La petite provinciale, ancienne capitale allemande qu’est Bonn veut réveiller son fils célèbre, né en 1770. Maison natale, festival, exposition, rien n’est de trop pour l’enfant de ces musiciens désargentés qui rêvaient d’en faire un prodige, comme Mozart. Pour les festivités, il faudra attendre, les 300 concerts du compositeur aux neuf symphonies, sonates, quatuors à corde, opéra et messes qui devaient jalonner l’année jusqu’au 17 décembre sont perturbés par le Covid.
Quel est le mythe de Beethoven porté par une géographie mondiale sans frontières, soulevant les foules aussi bien à Bombay qu'à Shanghai, au Cap qu'à Mexico ? Il a révolutionné la musique au point qu'Haydn qui l'a formé s'agenouillait devant lui. Malade continuellement, menacé par la surdité dès l'âge de vingt-six ans, il bataille avec des femmes inaccessibles, sa famille et l'aristocratie viennoise qui n'aime pas ses idées démocratiques et révolutionnaires. Passant pour un caractériel misanthrope, en proie à des idées suicidaires en 1802, il surmonte une grave crise en écrivant « ouvrir un nouveau chemin » (Testament d'Heiligenstadt). En 1806, Beethoven vit quelque temps chez un de ses mécènes, le prince Lichnowsky, mais refuse de jouer pour les officiers français résident au château. Le prince le menace de le faire mettre aux arrêts. Beethoven lui adresse alors ce billet : «Prince, ce que vous êtes, vous l'êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n'y a qu'un Beethoven.» Son caractère de feu, sa volonté, son attachement à sa liberté, son amour de la nature lui valent d'être adulé de son vivant.
Portrait de Beethoven, la chevelure d’un lion, par Joseph Karl Stieler, Bonn, 1820
Issu d'une famille musicienne, il se sauve à Vienne à l'âge de 22 ans et se forme avec Haydn. On le connaît surtout par son portrait tiré par Joseph Karl Stieler, la chevelure d'un lion, le regard noir, l'écharpe rouge et composant la Missa Solemnis. Au musée les perruques à la Mozart ou Haydn! A la tête d'un réseau qu'il tisse pour briser l'isolement qui le menace, malgré tous les concerts qu'il organise, il ne parvient pas à obtenir un poste fixe. Pour l'historienne Sabine Dahmen, «cette liberté a influencé sa musique.» Un désir farouche de liberté qui rencontre un écho sur toute l'Europe encore classique et déjà romantique.
Fidelio, son unique opéra, se veut une ode contre l'arbitraire en 1804 lorsqu'il vient de refuser une dédicace de la Symphonie héroïque à Napoléon autoproclamé empereur. Ou lorsqu'il met en musique le célèbre poème de Schiller, devenu l'hymne officiel de l'Union européenne en 1972. Ou encore lorsque les étudiants chinois défient le pouvoir à Pékin en avril 1989, huit mois avant la chute du mur de Berlin. 30 000 Berlinois auront la chance d'en écouter l'interprétation du chef d'orchestre, Kiril Petrenko, nouvellement chef de la Philharmonie de Berlin devant la porte de Brandebourg le 24 août 2019. Pour Petrenko, «le choix de cette pièce peut sembler banal, mais cela a beaucoup de sens pour moi. Il était évident que je ne pouvais commencer ma mission à Berlin qu'avec cette œuvre. S'il y en a une seule que nous devrions envoyer sur une autre planète pour montrer les aspects positifs et négatifs de notre humanité, c'est celle-ci.»
Un peintre de la nature
Même dans sa bulle du fait de sa surdité, Beethoven savait tout ce qui se passait en Europe et dans le monde. L'exposition de Bonn (1) veut briser le mythe du génie solitaire. Il est très marqué par la nature que les romantiques mettent en scène à l'époque. Sa Symphonie No 6, intitulée Pastorale, témoigne pour Hector Berlioz d'«étonnant paysage qui semble avoir été composé par Poussin et dessiné par Michel-Ange. L'auteur de Fidelio, de la Symphonie héroïque veut peindre le calme de la campagne, les douces mœurs des bergers (…) C'est de la nature vraie qu'il s'agit ici». Chants d'oiseaux, clapotis du ruisseau, averse orageuse sont les pièces maîtresses de sa Pastorale de 1808. «Quel plaisir de pouvoir errer dans les bois, dans les forêts, parmi les arbres, les herbes, les rochers !», écrit Beethoven. «Personne ne saurait aimer la campagne autant que moi».
Le Secrétariat des Nations unies à l'environnement a lancé en juin 2020 un grand projet, appelant des artistes du monde entier à créer leur propre pastorale en faveur de l'environnement. Européen, visionnaire, tel est le portrait de l'artiste que dresse Monika Grütters, ministre allemande de la culture en 2019.
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Philippe Jordan dirige la 6e Symphonie. Concert accessible sur Arte jusqu'en janvier 2021.
Trailer du concert du 24 août 2019 à la porte de Brandebourg (Berlin) avec la Philharmonie dirigée par Kiril Petrenko avec Marilis Petersen, Elisabeth Kulman, Benjamin Bruns, Kwangchul Youn et le Rundfunkchor de Berlin.
(1) Bonn. Bundeskunsthalle. Du 16 décembre 2019 au 26 avril 2020 et disponible ici : https://www.bundeskunsthalle.de/beethoven.html. Exposition Beethoven – Welt. Bürger. Musik. Catalogue : Beethoven – Welt. Bürger. Musik. Editions Wienand, Köln 2019. Prix : 39,80 €
Biographie
- 1770 : naissance à Bonn
- 1792 : part à Vienne étudier avec Haydn
- Jusque vers 1800, 1ère période de composition Concertos pour piano n°1 et 2, Symphonie n°1, Sonate pour violon et piano n°5 "Le Printemps"
- 1800 à 1814, 2ème période de composition Concertos pour piano n°3 à 5, Sonates pour piano n°16 à 26, Sonate pour violon et piano n°9 "Kreutzer", Triple Concerto, Concerto pour violon, Symphonies n°3 à 8, Quatuors à cordes n°7 à 9 dits "Razoumovski", Sonate pour violoncelle et piano n°3, Fidelio
- 1802 : testament d'Heiligenstadt
- Après 1814, 3ème période de composition Sonates pour piano n°30, n°31 et n°32, Missa Solemnis, Symphonie n°9, Quatuors à cordes n°12 à 16 et "Grande Fugue"
- 1827 : mort à Vienne
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