Le commissaire européen au Commerce, l’Irlandais Phil Hogan, va-t-il être la première victime politique de la pandémie de nouveau coronavirus ? En Irlande même, la pression est forte pour qu’il soit viré de son poste pour ne pas avoir respecté les mesures de sécurité sanitaires parmi les plus strictes de l’Union, trois comtés étant même de nouveau en confinement depuis le 7 août. L’homme refuse en tout cas vigoureusement de démissionner : son sort est désormais entre les mains d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui devrait trancher d’ici peu.
Oireachtas Golf Society
Les faits auraient été totalement anodins dans une autre réalité. En vacances en Irlande, l’ancien député et ministre a participé le mercredi 19 août, avec 81 autres invités, à un dîner de gala dans un hôtel de Clifden, dans le comté de Galway pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’Oireachtas Golf Society, le club de golf du Parlement. Or la veille de cet évènement, le gouvernement irlandais a interdit les rassemblements en espace fermé de plus de 15 personnes (contre 50 depuis juin). En outre, à l’intérieur de l’hôtel, des vidéos ont montré que la distanciation physique et le port du masque n’étaient pas respectés par une partie des invités. Pour ne rien arranger, la police a révélé avoir arrêté le commissaire le 17 août, alors qu’il se rendait dans le comté de Galway en venant de Kilkenny, parce qu’il téléphonait au volant de sa voiture. Et comble du comble, le commissaire a fini par admettre s’être arrêté brièvement dans sa maison du comté de Kildare pour récupérer des documents ce qu’il n’aurait pas dû faire puisque la région venait d’être replacée en confinement…
Les Irlandais, qui subissent des restrictions de libertés sans précédent depuis le mois de mars, ont très mal pris la chose et c’est un euphémisme. La tempête a emporté plusieurs personnalités, dont le ministre de l’Agriculture, Dara Calleary, et le vice-président du Sénat, Jerry Buttimer. D’autres ont présenté des excuses, à l’image d’un juge de la Cour suprême ou de Phil Hogan : «Je me rends parfaitement compte du stress, du risque et de l’offense inutiles causés au peuple irlandais en participant à un tel évènement à un moment aussi difficile pour tous et j’en suis extrêmement désolé», a-t-il expliqué sur Twitter ce week-end. Il affirme avoir «assisté au dîner de l’Oireachtas Golf Society mercredi après avoir clairement compris que les organisateurs et l’hôtel en question avaient reçu l’assurance (de la Fédération des hôtels irlandais) que les dispositifs mis en place étaient en conformité avec les recommandations du gouvernement», ce qui n’était pas le cas. Des excuses jugées «tardives» par le porte-parole du gouvernement.
«Prendre ses responsabilités»
Phil Hogan, avant de regagner Bruxelles dimanche, a rencontré le Premier ministre irlandais, Michaël Martin, et le vice-premier ministre, Leo Varadkar, qui dirige le Fine Gael, son parti. Les deux hommes lui ont «demandé de prendre ses responsabilités» et de poursuivre ses réflexions sur son avenir sans exiger formellement sa démission, ce qu'ils ne peuvent faire, un commissaire étant indépendant de l'Etat qui l'a nommé. La Commission a pris cette infraction aux règles de sécurité sanitaire au sérieux et a demandé, lundi, au commissaire chargé du Commerce un rapport complet sur ses activités en Irlande : «Il est important que les faits soient établis en détail pour parfaitement évaluer la situation», a expliqué une porte-parole de l'exécutif communautaire. Remis mardi après-midi, le document explique en détail tous les mouvements du commissaire et pourquoi il estime ne pas avoir violé les règles en vigueur.
L'affaire, un rien clochemerlesque, personne ne pouvant se vanter de maîtriser toutes les règles sanitaires qui varient d'un pays et d'une région à l'autre, va-t-elle faire tomber le puissant commissaire au Commerce ? Son départ compliquerait la tâche de Von der Leyen à quatre mois de la fin de négociations commerciales très mal engagées avec le Royaume-Uni et alors que les accords de libre-échange sont de plus en plus contestés par les Etats membres eux-mêmes. Surtout, Dublin perdrait ce poste influent, l'Irlandais qui serait nommé à la place du capé Phil Hogan qui a été commissaire à l'agriculture de 2014 à 2019 ayant peu de chances de reprendre ses fonctions. La présidente de la Commission va donc y réfléchir à deux fois avant de virer Hogan, elle qui a déjà saboté sa candidature à la tête de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de ne pas désorganiser son collège.
N.B.: article paru dans Libération du 25 août
Photo Virginia Mayo. AP