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Blog «Coulisses de Bruxelles»

"Golfgate": le gouvernement irlandais obtient le renvoi du commissaire au commerce

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L’Irlandais Phil Hogan a remis sa démission mercredi soir à Ursula von der Leyen. Le commissaire au Commerce, et poids lourd de l’exécutif communautaire, qui, la veille encore, affirmait sur les ondes de la télévision publique irlandaise RTE qu’il n’avait aucune intention de remettre son mandat, a manifestement été lâché par la présidente de la Commission, comme en témoigne le très sec et très bref message qu’elle a publié pour le remercier de son travail, un service minimum. L’épisode n’est pas
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publié le 1er septembre 2020 à 21h03
(mis à jour le 1er septembre 2020 à 21h05)

L'Irlandais Phil Hogan a remis sa démission mercredi soir à Ursula von der Leyen. Le commissaire au Commerce, et poids lourd de l'exécutif communautaire, qui, la veille encore, affirmait sur les ondes de la télévision publique irlandaise RTE qu'il n'avait aucune intention de remettre son mandat, a manifestement été lâché par la présidente de la Commission, comme en témoigne le très sec et très bref message qu'elle a publié pour le remercier de son travail, un service minimum. L'épisode n'est pas anodin : neuf mois après sa prise de fonction, Von der Leyen donne l'impression désastreuse d'avoir cédé aux pressions d'un gouvernement qui exigeait la peau de «son» commissaire, éclaboussé dans une affaire de politique intérieure.

Scandale

L'opinion publique, la classe politique et les médias irlandais se sont déchaînés contre les 82 personnes, dont de nombreux responsables politiques, mais aussi des représentants du monde judiciaire et des médias, qui ont participé à un dîner de gala organisé le mercredi 19 août dans un hôtel de Clifden, dans l'ouest de l'Irlande, pour célébrer le cinquantième anniversaire de l'Oireachtas Golf Society, le club de golf du Parlement. Joueur de golf émérite, ancien député et ministre, Phil Hogan ne pouvait manquer cet événement mondain. Problème : la veille, le gouvernement irlandais venait d'interdire les rassemblements en espace fermé de plus de 15 personnes (contre 50 depuis juin). Autant dire que les deux jauges ont été dépassées. Surtout, des vidéos ont montré que la distanciation physique et le port du masque n'étaient pas respectés par une partie des invités alors qu'il s'agissait d'un espace confiné.

Le scandale causé par ce «Golfgate» a été tel, dans un pays qui souffre de mesures sanitaires parmi les plus dures de l’Union européenne, trois comtés ayant été replacés en confinement cet été, que plusieurs personnalités, dont le ministre de l’Agriculture, Dara Calleary, et le vice-président du Sénat, Jerry Buttimer, ont remis leur démission.

Faux pas

D’autres, dont Hogan, ont présenté leurs excuses. Mais dans le cas du commissaire, cela a été jugé insuffisant par le gouvernement et en particulier par le vice-premier ministre, Leo Varadkar, qui dirige le parti de centre-droit Fine Gael. Il faut dire que l’homme de 60 ans a multiplié les faux pas : la police a révélé avoir arrêté le commissaire le 17 août alors qu’il se rendait dans le comté de Galway en venant de Kilkenny parce qu’il téléphonait au volant de sa voiture. Ce qui a permis d’établir que le commissaire s’était arrêté brièvement dans sa maison du comté de Kildare, situé sur son chemin, pour récupérer des documents alors que la région venait d’être replacée en confinement. Or, selon les règles locales, cela interdit tout arrêt, même dans une maison déserte.

Enfin, il s’est avéré que si Phil Hogan a bien subi un test de dépistage à son arrivée en Irlande, il n’a pas respecté la quatorzaine imposée à toutes les personnes entrant dans le pays, même en cas de test négatif… Des mesures folles, changeantes d’heure en heure, que le commissaire qui vit à Bruxelles depuis 2014 affirmait ne pas connaître faute d’en avoir été informé.

Forte pression

Reste qu’un gouvernement ne peut pas renvoyer un commissaire qu’il a nommé, celui-ci étant totalement indépendant dès sa nomination. Il peut soit démissionner de son propre chef, soit être renvoyé par la présidente de la Commission si elle juge qu’il a commis une faute grave. Face à la forte pression exercée par le gouvernement irlandais, Ursula von der Leyen a choisi de lâcher Phil Hogan.

Le seul précédent était celui de la démission forcée du Maltais John Dalli, en octobre 2012, alors que la Commission était dirigée par José Manuel Durão Barroso, à la suite de sa mise en cause pour trafic d'influence au profit de l'industrie du tabac par l'Office antifraude de l'Union, l'Olaf (finalement le dossier se révélera vide…). La différence est que Phil Hogan n'est pas accusé d'avoir mésusé de ses fonctions, mais de ne pas avoir respecté des mesures sanitaires irlandaises, accusations qui n'ont donné lieu, pour l'instant, à aucune poursuite pénale.

Dans sa lettre de démission, le commissaire au Commerce réitère qu’il n’a commis aucune faute intentionnelle : «J’ai toujours essayé de me conformer à toutes les réglementations Covid-19 en vigueur en Irlande et j’avais compris que j’avais respecté toutes les directives de santé publique pertinentes, en particulier après la confirmation d’un test négatif.» Une façon de dire qu’il part contraint et forcé.

Précédent fâcheux

Quoi qu’il en soit, cette démission crée un précédent pour le moins fâcheux. En effet, les commissaires vont désormais apparaître comme de simples fonctionnaires dépendant du bon vouloir du gouvernement qui les a nommés, Von der Leyen se gardant d’ailleurs bien de juger des faits reprochés à son commissaire : faute morale, sans doute ; pénale, à voir.

En outre, si désormais les commissaires sont tenus de respecter toutes les règles sanitaires en vigueur en Belgique (par exemple la «bulle sociale», c’est-à-dire sans masque, de cinq personnes), mais aussi dans les pays qu’ils visitent, plus aucun d’entre eux ne va pouvoir se déplacer. Ainsi, Paris ayant été placé en zone rouge par la Belgique, Thierry Breton, le commissaire français, devra à chacun de ses déplacements subir un test et observer une quatorzaine. Pratique. On pourrait aussi étendre ces obligations aux chefs d’Etat et de gouvernement, aux ministres, aux diplomates, aux fonctionnaires, ce qui ne va pas faciliter les relations internationales.

La presse irlandaise affirme que Dublin a obtenu l’assurance de conserver le portefeuille du commerce, un poste normalement réservé à un poids lourd. Un tel arrangement, s’il est confirmé, ternirait définitivement l’indépendance de la Commission : en théorie, aucun pays n’est propriétaire d’un portefeuille en particulier. Autant dire que cette affaire dystopique pourrait avoir des répercussions institutionnelles d’une rare gravité.

N.B.: article paru dans Libération le 27 août

Photo VIRGINIA MAYO / AP