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TRIBUNE

Le plan de relance tellement conservateur de Macron

Déconfinementdossier
Pourquoi vouloir combler un déficit commercial ou une dette publique relativement faibles ? Alors que nous allons affronter des mutations profondes, comme le changement climatique, nous avons besoin d'investissements lourds, d'un Etat solide et de services publics forts. Un plan pour le monde d'avant ?
Emmanuel Macron et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, le 28 août à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). (CHRISTIAN HARTMANN/Photo Christian Hartmann. AFP)
publié le 11 septembre 2020 à 10h39

Tribune. Qu'est-ce qu'on aurait fait à leur place ? Nan c'est vrai, on critique, on critique, mais aurait-on fait mieux à leur place ? Pour commencer, le plan de relance du gouvernement a été conçu sous deux contraintes qu'on ne se serait peut-être pas imposées : le déficit commercial et la dette publique. Le déficit commercial français est loin d'être abyssal, il est même plutôt proche de l'équilibre (-1% du PIB) mais le gouvernement s'est engagé à le réduire. Pourtant, il semble illusoire de vouloir relancer l'investissement et libérer l'épargne sans creuser un peu le déficit commercial ; et inutile, puisque nous n'avons aucun mal à financer ce déficit.

Deuxièmement, la dette publique va passer de 100 à 120% du PIB et le gouvernement s'est engagé à la maintenir à ce niveau puis à la réduire à partir de 2025. Certes. Mais on n'a jamais emprunté aussi peu cher grâce à la Banque centrale européenne qui nous assure des taux d'intérêt historiquement bas. Donc pourquoi se contraindre sur le montant sinon par pur réflexe conservateur ? Les besoins de financement public sont immenses. D'une part il y a urgence : les faillites d'entreprises risquent d'augmenter de 80% selon des estimations de l'Observatoire des conjonctures économiques (OFCE), ce qui va se traduire par exemple dans l'hôtellerie et la restauration par la fermeture d'un établissement sur dix en 2021. Pour pallier ces faillites, l'OFCE estime qu'il faudrait 8 milliards d'euros, mais le plan de relance en a prévu 3 à dépenser sur deux ou trois ans (1).

D’autre part, notre régime de croissance va être bouleversé par le changement climatique au cours des dix prochaines années, qu’on le veuille ou non. Il va falloir une puissance publique solide pour l’accompagner et limiter les dégâts. Du côté des investissements nécessaires pour respecter la trajectoire bas carbone, les investissements vont surtout devoir augmenter dans la rénovation des logements, les véhicules bas carbone, les énergies renouvelables, les transports en commun et les aménagements cyclables. Pour cela, les pouvoirs publics devront mobiliser 7 à 9 milliards par an de plus d’ici 2023, par exemple via des incitations fiscales aux ménages (2). Le gouvernement prévoit 30 milliards donc ça paraît suffisant !

Mais le changement climatique n’implique pas seulement des investissements bas carbone. Celui-ci va engendrer des modifications profondes du fonctionnement de nos économies qu’il va bien falloir accompagner. Sans jouer les Cassandre, on se prépare une sacrée décennie, 2020 n’est qu’un avant-goût. Il va falloir accompagner les pertes de revenus liées au changement climatique : l’augmentation nécessaire du prix de l’énergie fossile (et le coût des transports qui va avec), les destructions d’emplois dans les secteurs à forte émission carbone, etc. Plein de nouveaux métiers sont nécessaires : par exemple, des ingénieurs pour concevoir les matériaux résistant aux hausses de températures, des agronomes pour protéger la biodiversité, gérer le manque d’eau, etc.

Or, face à ses défis immenses, le plan de relance du gouvernement met l’accent sur… la compétitivité des entreprises ! Et pour y parvenir, il consacre 20 milliards d’euros à la baisse des impôts de production. Mais qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, on ne dispose pas de résultats sérieux sur les effets que cette baisse d’impôts va entraîner sur l’investissement et encore moins sur les fameuses relocalisations industrielles, qui elles-mêmes ne sont pas du tout une garantie d’emplois.

Pour justifier sa stratégie qui mise tout sur l’offre, le gouvernement s’appuie sur les chiffres de l’Insee, qui révèlent que les coûts du confinement ont été portés par l’Etat et les entreprises. Nous les ménages, nous avons épargné grâce aux mesures de chômage partiel. Donc inutile de soutenir la demande… et puisque ça n’est pas la demande, c’est l’offre qu’il faut soutenir. C’est évidemment oublier l’Etat qui a justement supporté le plus gros du poids de la crise.

Une analyse alternative est qu’à un moment charnière comme nous vivons, nous avons besoin de plus et non moins de ressources fiscales. Plus pour financer un système public de santé capable de nous protéger, plus pour financer un système public éducatif capable de préparer nos enfants, plus pour une université capable de générer des idées innovantes et plus pour compenser la hausse des inégalités des quarante dernières années. On n’aurait peut-être pas fait mieux mais on aurait fait très différent.

(1) «Dynamique des défaillances d'entreprises en France et crise de la Covid-19», M. Guerini, L. Nesta, X. Ragot, S. Schiavo. Policy Brief, juin 2020.

(2) Edition 2019 du Panorama des financements climat, H. Hainaut, M. Ledez, I. Cochran, I4CE.