Trente ans pile après le géographe Bernard Kayser et sa curieuse Renaissance rurale qui s'émerveillait des villages périurbains, trois ans après le sociologue Eric Charmes célébrant la renaissance des villages, le journaliste Vincent Grimault repeint la façade des campagnes françaises (1) après l'épisode dramatique des gilets jaunes qui criaient à l'abandon et l'injustice. A croire que le filon éditorial est jutueux. Un filon alimenté par un Christophe Guilluy et ses «fractures territoriales», un Jean-Pierre Le Goff et «la fin des villages», échos aux antiennes du «désert français» d'un Jean-François Gravier et de la «diagonale du vide» d'un Roger Brunet.
Périllos, village abandonné dans l’Aude, à moins de 100 km d’un littoral surpeuplé
Pendant le confinement au cours duquel on imprime La Renaissance des campagnes de Vincent Grimault, quelques centaines de milliers de citadins aisés fuient les métropoles pour leurs résidences secondaires, les unes dans l'«hyper-rural» de la Bourgogne ou du Perche normand, les autres sur les littoraux très urbanisés de la Basse-Loire, du bassin d'Arcachon ou de la côte varoise. Suffisamment pour faire les manchettes des hebdomadaires sur un hypothétique «retour des campagnes» facilité par la découverte du télétravail.
Cette aubaine est peu évoquée dans le livre de Grimault tant la brutalité du confinement a surpris. Mais le journaliste originaire du Cantal, friand d’enquêtes «de terrain» veut nous faire croire que les atouts de quelques villages vaudraient pour l’ensemble de la France rurale, non pas dans le livre même qui insiste sur la «diversité» mais par le titre qui n’a pas la précaution du point d’interrogation annonçant un débat.
«Osez le désert !»
Cette idée n'est pas neuve et rejette violemment le «Osez le désert» de Jacques Lévy. Le géographe nantais Jean Renard avait déjà décrit des «campagnes vivantes» en étudiant la Vendée, thème repris dans ses Mélanges, notamment par ses collègues Valérie Jousseaume et Christine Margétic. Certes, on peut piocher des expériences exaltantes de villages ici ou là qui défient les lois de la pesanteur rurale : Arvieu en Aveyron, Saint-Pierre-de-Frugie en Dordogne, Sornac sur le plateau de Millevaches, La Fère dans l'Aisne, Ungersheim dans le Haut-Rhin, les villages de la Biovallée dans la Drôme et quelques autres sortant de l'anonymat à cause d'un vin, d'un fromage, d'une spécialité industrielle… Pour autant, cela peut-il suffire à désigner une renaissance ?
Saillans, village modèle drômois
Avec la géographe Valérie Jousseaume, Grimault est aujourd'hui persuadé que nous sommes en train d'entrer dans une nouvelle ère, «plus sobre, plus durable et, donc, plus rurale au sens propre du terme, qui se rapproprie les héritages positifs de l'ère paysanne».
Avec lui, on s’aventure dans des périmètres qui ne sont plus ceux d’une commune mais d’une entité plus vaste, comme la Vendée, les Vosges, la Drôme. Est-ce crédible ?
La Vendée est une campagne au sens vernaculaire du terme, mais le niveau de développement des clusters industriels l’apparente plutôt à un canton suisse : plein emploi, double emploi dans les familles, haut niveau de scolarisation, fortes densités, innombrables PME issues d’une rétroaction positive de l’histoire jugée glorieuse de la Vendée, de l’enseignement privé catholique, du sentiment d’une exception transmis par le Puy du Fou, d’une proximité du littoral, des événements internationaux comme le Vendée Globe...
Les Vosges peuvent surmonter les crises rurales pour une raison bien plus simple : la proximité d'une Alsace industrielle et tertiaire très riche, pleine comme un œuf avec ses densités équivalentes à celle des Pays-Bas. Elles sont investies par des résidents secondaires à un jet de pierres des métropoles du ried alsacien.
Une ferme-auberge au pied du Tanet (Vosges). Un décor kitsch pour le tourisme de masse. Myrtilles polonaises garanties sur les «tartes maison» dans d’autres établissements de ce type.
Quant à la Drôme, située en bordure d’une des autoroutes les plus fréquentées d’Europe, jouissant d’un climat de plus en plus «provençal» dont elle a capté l’image, le département a bénéficié depuis deux générations d’un afflux de néo-ruraux bien formés, souvent étrangers (Pays-Bas) qui ont donné le meilleur de leur culture protestante d’initiatives collectives dans l’agriculture de qualité et la vie associative.
Ces trois cas montrent que la renaissance rurale française est un mythe qui prend la forme d'un archipel de cantons prospères au milieu d'une France des villages plutôt déprimée et déglinguée. L'écrivaine Marie-Hélène Lafon parvient à donner l'état de sidération d'une paysannerie déboussolée car enchaînée au futur par des contrats léonins, Jean-Christophe Bailly dans Le dépaysement dépeint un pays souvent déprimé tout comme Michel Houellebecq dans La carte et le territoire prédit un avenir peu reluisant pour les campagnes.
Des pouvoirs publics indéchiffrables
Des colloques aux symposiums, des salons aux rencontres thématiques pour les entrepreneurs à l'initiative des pouvoirs publics peuvent bien remuer toutes les idées sur l'économie sociale et solidaire, les coopératives, l'accompagnement associatif et des entrepreneurs aux projets inspirants (sic) sur l'habitat des possibles, tout cela fait penser à la dentelle surgie patiemment de femmes sur leur métier.
Car à ce jour les zones commerciales grandissent toujours et étouffent les métiers de proximité. L’air pur (à vérifier…), les paysages (aux jolies fermes de style américain ou aux éoliennes), le voisinage (et ses contraintes, sa surveillance), les circuits courts (on s’y approvisionne en voiture), tout cela relève bien du mythe. «La qualité de vie prend le pas sur les carrières» ? On veut le croire pour les plus riches qui ont des «carrières» mais les locaux ?
Un champ d’éoliennes et de panneaux solaires près du village d’Avignonet-Lauragais (Haute-Garonne). Au premier plan, le clocher de Notre-Dame-des-Miracles (XIVè siècle). Photo © AFP - Valeurs actuelles
On en apprend de plus étonnantes sur la disparition des services publics dans des campagnes qui seraient «suréquipées». Ainsi, l'Ardèche et la Drôme auraient plus de cinéma par habitant que la ville de Lyon. Mais combien de kilomètres faut-il parcourir pour se faire une toile ? Et voyons la Lozère qui affiche 15 moufflets par classe contre 25 dans l'Essonne. Une comptabilité sommaire qui ne prend pas en compte la qualité de l'enseignant qui peut très bien travailler avec 25 gamins de dix nationalité… Que diront les féministes à la géographe Christine Margétic qui vante ainsi les secrets de la réussite industrielle des campagnes : «foncier bon marché, main d'œuvre jeune, féminine, peu qualifiée et fidèle, car propriétaire de son logement, absence de culture ouvrière, généralisation du camion, réseau local puissant»…
Certes, les campagnes ont des ressources. De la générosité et des aménités à revendre, mais restons lucides. Le temps des campagnes éloignées des villes n’est pas encore venu. D’ailleurs, reviendra-t-il ? Faut-il qu’il revienne ? A moins de laisser à des auteurs les rêves d’un monde qui fait le bonheur de quelques éditeurs et les délices d’un anti-parisianisme de bon aloi.
(1) La renaissance des campagnes, Seuil.
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