La réponse aux enjeux environnementaux n'apparaît largement plus comme une option, mais comme une nécessité. Ce mouvement fait passer l'écologie du registre politique (un choix), à celui de l'ordre juridique (une nécessité). Il irrigue le delta de la pensée écopolitique : de « L'esquisse d'un parlement des choses » de Bruno Latour qui suggère d'« étendre aux choses le privilège de la représentation, de la discussion démocratique et du droit » (la nature serait représentée et protégée au même titre que la personne humaine) à la «Constitution écologique», émise par plusieurs organisations écologiques et personnalités, au premier rang desquelles Nicolas Hulot, qui prévoit l'encadrement des droits et libertés par les impératifs environnementaux (la protection de l'environnement comme finalité ultime de l'action publique).
En droit international, le droit de propriété prend un sens plus humaniste qu’en droit français
L’imprévoyance comme violation du droit de propriété, constitutif du droit à un environnement sain
Plusieurs décisions européennes dessinent les contours du droit à un environnement sain. La jurisprudence reconnaît que les dommages causés à l'environnement ou l'exposition à des risques environnementaux nuisent aux droits fondamentaux (droit à la vie, jouissance paisible de son domicile et vie privée et familiale). C'est le cas dans l'obligation faite aux Etats de garantir une distance suffisante entre des habitations et des substances dangereuses[3], la protection face aux industries polluantes[4], etc.
Le réchauffement climatique détériore les conditions de logement
C'est le cœur de l'argumentaire de « l'Affaire du siècle » en matière de logement, les faits sur lesquels s'appuie le raisonnement. Entre 1998 et 2017, la France a été le pays européen le plus impacté par des évènements climatiques extrêmes, et trois communes sur quatre sont exposées à au moins un aléa naturel susceptible d'être aggravé par le changement climatique. L'élévation du niveau de la mer et l'érosion côtière menacent environ 240 000 personnes qui résident à moins de 250 m des côtes[5] et 1 500 000 personnes dans des zones inondables[6]. A l'inverse, les fissures dans les bâtiments, liées aux épisodes de sécheresse, s'étendent sur des territoires nouveaux et 4 millions de maisons sont construites dans des zones argileuses soumises à un aléa fort ou moyen. Rien d'anodin dans ces exemples : des logements sont détruits, d'autres se dégradent, les risques pour la vie, la santé et la sécurité des habitants se multiplient, chaque année de nombreux ménages sont déplacés ou évacués.
Par ailleurs, le changement climatique aggrave la précarité énergétique (6,7 millions de passoires thermiques en France[7]) et les conditions de vie en habitat indigne et de fortune. Autant de logements qui ne protègent pas leurs occupants des excès de vent, d'humidité, de froid et de chaleur qui se font plus intenses et plus durables, avec leurs effets sur la santé[8], et particulièrement vulnérables au réchauffement climatique.
Le 10 juillet dernier, le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative française, a condamné l'Etat à une astreinte de 10 millions d'euros pour l'insuffisance de son action en matière de pollution atmosphérique. Il y était contraint, par une directive européenne sur la qualité de l'air et un air pur en Europe.
L'Affaire du siècle démontre que l'Etat ne respecte pas ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES), de consommation d'énergie et d'énergies renouvelables de manière générale et dans différents domaines (transports...). S'ajoute à cela, que le bâtiment et l'habitat sont au cœur des enjeux de réduction d'émission des GES et de réduction de la consommation énergétique du pays[9].
Or, tous les engagements et les ajustements pris par l'Etat, depuis 15 ans, n'ont pas suffi à pallier l'absence d'une réelle politique d'adaptation des logements. Dès lors que la loi ne définit pas clairement en quoi consiste une rénovation énergétique, pas plus qu'elle ne permet d'estimer la précarité énergétique, aucune prétention à bien faire et à protéger la population et ses biens des risques climatiques n'est possible. Le Haut Conseil pour le Climat le dit, comme d'autres organismes d'évaluation des politiques publiques : « il n'y a ni qualité de résultat, ni données fiables »[10] pour vérifier que l'État respecte les obligations qu'il s'est lui-même fixées. En 2015, l'Observatoire permanent de l'amélioration énergétique du logement considérait que parmi les 3,5 millions de rénovations achevées en 2014, seuls 288 000 pouvaient être considérées performantes d'un point de vue énergétique, soit à peine 8 %. A ce rythme, il faudrait 125 ans pour rénover le parc total de logement. Tandis que les politiques de soutien à la consommation, pour éviter que les ménages ne soient privés d'énergie, ne saisit pas l'opportunité d'orienter consommateurs et fournisseurs vers une énergie « propre »[11].
Toutes les sources concordent : l'action insuffisante de l'Etat, son imprévoyance face au réchauffement et aux changements climatique, semble bien caractérisée. Et elle enfreint donc les droits fondamentaux en hypothéquant l'avenir de l'humanité.
Faire parler le droit, pour clarifier l’obligation
Autrement dit : l'effectivité des droits humains (vie, sûreté, intégrité, liberté, égalité, dignité, vie privée et familiale, propriété...) imposent la protection de l'environnement et obligent à la lutte contre le changement climatique. La protection de l'environnement est biologiquement essentielle à la vie, juridiquement elle est nécessaire à l'exercice des droits fondamentaux. Son inscription au sommet de la hiérarchie des normes n'apporterait rien de supplémentaire à l'interdépendance des droits et à leur nécessaire et concrète conciliation. La reconnaissance de la protection de l'environnement en tant que telle permettrait cependant de ne plus en faire une variable d'ajustement, de lui donner un effet direct et d'en déclarer clairement la créance.
[1] Notre Affaire À Tous, Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation pour la Nature et l'Homme, Fondation Abbé Pierre et Fédération Nationale de l'Agriculture Biologique.
[2] Au titre de l'article 1 du Protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »
[3] CJUE, Franz Mücksch, 2011.
[4] CEDH, López Ostra c. Espagne, 1994.
[5] Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, « Le littoral dans le contexte du réchauffement climatique », octobre 2015, p.106, https://www.vie publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/174000730.pdf.
[6] Ministère de la Transition Ecologique, « Risques littoraux », février 2019, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/risques-l....
[7] Rénovons !, « Coûts et bénéfices d'un plan de rénovation des passoires énergétiques à l'horizon 2025 », février 2020.
[8] Elle aggrave les pathologies existantes et en génère de nouvelles : troubles respiratoires, allergies, eczéma, maux de tête, de gorge, infections pulmonaires, prévalence de l'asthme liés à l'humidité et au froid. Une meilleure isolation contribue aussi à diminuer la température intérieure et de limiter les phénomènes de surmortalité en cas de canicule.
[9] Le secteur du logement porte 15 % des émissions de CO2 en France, la consommation d'énergie des ménages dans leur logement représente 30 % de la consommation totale. La mauvaise qualité du logement et le gaspillage d'énergie contribuent à l'augmentation des GES.
[10] Haut conseil pour le climat, « Agir en cohérence avec les ambitions », Rapport annuel 2019.
[11] Le gaspillage énergétique ne se traduit ni par une politique qui en assure l'accès à tous (les coupures pour impayés augmentent, selon le médiateur de l'énergie), ni par un mieux disant environnemental (le chèque énergie rémunère tout type d'énergie et de source, sans regard environnemental).
- Photo : Lionel Bonaventure/AFP