Tribune. La démission annoncée hier soir de Christophe Girard de son poste d'adjoint à la culture de la mairie de Paris ne concerne pas seulement le cercle restreint des édiles parisiens. Elle doit secouer nos consciences de citoyens. Je ne parle pas ici de l'aspect judiciaire de ce qu'il est désormais convenu d'appeler «l'affaire Matzneff» dans laquelle l'écrivain est visé par une enquête pour «viols sur mineurs», affaire pour laquelle Christophe Girard n'a jamais été mis en cause par la justice. On rappellera pour mémoire qu'il a été entendu en mars au titre des fonctions de secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent (dans les années 80), elle-même citée dans cette affaire pour avoir, à l'instar d'autres institutions comme le Centre national du livre (CNL), un moment, financé l'écrivain.
Tout citoyen averti, tout philosophe intéressé aux choses du politique ne pourront en revanche que s’alarmer devant ce qui relève, au minimum, d’une dangereuse confusion des genres, au pire, d’une mauvaise compréhension de ce que signifie la gestion de la chose publique. Car c’est bien ce signal inquiétant entre tous que nous envoie le collectif de militantes féministes et d’élus écologistes qui semble avoir obtenu hier la démission de l’adjoint à la culture après avoir manifesté sous les fenêtres de l’hôtel de ville où se tenait le premier conseil de Paris de la nouvelle mandature.
Conduite des affaires publiques
Au début des années 90, Michel Rocard s’alarmait déjà de ce que le développement des actions judiciaires en responsabilité allait détourner ceux qui en manifestaient la vocation de s’engager en politique. Il ne resterait, disait-il, pour incarner l’avenir du pays, que les médiocres ou ceux qu’anime le désir du pouvoir et, pire encore, l’idée d’étancher cette soif de reconnaissance au cœur de la chose publique. Il semble que nous y soyons. On aurait tort de se focaliser sur les seuls effets néfastes que provoque sur la conduite des affaires publiques le désintérêt qu’elle suscite chez les citoyens. Personne ne niera que la montée de l’abstention lors des récentes élections soit un signal dont il faut s’inquiéter. Bien peu, en revanche, s’alarment des effets délétères que produit l’ordre moral qui étend petit à petit son ombre sur le domaine de la culture et nuit à la qualité d’action de nos dirigeants politiques.
Les militantes féministes et les élus écologistes en question, qui se réclament d'une légitimité dont on ne sait si elle s'ancre dans une élection acquise au rabais (rappelons qu'aux dernières municipales parisiennes, le taux d'abstention a battu un record) ou d'une mode idéologique, celle de la cancel culture, imitée des Etats-Unis, nous offrent un avertissement à grands frais. Leurs protestations, qui ne reposent sur aucune preuve et violent les procédures, ne sont que le côté émergé de l'iceberg qui nous entraîne vers le fond de la culture, de la politique, de la démocratie. Il faudra un jour sans doute revenir sur l'action de Christophe Girard à la tête de la culture parisienne dont on sait qu'il y a travaillé à accueillir ces minorités, ces diversités dont se réclament ses adversaires et s'est toujours montré attentif, au-delà des différences, au respect de chacun.
Nouveaux justiciers
Aux nouveaux justiciers qui s'appuient sur «la rumeur, les amalgames et les soupçons» comme le dit Anne Hidalgo, je rappellerai la nécessité de prendre quelque distance historique. Il importe de garder les choses dans leur contexte. Au nom de quelle morale le met-on en cause et par qui ont été investis ceux qui s'en font les porte-voix ? Ce n'est pas en pratiquant l'anathème et l'exclusion que l'on fera avancer la cause des femmes et des enfants. La morale n'est pas affaire d'idéologie, encore moins de politique. Elle est à l'image d'une société, diverse, mouvante, qui se cherche et met un point d'honneur à s'interroger. Le reste n'est qu'une morale de dupes.
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Sans doute doit-on se montrer attentifs au fait que nos dirigeants nationaux ou municipaux fassent preuve des qualités d'«éthique» et de «responsabilité», pour reprendre les termes utilisés par les élues féministes et leurs alliés écologistes. A ceux-ci, il faut rappeler cependant que la grandeur de la politique réside sans doute dans sa capacité à faire entendre des voix différentes mais plus encore à les mettre en dialogue pour parvenir à un consensus dont les institutions démocratiques sont les porteuses et à défendre ainsi ce qui s'appelle encore «l'intérêt général».