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Libération
TRIBUNE

Hommages à Jacqueline Sauvage, une instrumentalisation politique à l'ère du mépris judiciaire

Le chef de l'Etat et le porte-parole du gouvernement ont rendu hommage à Jacqueline Sauvage, une récupération de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes qui va de pair avec l’instrumentalisation de la justice.
Jacqueline Sauvage, à Chuelles (Loiret), le 19 janvier 2017. (Photo Vincent Capman. Riva Press)
par Marie Dosé, avocate à la cour
publié le 30 juillet 2020 à 18h19

Tribune. Au lendemain de la mort de Jacqueline Sauvage, le président de la République a cru devoir rendre hommage à celle qui «s'en est allée libre» et serait «devenue le symbole de la lutte contre les violences faites aux femmes». Porté par le même élan, le porte-parole du gouvernement (auquel appartient l'un des plus grands avocats d'assises) a tenu à porter aux nues le «combat de Jacqueline Sauvage […] devenue le visage de la lutte contre les violences faites aux femmes […], qui ne s'arrêtera pas là».

En 2014 et 2015, Jacqueline Sauvage a été condamnée à la peine de dix ans de réclusion criminelle par deux cours d’assises pour le meurtre de son époux, abattu de trois coups de fusil dans le dos le 10 septembre 2012. Le 12 août 2016, le tribunal d’application des peines a rejeté sa demande de libération conditionnelle, rejet confirmé par la cour d’appel de Paris trois mois plus tard.

Si Jacqueline Sauvage «s'en est allée libre», c'est par le jeu de ces grâces présidentielles tant décrié par celui-là même qui l'avait graciée. «Il n'est pas normal, assurait le candidat François Hollande, que l'un d'entre nous, fût-il élu au suffrage universel, puisse disposer de la possibilité de lever une condamnation.» Devenu président de la République, il accorda à Jacqueline Sauvage, moins d'un mois après l'arrêt de la cour d'appel de Paris rejetant sa demande de libération conditionnelle, une «remise gracieuse du reliquat de sa peine» qui «a mis fin immédiatement à sa détention».

La victoire de la foule contre le droit

Ce passage en force assumé du garant de l’indépendance de la justice fut surtout le symbole du mépris et de la défiance portés aux décisions judiciaires rendues par et au nom du peuple. Par cette ingérence autoritaire du pouvoir exécutif dans le domaine juridictionnel, le président de la République fragilisait un peu plus la légitimité du jury populaire et des magistrats professionnels, privilégiant la pression des réseaux sociaux et d’une opinion publique plus prompte à comprendre la vengeance que l’œuvre de justice. Ce fut la victoire de la foule contre le droit. Car le combat judiciaire de Jacqueline Sauvage, ou plus exactement celui de sa défense, n’a pas été «la lutte contre la violence faites aux femmes» mais la reconnaissance d’une absurde «légitime défense différée» censée l’absoudre de toute responsabilité pénale.

L'échec de cette stratégie de défense a conduit les avocats de Jacqueline Sauvage à se déplacer du terrain judiciaire à la sphère médiatique, et ce qui a échoué au prétoire a trouvé une résonance exacerbée sur les réseaux sociaux. A quatre mois de l'élection présidentielle d'avril 2017, l'ancien président de la République a préféré sacrifier l'institution judiciaire pour contenter une opinion publique déjà fragilisée par le populisme. Et résonnent encore les propos inquiétants d'un éditorialiste de la presse régionale au lendemain de la grâce de la condamnée : «Tout comme le meurtre était présenté comme la seule issue possible au calvaire de cette femme battue, la grâce est devenue la seule option politique. Hollande érige ainsi le symbole de sa propre compassion, qui demeure un devoir et un pouvoir du président français.»

Autocongratulation et manipulation

L'hommage rendu par l'actuel président de la République et le porte-parole du gouvernement à celle désormais érigée en «symbole de la violence faite aux femmes» est malheureusement du même acabit : Jacqueline Sauvage, condamnée pour meurtre à deux reprises à la peine de dix ans de réclusion criminelle, est donc devenue la figure emblématique d'un combat que le gouvernement assure vouloir poursuivre. L'œuvre de justice n'est plus superfétatoire mais tout simplement inexistante, et cet hommage post-mortem scelle définitivement l'ancrage de la position victimaire de Jacqueline Sauvage dont la condamnation devient finalement une nouvelle violence faite aux femmes.

Son avocate ne s'y trompe pas qui, dans un exercice pathétique d'autocongratulation et de manipulation, ose affirmer : «Comme l'a fait Gisèle Halimi dans le procès de Bobigny, plaidant contre le viol et pour le droit à l'avortement […], j'ai souhaité plaider la légitime défense dans le cadre de l'affaire Jacqueline Sauvage […], éveiller les consciences afin de faire modifier les textes de lois obsolètes, rédigés par des hommes et pour les hommes.»

En l’espèce et comme trop souvent, la récupération de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes va de pair avec l’instrumentalisation de la justice, et Emmanuel Macron sait parfaitement incarner cette dérive, lui qui défend bec et ongles le respect de la présomption d’innocence de son ministre de l’Intérieur tout en rendant un hommage appuyé à une femme condamnée pour meurtre par deux cours d’assises. L’ère du mépris judiciaire est décidément à son comble et semble avoir trouvé dans la cause féministe un terrain de prédilection qu’elle ne mérite pas.