression maximale sur les pays du sud pour qu'ils se lancent dans des réformes structurelles… Simplement, si quelqu'un juge que les aides sont mal utilisées, il pourra faire appel aux Vingt-sept pour qu'ils discutent du problème. A 5h30 du matin, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont retrouvés pour une courte plénière de 20' et acter les progrès de la nuit avant de regagner leur hôtel. L'un des radins, l'Autrichien Sebastian Kurz, se réjouissait même à la sortie du Conseil, alors même qu'il venait d'accepter ce qu'il refusait encore la veille : « de difficiles négociations viennent de s'achever et nous pouvons être très satisfaits du résultat d'aujourd'hui. Nous continuerons cet après-midi ». Merkel à son retour, lundi, a aussi affiché sa satisfaction : « il était clair qu'il allait y avoir des négociations incroyablement difficile, mais les situations exceptionnelles exigent aussi des efforts extraordinaires. Jusqu'à présent, nous avons été à la hauteur et j'espère que le chemin restant, qui n'est pas facile pourra être parcouru ».
Car il reste des questions particulièrement lourdes à traiter : le respect de l'Etat de droit par les pays bénéficiaires des aides ou encore le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 que les « radins » entendent bien ramener à la portion congrue, ce qui posera un énorme problème pour financer les nouvelles politiques de l'Union (défense, numérique, climat, éducation, etc.) et rembourser à terme les sommes empruntées. D'ailleurs, la session plénière qui devait reprendre à 14h a été retardée tout au long de l'après-midi. Va-t-on vers un cinquième jours de sommet, un record historique ?
Photo Francois Walschaerts. AP