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Mabiala ma Nganga (pays Nsundi, 1892-1896)

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Questions à... Hassim Tall Boukambou, documentariste qui prépare un film intitulé "Révolutionnaire(s). La genèse 1880-1959".
Portrait reconstitué de Mabiala ma Nganga par Steve Ndoumbe (Aby) et Hassim Tall Boukambou.
publié le 6 septembre 2020 à 10h37

Qui est Mabiala ma Nganga?

Mabiala Ma Nganga est un chef de terre du territoire Nsundi, ancienne province Nord du royaume Kongo, à cheval sur l'actuel République du Congo et la République Démocratique du Congo. Mabiala est également un grand guérisseur. Il connait le secret des plantes médicinales, d'où son nom Mabiala Ma Nganga (guérisseur).

A la fin du XIXe siècle, le chef Mabiala Ma Nganga exerce son autorité et son influence sur de nombreux villages et chefs de clans le long de la route des caravanes. Cette route est le principal axe commercial reliant la cité de Loango sur la côte Atlantique au vaste marché intérieur autour du lac Pumbu sur le fleuve Congo, Nkuna ntamo (Brazzaville).

Du village Kimbédi à Makabandilou-Lilemboa (Matoumbou), Mabiala ma Nganga contrôle le commerce et prélève des taxes de transit sur toutes les marchandises des commerçants locaux et européens. A la tête d’une contrée agricole densément peuplée et riche en minerais (cuivre), il refuse catégoriquement que les habitants travaillent en servant de porteurs au profit des caravanes des commerçants européens. Mabiala ma Nganga compte bien garder la haute main sur le commerce avec les nouveaux venus européens qui s’implantent.

En 1892, à la suite de la mort d’un commerçant européen, Mabiala ma Nganga entre en guerre contre les Français. Il interdit le passage de son territoire à tous les Européens. Ces ennemis sont les agents des compagnies concessionnaires qui créent des factoreries (boutiques) le long des grands axes commerciaux routiers et fluviaux.

L’intransigeance de Mabiala Ma Nganga empêche les commerçants européens d’acheminer leurs produits manufacturés, de la côte Atlantique à la station française de Nkuna Ntamo (Brazzaville). Après quatre ans d’affrontements et de guérilla, les troupes françaises du capitaine Marchand (arrivé au Congo en 1896 pour conduire la mission « Congo-Nil » qui aboutit à la crise de Fachoda) ont réussi à localiser le quartier général de Mabiala, une grotte non loin du village Biédi. Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1896, les capitaines français Baratier et Marchand encerclent la grotte de Mabiala ma Nganga.

Assiégé, Mabiala et ses lieutenants résistent pendant près de six heures de combat. Ils usent de tirs à chevrotines et abattent des tirailleurs sénégalais. Les officiers français décident alors de dynamiter et enfumer la grotte. Deux heures plus tard, les cadavres de Mabiala et de ses principaux fidèles sont retirés de la grotte brûlante. On décapite le corps de Mabiala ma Nganga. On promène ensuite sa tête dans les villages avoisinants pour signifier la mort du redoutable chef.

Comment avez-vous pu reconstituer ce personnage historique, jusqu’à son portrait ?

Nous avons travaillé à partir de plusieurs sources écrites et des traditions orales pour reconstituer le portrait de Mabiala ma Nganga. Au premier plan, nous avons recueilli plusieurs sources orales du Congo. En interrogeant les personnes les plus âgées, nous avons pu avoir une idée sur son physique, la taille, la corpulence, les scarifications, la coiffure, l’accoutrement, le port de bijoux. A ce sujet, nous avons appris à distinguer les différents types de scarifications sur le corps ou le visage ; les différentes manières de nouer un pagne autrefois, en fonction de son statut social ou de son sexe.

Concernant les sources écrites, nous nous sommes servi des archives de la mission française du « Congo-Nil » (ou Mission Marchand, 1896-1899). Parmi les membres de cette mission, Charles Castellani est l'illustrateur et le photographe. C'est lui qui dessine la tête décapitée de Mabiala ma Nganga. Nous en avons une représentation dans son livre Vers le Nil français avec la Mission Marchand.

Croquis de la tête décapitée de Mabiala ma Ganga par Charles Castellani dans son ouvrage Vers le Nil français avec la Mission Marchand (Paris, Flammarion, 1898).

A ces sources précises sur Mabiala peuvent être ajoutés les Mémoires de membres de la mission « Congo-Nil » (à commencer par Albert Baratier, acteur de la mort de Mabiala) ainsi que les photographies qui ont été réalisées par l'expédition.

A partir de l’ensemble de ces informations, Steve Ndoumbe (Abyl), illustrateur et animateur graphique, a pu faire le portrait actuel de Mabiala ma Nganga. C’est ce portrait que le public découvrira dans le film « Révolutionnaire(s), la genèse 1880-1959 ».

Quelle mémoire reste-t-il de lui au XXIe siècle ?

Au XXIe siècle, la mémoire de Mabiala ma Nganga reste vivace. Au lendemain de la Révolution congolaise des 13, 14, 15 août 1963 dite « les Trois Glorieuses », Mabiala ma Nganga a été déclaré « héros national ». Depuis, plusieurs lieux portent son nom en République du Congo (une école primaire à Brazzaville, une place à MIndouli). Il est une figure emblématique de la résistance à la pénétration européenne au Congo. En quatre ans de guérilla (1892-1896), il est le grand chef qui a mené la plus longue résistance armée au Congo contre l'envahisseur européen. C'est le souvenir qu'il a laissé dans les imaginaires. Plusieurs acteurs politiques se sont revendiqués de son héritage.

A l’occasion des grandes réunions de famille ou autres rencontres, il n’est pas rare qu’une personne évoque le courage, la fierté, la dignité de Mabiala ma Nganga, ses dons de guérisseur. Dans la famille Boukambou, nous possédons le gong sacré de Mabiala ma Nganga, le « Mounkoukou » transmis de génération en génération.

La mémoire de Mabiala est aujourd’hui cultivée, entretenue par des écrivains et des chants particulièrement. A ce titre les musiciens du groupe Nzela sont les derniers a avoir composé des chants en hommage à Mabiala ma Nganga. Nous avons ainsi collaboré avec le groupe pour la musique du film la genèse (1880-1959).

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